CHAPITRE CINQ : IROS

Planète Terre, an 2501, trente-et-un août

Iros, paniqué, avait vu des hommes se battre et, le avait beau avoir une certaine aisance dans le maniement des armes, devant l'adresse et l'agilité de ses adversaires, le jeune humain était obligé de s'incliner. Avec Merys et Esteb, ils avaient réussi à rester ensemble et, par cette alliance, avaient pu battre des ennemis plus forts qu'eux individuellement. Les trois amis avaient tous conscience que s'ils se séparaient, ce serait leur fin, ils n'auraient plus aucune chance. En un contre un, le trio savaient qu'il seraient perdants. Ces derniers ne se faisaient pas de faux espoirs, leur union faisait leur force.

C'est pourquoi, lorsque les triplets avaient vu leur chef les abattre, un par un ou tous en même temps, leur soulagement n'en n'avait été que plus grand.

Lui et Merys n'étaient pas blessés mais Esteb l'était. Bien que superficielle, sa blessure était néanmoins présente et elle inquiétait beaucoup Iros, encore plus sa sœur. Elle était petite et ne saignait déjà presque plus mais la crainte de la mort était forte dans les Terres Infinies. De plus, malgré sa taille ridicule, l'infection était toujours possible et sa localisation au niveau de l'arcade sourcilière était assez exposée au soleil, au sable et aux virus. Cela lui donnait un petit côté pirate, un petit côté « badboy » comme disait Merys lorsqu'elle se moquait de lui.

Parmi leur Clan, le trio avait compté une vingtaine de blessés, sans compter une cinquantaine de morts, soit quasiment la moitié des hommes. Une perte non négligeable quand on savait qu'ils n'étaient pas encore à la moitié du trajet.

Iros et ses amis se regardèrent, tremblants, partageant la douleur de voir leur Clan en si piteux état. Les hommes qu'ils avaient vu mourir n'étaient pas des inconnus. Ce n'étaient pas des amis mais il connaissait leur prénom, il connaissait leur famille et il assistait, impuissant, à la déchéance de son Clan.

Il ne pouvait même pas voir leur corps. Ayant peur de craquer, sachant qu'il ne devait pas pleurer. Iros devait rester fort pour garder la tête haute. Il devait garder le sourire pour lui, pour Esteb, pour Merys, pour ceux qui avaient assistés à la mort de leur amant, de leur famille, de leur amis.

Le jeune détourna le regard devant la mare de sang qui s'étendait devant lui : rien ne l'écœurait plus que de sentir cette odeur lui monter, si forte et si frappante, aux narines. Il n'était pas faible et ne craquerait pas.

Les larmes, en masse, s'amassaient au précipice de ses yeux et menaçaient de couler.

Les cadavres, sanguinolents, déchiquetés, pulvérisés comme de la chair à canon, charcutés comme de la viande fraîche, étaient étendus dans une mare de sang. La vraie douleur était ailleurs, celle qui lui broyait le cœur se trouvait dans les yeux des humains encore vivants. Ce n'étaient plus des pupilles qu'il voyait mais des océans de larmes, des mers de désespoir, des lacs de tristesses et des nuits si sombres que rien n'aurait su les éclairer.

Il était abattu, sa poitrine le serrait si fort qu'il croyait étouffer à chaque bouffée d'air.

Beaucoup pleuraient, d'autres criaient et se lamentaient, certains insistaient pour rentrer au camp, sûrs que cette expédition allait se solder par un échec. Intraitable, la cheffe refusait toute demande. Elle avait été claire dès le début, peu importe les mésaventures qu'ils rencontreraient sur le chemin, ils ne feraient pas demi-tour.

Iros avait encore du mal à la nommer : Ocrélia. Pour lui, ce n'était qu'une inconnue, qu'une usurpatrice. L'appeler par son prénom avait une dimension intime qu'il refusait d'avoir avec une étrangère.

C'est ainsi, dans une ambiance assez morbide, qu'ils reprirent la route. Ce n'était pas la motivation qui les faisait avancer mais la hargne d'être encore en vie, tous avaient la même question en tête : Pourquoi lui et pas moi ?

Personne n'aurait su répondre. Les faibles mouraient et les forts vivaient. La vie sur Terre n'avait jamais été facile, un long calvaire attendait ceux qui naissaient sur cette planète désertique.

L'atmosphère leur pesait sur les épaules et le sang collé à leurs vêtements, mêlé à leur transpiration et au sable, leur irritait l'épiderme, créant des brûlures aux endroits sensibles où les habits se frottaient à la peau.

Plus de trois heures avaient passé depuis l'altercation avec le Clan de La Lame Blanche et ils ne s'étaient pas arrêtés une seule fois. Malgré les plaintes des humains, le chef et son ami, tout aussi inconnu, avançaient toujours aussi rapidement.

— Bien, nous allons nous arrêter là ! s'écria, d'un seul coup, la chef en se retournant vers les hommes.

— Nous avons tous pu assister au massacre de nos hommes et, sans moi, vous seriez tous mort à l'heure qu'il est. Nous allons profiter de cet arrêt pour faire le point sur l'expédition. Je vous expliquerai quel est l'objectif, comment nous allons nous y prendre pour éviter au maximum les ennuis et combien de temps il nous reste avant notre retour au camp, énonça-t-elle, la voix forte.

Les hommes se regardèrent tous. La tristesse laissait place à la rage. La colère montait dans les rangs, celle de ne pas avoir fait le deuil des morts, celle de n'être pas rentré au camp, celle de devoir continuer le chemin, en dépit des morts, des blessures et de la souffrance, morale comme physique, de tous les vivants. Malgré leur promesse, tous n'avaient qu'une envie : rentrer là d'où ils venaient, pleurer avec leur famille restée à l'abri, savourer la vie, remercier les dieux de leur avoir laissé la vie sauve. Personne ne souhaitait continuer la marche. Ils voulaient être auprès des leurs.

Lorsque la cinquantaine d'hommes arrivèrent au point de repos, tous s'écroulèrent au sol. Le combat les avait épuisé, le massacre de leur Clan les avait détruit, la fatigue les assommait et la chaleur les étouffait.

Au paroxysme du supplice, ils prenaient conscience de leur chance d'être vivant. Ils étaient les rescapés d'un jeu mortel, les survivants d'une bataille sanglante.

Iros vit alors, avec une bonne dose de curiosité, la cheffe se déplacer d'homme à homme et leur donner eau, victuailles et vêtements. Chaque tonneau qu'elle offrait devait bien contenir plus de dix litres de liquide. Malgré le soulagement de pouvoir apaiser sa soif, une seule question persistait dans son esprit : « Sur cette planète où l'eau était la ressource la plus rare, comment avait-elle pu s'en procurer autant ? »

La Cheffe passa donc dans tous les rangs pour donner à chaque homme et femme, eau, nourriture et habits. Une fois qu'elle eut donné à chacun la même quantité, elle s'arrêta et fixa, tour à tour, tous les vivants.

— Bien, ceux qui ont tenu jusqu'ici tiendront jusqu'à la fin. Je ne vous ai pas encore révélé le but de cette aventure, il est simple et tient en un mot : le Ɖΐᾆ₥ǟƞŤ ɖɘ Ƨăɓȴɘ. Un Diamant unique créé à partir du sable résultant de l'apocalypse, trouvable uniquement dans les environs. D'une valeur inestimable, il permettrait de résoudre un grand nombre de problèmes ici. Il est enfoui sous le sable, pas très loin de là où nous nous trouvons actuellement. Je ne saurais le situer avec précision, mais son importance est capitale. Il nous le faut, et ce, peu importe les conséquences. J'espère que vous êtes conscients de ce que nous nous apprêtons à faire, cela aura une portée sur votre présent, sur votre avenir. J'estime sa localisation exacte à deux jours de marche. Une fois sur place, un symbole nous indiquera sa position précise, au millimètre près, ainsi nous n'aurons plus qu'à nous en emparer ! Nous ne ferons pas ligne droite, les Clans ont du parler entre eux, ils nous tendront des pièges et avec notre effectif, soit trop peu d'hommes, nous nous ferions écraser. J'ai beau savoir me battre comme dix milles homme, il est inutile de perdre notre temps dans des combats futiles. Ainsi, nous passerons sous le sable, nous sommes au dessus de l'entrée, la sortie nous mènera directement au Ɖΐᾆ₥ǟƞŤ ɖɘ Ƨăɓȴɘ et nous n'aurons plus qu'à le saisir. Au retour, il ne nous restera qu'à faire le même chemin en sens inverse. Ainsi, nous devrions éviter tout ennui potentiel. Si tout se passe bien, d'ici seize jours, nous serons de retour au camp. Si vous avez des questions, je vous écoute, expliqua-t-elle, le ton distinct et autoritaire.

Un homme à l'allure courbée, la silhouette squelettique à la peau blanche leva la main. Son teint était cadavérique et son crâne dégarni était couvert de sang. Il avait le visage éraflé assorti de deux globes oculaires prédominants d'un vert clair presque blanc.

— Pourquoi ne pas avoir tenté avant d'attraper ce diamant s'il est si miraculeux ? demanda-t-il d'une voix tremblante et éraillée.

— Nous n'avions pas les informations nécessaires pour nous lancer dans une telle opération, répondit la cheffe.

— Et pourquoi ne pas avoir utilisé le passage sous le sable avant ? Cela aurait pu éviter la mort de la moitié de nos hommes ! s'énerva d'un ton plus sec et plus agressif un quarantenaire à la peau diaphane et aux yeux vert pair.

— C'était impossible. Comme expliqué avant, l'entrée du sous-terrain démarre sous nos pieds et pas avant, répliqua-t-elle, la voix cassante.

— Pourquoi ne pas nous avoir donné l'eau et les vêtements avant ? s'écria d'un air colérique une jeune humaine.

Elle avait une trentaine d'années et possédait une silhouette robuste. Sa taille, environ un mètre soixante, contrastait avec sa corpulence puissante. Son visage carré parsemé de grains de beauté et de sable était en totale opposition avec ses yeux, deux petites pupilles à la teinte noisette au regard chaleureux. Ses joues rondes aux pommettes relevés mettaient en avant un petit nez en trompette. Elle possédait des lèvres pulpeuses d'une couleur rose pâle et ses cheveux d'un brun clair emmêles coupés courts, au dessus des épaules, entouraient son visage à la peau hâlée. Elle portait des vêtements sales, déchirés et trop grands pour elle.

— Vous n'en n'aviez pas besoin avant. La preuve : vous êtes toujours vivant. Je ne possède pas une quantité illimité d'eau et une masse infinie de vêtements. Si je vous les avais donné avant, vous auriez tout épuisé et, maintenant que vous êtes réellement dans le besoin, vous n'auriez eu que vos larmes pour pleurer, rétorqua, impitoyable, Ocrélia en fixant durement la femme.

Les hommes et femmes présents baissèrent la tête, Iros et ses deux amis y compris. Ils n'avaient pas vu les choses comme ça mais elle avait raison. Iros, malgré lui, devait reconnaître qu'effectivement, si elle leur avait donné avant, ils auraient tout dépensé sans compter, et ce, au dépend du futur. Leur cheffe n'était pas aimable mais elle avait au moins l'étoffe d'un vrai dirigeant, elle ne les laisserait pas mourir et les mèneraient à la victoire.

Passé l'angoisse des premiers jours, l'affolement du combat, Iros commençait à apprécier à sa juste valeur son voyage. L'humain aux cheveux de paille était avec Esteb et Merys et était sous la protection du Chef. Le jeune homme participait à ce qui serait la plus grande découverte pour son Clan. Le vingtenaire faisait partie du groupe d'hommes qui révolutionnerait le monde. L'euphorie du moment le faisait vibrer, savoir que son existence aurait une influence sur le futur le rendait enthousiaste. Toute la souffrance qu'il endurait n'était pas vaine, c'était un bien pour un mal. Ce dernier en était persuadé.

Il se tourna vers ses deux amis et, les yeux larmoyants de joie parce qu'il n'avait jamais été aussi heureux d'être en vie, leur sourit. Un sourire de courage, de bonté et de tendresse qui signifiait à la fois tout et rien. Esteb et Merys, en retour, lui offrirent le plus beau sourire du monde, ce dernier débordait d'affection, d'émotion et de force. C'était un sourire qui signifiait : nous triompherons !

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