Chapitre 1
L'odeur du sang se mêlait à celle du parfum hors de prix qui flottait encore dans la pièce. Je me tenais au seuil du salon, mes yeux balayant la scène de crime avec une précision chirurgicale. Le corps de Madeleine Arnaud gisait sur le tapis ivoire, une mare de sang s'étendant lentement autour d'elle, comme une tache indélébile sur le décor luxueux de l'appartement.
— Qu'est-ce qu'on a ? demandai-je en retirant mon imper métallique, trempé par la pluie.
— Femme, quarante-sept ans, chef d'entreprise dans l'immobilier de luxe, annonça Lacroix, un des enquêteurs sur place. Morte depuis environ deux heures. Le mari, Alexis Arnaud, a appelé les secours à 22 h 14, déclarant l'avoir trouvée ainsi en rentrant d'un dîner avec un collègue.
Je hochai la tête, m'accroupissant près du corps sans toucher à rien. Madeleine portait encore une robe de soirée bleu nuit, son maquillage impeccable contrastant avec la pâleur de sa peau. Il n'y avait aucune trace de lutte visible, mais son poignet droit était légèrement rouge, comme si on l'avait serré trop fort.
Je relevai les yeux vers Lacroix.
— Cause de la mort présumée ?
— Un traumatisme crânien, probablement dû à une chute, mais...
Je me redressai en haussant un sourcil.
— Mais ?
— C'est trop net, trop bien rangé. On dirait une scène préparée, répondit Lacroix en baissant la voix.
Je savais qu'il avait raison. L'appartement était d'un calme presque irréel. Pas de meubles renversés, pas de verre brisé, pas d'indice laissant penser à une dispute violente. Tout était en place. Trop en place.
Je fis signe à l'un des agents d'amener le mari. Alexis Arnaud entra dans la pièce, vêtu d'un costume noir parfaitement ajusté, son visage marqué par une douleur maîtrisée. Il jouait bien son rôle. Peut-être trop bien.
— Monsieur Arnaud, je suis l'inspectrice Astrid Volkova. J'aurais quelques questions à vous poser.
Il hocha la tête, les mains jointes devant lui.
— Bien sûr... Je veux juste comprendre ce qui s'est passé.
— Vous dites avoir trouvé votre femme en rentrant. À quelle heure précisément ?
— Vers 22 heures... Je venais de rentrer quand j'ai vu... ça, balbutia-t-il en désignant le corps d'un geste tremblant.
— Où étiez-vous avant cela ?
— Un dîner professionnel, au Ritz. Vous pouvez vérifier.
— Et votre femme ? Était-elle inquiète ces derniers jours ?
Un éclair de tension traversa son regard avant qu'il ne secoue la tête.
— Non... elle allait bien.
Mensonge. Je le sentis immédiatement. Je sortis un carnet de ma poche et notai quelque chose avant de relever les yeux vers lui.
— Vous dites que votre couple allait bien, mais une de vos voisines nous a signalé avoir entendu des disputes récemment. Vous pouvez m'expliquer ?
Le silence s'installa. Alexis Arnaud serra la mâchoire, fixant un point invisible.
— Nous avions des désaccords... Comme tous les couples.
Je croisai les bras. Je connaissais trop bien ce genre de réponse. Derrière les murs dorés de la haute société, les apparences primaient sur tout. Les secrets étaient soigneusement enfouis sous les tapis de soie, jusqu'à ce qu'ils finissent par exploser.
Je tournai la tête vers le corps de Madeleine et me fis une promesse silencieuse : je découvrirais la vérité, peu importe jusqu'où cela me mènerait.
***
Je laissai un instant de silence s'installer entre nous, observant Alexis. Sa posture impeccable et son regard, qui peinait à dissimuler une certaine nervosité, ne me trompaient pas. J'avais vu des dizaines d'hommes se jouer des rôles de maris dévastés, mais j'avais appris à repérer ceux qui en faisaient trop. Alexis en faisait trop.
Je m'approchai légèrement de lui, sans le quitter des yeux.
— Pourquoi ne m'avez-vous pas dit tout de suite que vous aviez des désaccords avec votre femme, monsieur Arnaud ? Ce n'est pas ce que l'on pourrait appeler un détail insignifiant.
Il cligna des yeux, visiblement pris au dépourvu, puis se racla la gorge.
— Je... Je ne vois pas en quoi cela pourrait avoir une quelconque importance. Nous nous disputions parfois comme tous les couples, mais je n'ai jamais pensé que cela pourrait mener à... ça.
Je fronçai les sourcils. Le ton de sa voix était trop hésitant, comme s'il cherchait à convaincre autant lui-même que moi. Mais quelque chose m'échappait. Ses réactions étaient trop calculées, trop propres. Je voulais qu'il vacille, qu'il montre un signe d'humanité. Mais il semblait un acteur trop expérimenté.
Je m'adressai à Lacroix, qui était resté silencieux jusque-là, observant la scène avec une attention particulière.
— Vérifiez les communications récentes de madame Arnaud. Les mails, les messages, tout ce que vous pouvez trouver. Et faites le nécessaire pour parler à la voisine qui a entendu ces disputes.
Lacroix hocha la tête et se dirigea vers la sortie. Je me tournais de nouveau vers Alexis.
— Vous savez, monsieur Arnaud, il n'est pas facile de cacher ses émotions à quelqu'un dont le métier est de lire les gens. Je vois que vous jouez parfaitement le rôle du mari dévasté, mais cela ne me suffit pas. Pas cette fois-ci.
Il déglutit, son visage se durcit.
— Je vous assure que je n'ai rien à voir là-dedans. J'ai aimé Madeleine de tout mon cœur, et je... je n'aurais jamais pu lui faire du mal.
Un éclat dans ses yeux me fit douter, une sorte de panique qu'il n'avait pas réussi à dissimuler entièrement. Mais au fond de moi, je savais qu'il y avait plus. J'avais vu des innocents se débattre dans leurs mensonges, et des coupables qui croyaient qu'ils pouvaient tout effacer. Mais chaque détail compte. Chaque geste, chaque regard, chaque silence.
Je m'éloignai un peu, me dirigeant vers le bureau de Madeleine. C'était un bureau d'une élégance glaciale, avec des objets de décoration presque trop soigneusement choisis. Tout dans cet appartement criait le luxe, mais derrière ces murs froids, il y avait sûrement des secrets bien enfouis. Je m'approchai du bureau et ouvris le tiroir supérieur. À l'intérieur, une pile de papiers parfaitement ordonnés. Mais un document attira mon attention : un contrat en cours, signé par Madeleine et un homme que je n'avais pas encore vu dans le dossier. Je pris le document et m'en allais le montrer à Lacroix.
Quelques minutes plus tard, nous étions tous réunis dans le salon, Alexis toujours figé dans son rôle. Lacroix entra avec un air préoccupé.
— Inspectrice, il semble que ce contrat... ne concerne pas seulement l'immobilier. C'est un partenariat avec une société en dehors du secteur, et la signature de l'homme est liée à un nom de famille assez... influent.
Je levai les yeux vers Alexis. Son visage était devenu livide, comme s'il venait de comprendre que tout n'était pas aussi parfait qu'il l'espérait.
— Dites-moi, monsieur Arnaud, que savez-vous de ce contrat ? Pourquoi votre femme aurait-elle voulu s'associer avec quelqu'un de cette envergure ?
Ses lèvres tremblèrent avant qu'il ne les serre.
— Ce n'était pas ce que vous croyez... Madeleine avait... des projets. Je vous en prie, vous devez comprendre que ce n'était qu'une décision d'affaires.
Je secouai la tête, ne croyant pas un instant à cette explication.
— Monsieur Arnaud, il semblerait que vous ayez plus à cacher que vous ne le pensiez. Et ce n'est pas juste la vérité sur votre mariage.
Je me penchai légèrement en avant, posant la question qui trottait dans ma tête depuis que je l'avais vu entrer dans la pièce :
— Où étiez-vous vraiment, avant de revenir chez vous ce soir-là ?
Alexis resta figé, le regard fuyant, et une goutte de sueur perla sur son front. Je pouvais presque entendre son esprit tourner à toute vitesse pour trouver une réponse. Mais quelque chose dans son attitude me disait que la vérité était à portée de main, prête à éclater comme un nuage de poussière dans l'air. Il savait qu'il était piégé. Il avait sous-estimé ma capacité à repérer les failles dans les mensonges, et maintenant il était trop tard pour revenir en arrière.
— Je... je vous ai dit où j'étais, marmonna-t-il en baissant les yeux. Au Ritz, avec un collègue. Je ne vous ai rien caché.
Je haussai un sourcil, observant son visage pâle. Il tentait de se donner une contenance, mais ses lèvres tremblaient légèrement. Pas l'assurance d'un homme qui dit la vérité, mais plutôt celle d'un homme pris au piège de son propre récit. Il n'avait pas l'air du tout convaincu par ses propres paroles.
— Et si je vous disais que vous n'avez pas été vu au Ritz ce soir-là ? répliquai-je, ma voix basse, presque menaçante.
Le changement immédiat dans ses traits fut imperceptible, mais suffisamment pour que je puisse le remarquer. Ses yeux s'écarquillèrent un instant avant de se resserrer, et il serra les poings. Il venait de se trahir. Ce détail, aussi insignifiant qu'il puisse paraître, confirmait tout ce que j'avais commencé à soupçonner.
— Je n'ai pas... je veux dire, peut-être que vous vous trompez, balbutia-t-il.
Je me tournai vers Lacroix, qui m'observait avec une attention particulière, un air presque satisfait. Il savait que je tenais quelque chose.
— Lacroix, je veux que vous vérifiiez toutes les caméras de surveillance des alentours. Les restaurants, les rues, même les taxis. Allez jusqu'au bout, je veux voir où il a été réellement ce soir-là.
Lacroix fit un signe de tête et partit en vitesse, laissant Alexis et moi dans un silence lourd. Je pouvais presque entendre son cœur battre la chamade. Il essayait de reprendre le contrôle de la situation, mais c'était trop tard. Il avait menti, et maintenant chaque mot qu'il prononçait ne faisait qu'enfoncer un peu plus le clou.
Je me tournai lentement vers lui, croisant mes bras sur ma poitrine. Je le fixai droit dans les yeux, attendant qu'il fasse le prochain mouvement. L'air entre nous semblait vibrer d'une tension palpable.
— Vous n'étiez pas au Ritz, Alexis, et vous le savez. Vous avez menti, et vous allez me dire où vous étiez vraiment, maintenant.
Il se mordilla la lèvre inférieure, les muscles de son visage se crispant. Après un long moment de silence, il lâcha enfin :
— Je suis allé voir quelqu'un... Un ancien associé de Madeleine. Il m'a contacté récemment. Il voulait qu'on parle de... certaines choses qu'il connaissait à propos de notre entreprise, de notre mariage.
Je haussai un sourcil, sceptique.
— Et pourquoi cela ne vous a-t-il pas paru suspect ? Pourquoi ne m'en avez-vous pas parlé plus tôt ?
Il détourna le regard, visiblement agité.
— Parce qu'il voulait que ce soit discret. C'était... délicat. Et j'ai cru que cela n'avait aucune importance. Madeleine n'était pas au courant. Je ne voulais pas l'inquiéter. Je pensais que ça n'avait rien à voir avec ce qui est arrivé ce soir.
Il s'arrêta un instant, comme s'il pesait ses mots, puis ajouta, presque dans un murmure :
— Mais je me rends compte maintenant que j'aurais dû tout vous dire, même si cela aurait pu nous nuire.
Je le fixai un instant, cherchant une quelconque sincérité dans ses yeux. Mais il n'y en avait aucune. Son discours était trop bien ficelé, trop parfait pour être vrai. Il essayait de manipuler la situation, d'en minimiser les conséquences.
Je ne pouvais pas lui faire confiance.
— Vous allez devoir me donner le nom de cette personne, et tous les détails. Je vais aussi avoir besoin de savoir pourquoi il était "delicat" pour vous d'en parler à votre femme.
À ce moment-là, Lacroix entra, un léger sourire en coin. Il tenait des papiers dans ses mains.
— Inspectrice, les caméras de surveillance ont montré qu'il n'a jamais mis les pieds au Ritz ce soir-là. Par contre, un taxi l'a déposé près d'un hôtel de luxe sur la rive droite, à une trentaine de minutes de là. Et devinez quoi ? Madeleine Arnaud avait séjourné à cet hôtel récemment. Il semble que ce n'était pas une simple coïncidence.
Je sentis un frisson me parcourir le dos. Tout s'emboîtait lentement, comme un puzzle bien orchestré. Il avait menti sur son emploi du temps, il avait probablement rencontré cet homme pour discuter d'affaires louches, et Madeleine, elle, était liée à cet endroit.
Je me tournai vers Alexis, un sourire froid s'étendant sur mes lèvres.
— Vous êtes sur le point de me dire toute la vérité, monsieur Arnaud. Parce que vous êtes bien plus impliqué que vous ne voulez l'admettre.
Alexis déglutit bruyamment, ses yeux passant de Lacroix à moi, comme un animal pris au piège, luttant pour s'échapper mais n'ayant nulle part où fuir. Il savait qu'il ne pourrait plus mentir, que chaque mouvement, chaque mot, était désormais scruté, analysé. Il allait devoir se dévoiler, ou risquer de perdre tout contrôle sur la situation.
— Je... Je n'avais pas l'intention de la tuer, dit-il d'une voix brisée, ses mains tremblantes à ses côtés.
Il s'arrêta, comme s'il voulait récupérer son souffle avant de continuer.
— Je l'aimais... Je l'aimais encore, mais elle... elle m'avait changé, elle n'était plus la même. Elle était... obsédée par son entreprise. Elle pensait plus à l'immobilier qu'à notre mariage. Et moi, j'en avais assez de cette vie... Ces dernières semaines, j'ai rencontré cet homme... un ancien associé d'elle, comme je l'ai dit. Il m'a offert une solution. Une solution pour tout remettre à sa place. Mais je n'ai pas... je n'ai pas voulu qu'elle meure. C'était censé être différent. C'était censé être un coup de pression pour qu'elle lâche prise. Mais elle n'a pas réagi comme je l'attendais.
Je restai silencieuse, digérant ses paroles. Il venait de tout avouer, mais à moitié, en espérant sans doute obtenir un peu de clémence. Il parlait d'une "solution", d'un "coup de pression" pour "qu'elle lâche prise". Ce n'était plus qu'une question de détails.
— Quel genre de pression, exactement ? demandai-je froidement. Vous n'allez pas me faire croire que tout cela était une simple dispute de couple, Alexis.
Il ferma les yeux, et je vis ses lèvres trembler légèrement avant qu'il ne murmure :
— Elle savait trop de choses. Elle commençait à se rendre compte qu'il y avait des failles dans l'entreprise... des trucs qui pourraient tout faire exploser. Elle me poussait à agir, à prendre des décisions. Elle voulait prendre plus de risques... Mais je savais que c'était dangereux. Elle parlait d'investir dans des zones à haut risque... avec l'argent des investisseurs. Je n'avais pas d'autre choix que de faire quelque chose pour qu'elle arrête, avant que tout ne nous échappe.
Je laissai le silence s'installer un moment, digérant l'étendue de ses aveux. Il n'avait pas seulement tué sa femme parce qu'il en avait assez, mais à cause de l'argent, des affaires, de la pression, et probablement de ses propres peurs. Il avait cherché une issue. Mais ce qu'il n'avait pas anticipé, c'était que ce plan de manipulation finirait par se retourner contre lui.
— Vous avez essayé de l'effrayer, c'est ça ? demandai-je en le fixant de manière perçante. Vous avez joué avec ses peurs jusqu'à ce que... vous l'ayez tuée.
Il détourna les yeux, le visage figé dans un masque de culpabilité. Il savait qu'il avait franchi la ligne. Il avait tué Madeleine, mais il tentait encore de rationaliser son acte, de le rendre "acceptable", comme si la pression du monde des affaires et la peur de perdre tout ce qu'il avait pu construire dans sa vie justifiaient son geste.
— Je voulais qu'elle comprenne... C'était un accident, je vous jure. J'ai juste voulu... lui faire peur. Mais elle est tombée, elle s'est cognée. Tout a basculé. J'ai paniqué.
Je me rapprochai de lui, le fixant intensément.
— Pourquoi avoir fait en sorte que ça ressemble à un crime parfait ? Vous avez tout mis en place pour manipuler les indices, effacer les preuves. Vous pensiez que personne ne le remarquerait ?
Il ne répondit pas tout de suite. Puis, dans un murmure, il avoua :
— Parce que je savais que si ça avait l'air d'un accident, tout serait remis sur le dos de l'entreprise. Les assurances, les actions, tout... Je voulais effacer les traces de l'influence de cet homme. Je voulais qu'on croit que c'était simplement une tragédie, une mauvaise chute dans une soirée trop arrosée. Mais j'ai mal calculé...
Il n'avait pas vu que son acte allait éveiller la vigilance de ceux qui fouilleraient la scène, des enquêteurs comme moi. J'avais perçu, dès le début, que ce n'était pas juste un accident. Il y avait trop de failles, trop d'indices indiquant une mise en scène.
Je m'écarte lentement de lui, en me tournant vers Lacroix qui était en train de noter chaque mot. Le mari venait de confesser son crime, et je n'avais plus qu'à boucler l'affaire.
— Vous allez être arrêté, Alexis Arnaud. Vous avez tué votre femme pour de l'argent et pour cacher vos mauvaises décisions dans les affaires. Vous êtes un assassin, et il n'y a plus de retour en arrière.
Il se laissa tomber contre le mur, les mains sur le visage, en proie à une émotion qui mêlait désespoir et colère. Je pouvais voir la vérité éclater dans son esprit, comme une lumière crue. Il avait compris que tout était fini.
L'affaire était close. Mais le prix de la vérité, comme toujours, était lourd.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top