Chapitre 8
J'attends d'être suffisamment éloigné de la bâtisse pour caler une clope entre mes lèvres. Le premier nuage de fumée que j'expulse sature l'air et m'apporte béatitude. Mes pensées s'attardent alors sur lui. Ça fait maintenant quelques jours qu'il se comporte étrangement. Si par étrangement, je veux dire qu'il ne boit plus et qu'il fait à manger, le mot est assurément faible. J'ai si souvent rêvé de ce moment que ma quantité d'illusions a expiré. Le malin reste tapi dans l'ombre, il nous observe en savourant notre moment de faiblesse. Il ne faut pas se fier à son jeu, car c'est un adversaire redoutable. Au fil des ans, j'ai décelé le mystère de ses magouilles, je suis donc meilleur joueur que lui. La règle d'or se résume en un seul et unique mot : ataraxie. État d'une personne qui ne se laisse troubler par rien, état d'indifférence émotionnelle.
Une voix féminine surgit derrière moi, faisant ainsi choir mes érudites réflexions. Je me retourne pour découvrir qui en est la cause. Il s'agit de la fille de tout à l'heure. Arrivée à mon niveau, elle se courbe pour reprendre haleine. Je l'observe, impavide.
— Je voulais te rendre ton crayon, déclare-t-elle une fois redressée.
— C'est un prétexte pour me revoir, avoue, dis-je entre deux bouffées.
— N'importe quoi ! glapit-elle.
J'en profite pour la reluquer, mes yeux butent sur ses seins un brin bombés. Un désir obscène afflue dans ma tête, je le dissipe en projetant ce qu'il reste de l'objet responsable de mon extinction.
— Te gêne pas surtout, largue-t-elle.
— Tu pouvais le garder, fis-je, excédé.
— J'ai entendu sans le vouloir ton échange avec la prof...
— Mêle-toi de tes affaires, asséné-je d'un ton cassant.
Sur ces mots, je me détourne d'elle et continue ma route. Sur le trajet, je décide de faire une halte au Bataclan, fumer deux ou trois joints et voir la gueule d'Enrique. Depuis que je suis retourné au lycée, j'ai un peu la flemme de m'y rendre. De plus, il semblerait que la tempête se soit calmée. À mon apparition, Enrique se lève de son siège pour me checker. Il ébouriffe parallèlement mes cheveux, je grigne face à cet élan de fraternité. Enrique est un mec indomptable, il a l'étoffe d'un leader, mais il peut parfois se montrer très chiant.
— Un revenant les gars, annonce-t-il en agitant ma tronche comme un trophée.
— Va te faire foutre, fais-je en me dégageant.
— Alors, quoi de neuf, mec ?
Je choisis d'omettre mon retour, qui pourrait s'avérer temporaire, au lycée. Le connaissant, il va certainement se foutre de ma gueule pendant un moment avec cette histoire. Notre bande est constituée de cas désespérés. Les reclus de la société. Un fouillis de merdes incurables. On se complaît dans la partie vaporeuse du monde. On baigne dans une mer turbulente. L'existence a un âpre goût pour nous.
— Rien, dis-je sobrement.
— En tout cas, tes bleus commencent à se barrer, remarque-t-il.
Je les avais presque oublié ceux-là. Je me suis tellement habitué à la douleur que j'en suis anesthésié.
— J'ai trouvé un deal qui pourrait nous rapporter un max de thunes, m'informe-t-il, une fois assis.
— Briefe-moi, fis-je en sifflant un joint.
— Rico, le proprio de Rivers, nous propose de dealer...
— Je fourre pas mon nez dans ces saletés, le coupé-je.
— On parle d'un bon paquet de fric, mec. On pourra s'arracher de ce quartier, vivre comme des rois. Puis, tu pourras aider ton père. Pense s'y, frangin.
C'est vrai que je pourrais sortir mon père du vice dans lequel il a sombré, et moi aussi par la même occasion. Mais une fois engagé dans cette voie, il n'y a aucun retour possible. C'est un cercle vicieux duquel il est presque impossible de s'évader. On finit tôt ou tard par y laisser sa peau.
❪645 mots❫
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