Chapitre 5

     Mes paupières s'ouvrent lentement, puis se plissent afin de s'accommoder à la vive lumière du jour. Pourquoi ma fenêtre est-elle ouverte d'ailleurs ? Je ne me souviens pas de l'avoir laissée ainsi. Je me redresse doucement, les yeux toujours rivés vers la lucarne. Je darde un regard circulaire à la pièce, ça me fait bizarre de la voir aérée, je l'ai toujours laissée dans la pénombre. Je ne m'aperçois de sa présence que maintenant, mes sourcils se froncent d'incompréhension. Qu'est-ce qu'il fout dans ma chambre ? Depuis combien de temps est-il là ? Pourquoi j'ai la sensation qu'un truc étrange est en train de se produire ?

     — J'ai pensé que ce serait bien d'aérer un peu la pièce, ça empestait le cannabis.

      Le son de sa voix n'a rien de naturel. Ce qu'il vient de dire. Sa présence. En fait, tout ce qui se passe me semble factice. Sa voix vient interrompre mes élucubrations.

     — J'ai fait à manger, brosse-toi les dents et viens déjeuner, tranche-t-il.

      Je l'observe éberlué se lever et sortir de la chambre. Ce dont j'ai toujours rêvé est-il en train de prendre vie ? Tout n'était finalement pas perdu ? Je glisse une main dans mes cheveux en cogitant. C'est trop beau pour être vrai. Je parie que dès demain il va se remettre à boire et à me cogner dessus. Les disputes vont ressurgir et le vide abyssal planant autour de moi m'engloutira à nouveau. Je le dis comme s'il m'avait déjà quitté à un seul instant.

     Après m'être aspergé le visage d'eau et de m'être brossé, je trimbale mes jambes vers la cuisine d'où Antonio m'attend. Je pose mon cul sur une chaise et découvre des omelettes et deux verres de jus de pomme sur la table. Où a-t-il trouvé tout ça ? Serait-il allé faire des courses ? Avec quelles thunes a-t-il acheté toutes ces choses ?

     — Sers-toi, dit-il en désignant une assiette garnie d'omelette.

     J'obtempère surtout parce que j'ai vraiment la dalle, et ça fait une éternité que je n'ai pas pris de déjeuner. J'engloutis une partie de mon omelette avec du pain, puis avale une rasade de jus. Je lève ensuite ma tête et me retrouve nez à nez avec Antonio. Je remarque qu'il n'a pas touché à son assiette.

     — Je commence à me demander si t'es vraiment humain, introduis-je.

     — Pourquoi ? répond-il, amusé.

     — Tu ne manges pas assez, éludé-je. Finalement moi non plus.

     — On dirait bien qu'on est des spécimens rares, raille-t-il.

     — Ouais, fais-je en haussant les épaules.

     — Tu retourneras au lycée.

     — Si je veux, tranché-je. Tu vas arrêter de boire.

     — Si... commence-t-il.

     — Je veux, terminé-je.

     — C'est pas ce que j'avais l'intention de dire.

     — Je m'en bats les couilles, argué-je en débarrassant mon assiette.

     — Où comptes-tu aller comme ça ?

     — Trouver une pute à baiser, flanqué-je, un sourire mutin aux lèvres.

     Il remue la tête et me lance un regard courroucé. Je m'empresse de déguerpir avant qu'il ne me réduise en pièces détachées. Je verrouille la porte de la salle de bain pour ne pas être dérangé. Je me désape, puis abandonne mes fringues sur le rebord du lavabo. C'est là que je me heurte à la vue de mon double. Une superbe tâche sombre orne mon œil, je passe brièvement ma main dessus. Je pince ensuite ma lèvre entre mon pouce et mon index, un filet d'hémoglobine s'en échappe que ma langue fait disparaître. Le goût ferreux, mais agréable de celle-ci s'infiltre dans ma bouche. En détaillant mon torse, je remarque quelques marques ici et là. En somme, mon état laisse un tant soit peu à désirer. Je finis toujours comme ça, à force j'ai fini par m'y faire.

     J'ébouriffe mes cheveux avec ma serviette pour les sécher plus rapidement, puis abandonne celle-ci sur mon lit défait. Je n'ai pas pour habitude de faire celui-ci au réveil, mais je décide exceptionnellement de le ranger aujourd'hui. Je choisis ensuite des fringues au hasard dans mon armoire, rien d'innovant, juste un jean noir et un sweat de la même couleur ; puis j'enfile mes Docs. J'enroule mes bandes, lavées au préalable, autour de mes doigts et termine par mes bagues que j'insère dans mes deux pouces. J'attrape enfin mon sac-à-dos et m'empresse de sortir d'ici. Une fois hors de l'immeuble, j'introduis une clope entre mes lèvres et colle mon briquet au bout de celle-ci. La flamme qui en jaillit donne vie à ce fragment de papier. J'aspire la fumée jusqu'à essoufflement, puis l'expulse dans l'air ambiant. Je me brûle la poitrine encore longtemps lorsqu'émerge soudainement de mon esprit, la voix de la petite fille. Un sentiment de culpabilité me submerge et je lance le mégot à mes pieds avant de le piétiner. Verrai-je son visage à chaque fois que je fumerai ? Fais chier ! Et puis merde ! Je glisse mes mains dans mes poches et m'élance vers la route.




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