Chapitre 4

     J'avance vers la cuisine en baillant. Je n'ai pas eu la meilleure nuit de ma vie, mais j'ai réussi à dormir plus de six heures, c'est un exploit. J'ouvre le frigo, et m'empare d'une bouteille d'eau. Mon regard se rive alors sur lui. Il s'est endormi sur son fauteuil ravagé, des cadavres de bouteilles jonchent autour de lui. J'avale une bonne gorgée d'eau en l'observant. Son visage ne présente aucune ride, il semble dormir paisiblement. Le morose tableau de cet homme alcoolique me rappelle à quel point notre vie est morne. Un fils ravagé par la peine à cause de son père également accablé. Une fugace douleur m'étreint le cœur. J'essuie d'un geste rageur la perle salée qui s'est glissée sur ma joue. Un homme, ça ne pleure pas, me répété-je mentalement.

     Muni d'un sac poubelle, je glane toutes les bouteilles qui parsèment le sol, je range ensuite celui-ci dans un coin de la cuisine. Je chope un balai et décide de mettre un peu d'ordre dans tout ce binz. Il ne me faut pas plus de vingt minutes pour terminer avec le salon et les couverts sales. Cet appart miteux ressemble maintenant à quelque chose. Un bruit de friction venant du canapé parvient à mes oreilles, mes pupilles s'ancrent aussitôt dans les siennes dépourvues d'âme.

     — Qu'est-ce qui s'est passé ? grogne-t-il.

     — Ce qu'il s'est toujours passé depuis des années maintenant, rétorqué-je d'un ton polaire.

     — Où sont mes bières ? s'insurge-t-il.

     J'en reviens pas que ce soit la première chose à laquelle il pense. Il va finir par crever et dans son cercueil on y déposera ses précieuses bouteilles.

     — Je les ai vidé une à une, sifflé-je.

     — T'as fait quoi ? gueule-t-il.

     — T'es qu'une grosse merde, regarde-toi ! Tu ne penses qu'à te saouler la gueule, matin, midi, soir. Tu ne fais que ça ! Ça remonte à quand la dernière fois que t'as été sobre ? craché-je.

     — La ferme ! Tu vaux pas mieux que moi, toujours à te défoncer avec ces saletés.

     — Ces saletés m'aident à oublier ta putain d'existence ! meuglé-je.

     Il me lance un regard torve avant de se laisser choir sur son siège. Il passe hargneusement sa main dans ses cheveux. Un soupir s'échappe de sa bouche et j'expire longuement l'air emprisonné dans mes poumons avant de m'asseoir à mon tour loin de lui.

     — Comment ça se passe au lycée ? s'informe-t-il.

     Il fait exprès d'ignorer ce qui vient de se produire comme d'habitude. Ça a le don de m'irriter. Il esquive toujours tout comme si ça n'avait pas la moindre foutue importance. La seule chose qui l'intéresse, ce sont ses putains de bouteilles et passer ses nerfs sur moi.

     — J'y vais plus depuis un moment, largué-je.

     — Pourquoi ? demande-t-il dans un calme qui me sidère.

     — Parce que je n'en vois pas l'intérêt, me contenté-je de répondre.

     — Tout ce que j'attends de toi, c'est que tu obtiennes tes diplômes, donc tu vas y retourner.

     — On en parle de ce que moi, j'attends de toi ?

     Il redresse vivement la tête et rive ses yeux dans les miens. Son regard est dénué de toutes émotions, tout ce que j'arrive à y percevoir, c'est une profonde lassitude.

     — Rio... commence-t-il d'une voix blanche. Je ne veux pas que tu finisses comme... moi.

     Mes sourcils se froncent de stupéfaction face à son éclair de lucidité et l'intensité du moment. Je m'enfonce dans un tourbillon d'interrogations. Pourquoi me dit-il ça maintenant ? Va-t-il enfin redevenir comme avant ? J'ai de vagues souvenirs de l'Antonio d'autrefois. Ces morceaux de bonheur éphémère que je conserve précieusement. Ai-je vraiment jamais gouté au bonheur ? J'ai comme un arrière-goût dans le creux de la gorge. Je ne suis pas fait pour lui. Les gens comme moi ne méritent pas d'être heureux.

     Antonio se lève en titubant, je m'élance à sa hauteur afin de lui prêter main forte. Il me repousse en prétextant ne pas avoir besoin de mon aide. Je le regarde se diriger en clopinant vers le frigo d'où il extirpe une bouteille d'eau. Il revient ensuite près de moi, et pose une main sur mon épaule. Je n'ose pas le fixer, tellement déstabilisé par la situation.

     — Je serai à nouveau sobre, m'assure-t-il.

     Je ne crois pas à ce bobard. Combien de fois me l'a-t-il rabâché ? Combien de fois a-t-il allumé mes espoirs d'un futur meilleur pour nous, pour ensuite éteindre la flamme ? Les gens comme lui ne changent pas.





❪756 mots❫

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