Chapitre 3
Je déambule dans les rues de Sunstorm en songeant à quel point j'aimerais me barrer de ce trou perdu. Je n'ai aucunement l'intention de me rendre au lycée, ça fait un moment déjà que je n'y vais plus parce que je n'en vois pas l'intérêt. Au cœur de ces murs, je me sens oppressé. Les gens te regardent toujours de travers parce que tu n'es pas comme eux, une infinitude vous sépare. Et étant donné que j'ai un goût prononcé pour la rixe, je préfère me tenir à carreaux. Finalement, bagarre ou pas, des stigmates embellissent toujours ma peau. À force je m'y suis habitué.
∗
Je me dirige vers l'immeuble inachevé, dans lequel je passe la plupart de mon temps à ne rien faire d'autre que niquer mes poumons et sniffer de la came. Ma vie se casse déjà la gueule depuis bien longtemps. Tout ça à cause de mon paternel. Ma mémoire possède les bribes de souvenirs heureux qu'on a vécu à une lointaine époque. Elle les garde dans le coin le moins ravagé de mon esprit. À chaque fois qu'il me cogne dessus, je m'efforce de penser à ça, et j'ai l'infime espoir que tout ira mieux.
Les travaux de ce bâtiment se sont brusquement arrêtés pour une raison que j'ignore. Les responsables de cette ville ont certainement pensé que vingt immeubles truffées de misérables tel que mon père et moi suffisaient amplement. On ne trouve que des nécessiteux à Sunstorm et Moostone, à l'exception de quelques mecs qui ont fait fortune en quittant ce trou à rats et quelques personnes qui s'en sortent grâce à des commerces tels que des épiceries, des boulangeries, des drugstones, etc. Les bourges se trouvent dans les quartiers huppés comme Biltz et Génésis et les moyens, c'est-à-dire ceux qui sont ni pauvres ni riches, se localisent à Reeves et Tinder. Pour faire simple, Riverside est organisé en classes sociales. Le Gouvernement ne pouvait pas faire plus original.
∗
En gravissant les marches, je croise quelques gars avec qui je traîne. Je leur adresse un signe de tête en salut. J'achemine ensuite mes jambes vers Enrique et sa bande, nous nous passons des commodités, je m'installe alors à côté de ce dernier. Enrique est le seul ami que j'ai. De deux ans mon aîné, c'est un gars de carrure athlétique, aux cheveux coiffés ras et aux yeux d'un vert glacial. Il fait une tête de moins que moi, pourtant il dégage une aura insondable. Il a également un désir accentué pour les rifs.
— Ça boume, mec ? introduit-il pour débuter la conversation.
— Ouais, nickel. File-moi un joint.
— C'est quoi ces marques ? Tu t'es encore fait démolir par ton ivrogne de paternel ?
— Ta gueule ! Y'a que moi qui ai le droit de l'appeler comme ça ! Et puis, mêle-toi de tes couilles.
— Hou, il est à cran en plus, ironise-t-il.
J'ignore sa remarque et focalise toute mon attention sur ce bout de papier roulé qui me permet de frôler le bonheur du bout des doigts. J'aspire une énorme bouffée de cette substance grise avant de l'expulser dans l'atmosphère. Je renouvelle la même action avec frénésie. Cette peine sournoise, que j'éprouve tous les jours s'accapare de mon cœur, et je sombre dans une spirale de pensées obscures.
J'ai les poumons calcinés d'avoir tellement fumé, mais je me sens bien. J'ai l'illusion d'aller bien. Je vérifie l'heure qu'il est sur ma montre. Parfait. Je termine normalement les cours à cette plombe. Je quitte le fauteuil laminé sur lequel j'étais et m'apprête à m'arracher, mais Enrique m'interpelle.
— Tu t'arraches déjà ? Il est à peine quatorze heures.
— Ouais, mais j'ai pas que ça à faire, argué-je abruptement.
— T'es bizarre aujourd'hui. Relax Max, plaisante-t-il.
— Dixit le gars qui pète un câble pour rien, rétorqué-je.
Il s'esclaffe, puis me tapote l'épaule. Je lui tourne le dos, et fais le même trajet en sens inverse. Alors que j'arrive près de mon immeuble, je croise une gamine qui louche sur mes bandes et mon visage défiguré. Ses longs cheveux bruns tombent en cascades sur ses minces épaules, et ses yeux bruns et étirés me fixent. Son regard insistant et si empli de douceur me déstabilise à tel point que je détourne les miens. Je songe que j'ai perdu mon âme d'enfant. Je l'envie d'une certaine manière, parce que j'ai perdu ces yeux-là. Je ne vois plus la vie avec ces pupilles étincelantes de curiosité et d'humanité.
Alors que je m'apprête à continuer mon chemin, je sens une minuscule main s'emparer de la mienne. La petite fille. Mes iris s'accrochent aux siennes. Ne sachant quoi faire, je m'accroupis maladroitement afin d'être à sa hauteur. Elle dissipe le lourd silence qui nous enrobe en lançant d'une voix de cristal :
— Pourquoi es-tu si profondément triste ?
Sa question résonne au plus profond de mon être, me percute en pleine poitrine, pourtant je suis incapable de lui fournir une réponse. Comment a-t-elle pu percevoir mon mal-être avec autant de transparence ? Peut-être, est-ce inscrit sur mon front ? Je demeure statique tandis que sa main quitte la texture cotonneuse de mes bandages. Ses lèvres s'étirent en un sourire irradiant, puis ses bras viennent s'enrouler autour de mon cou. Mes orbes s'écarquillent à son contact. Sa longue chevelure vient titiller mes narines. J'ai l'esprit entortillé et mon cœur se casse la gueule dans mon thorax. Recouvrant enfin mon sang-froid, je la prends à mon tour dans mes bras, en caressant sa délicate chevelure. Un furtif sourire s'allume sur mes lèvres. Un sourire sincère et gorgé de plénitude. Qui est donc cette petite ? Serait-elle un ange ? Elle fait mine de bouger, je me défais à regret de son corps, ne voulant me soustraire à ses rayons solaires.
— Prends soin de toi, lance-t-elle avant de s'éloigner en courant.
Je l'observe légèrement pantois. Mon sourire avait déserté et elle débarque comme une fleur me le rendre, même s'il n'a été que de courte durée. En fermant les yeux ce soir, l'image de son beau visage s'est imprimée dans mon esprit, et j'ai sombré dans le sommeil le soleil aux lèvres, oubliant presque la douleur de mes blessures.
❪1034 mots❫
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