Chapitre 14

     J'ouvre doucement les paupières. La lumière du jour se réverbère sur les vitres de la fenêtre. Pris d'un bâillement, ma bouche s'ouvre grandement. Je me retourne sur le dos et reste allongé un long moment. Je m'assois ensuite au bord du lit dans le but d'émerger complètement. Un juron s'évade de ma bouche dès que mes pieds touchent le sol. Il est froid comme de la glace. L'hiver augure d'être rude. Furetant dans les poches de mon sweat, j'en extrais un paquet de clopes et mon briquet en fin de vie. Je m'en grille une, sur le balcon, avec une vue imprenable sur les alentours de mon immeuble. Le flouze que je vais me faire va me permettre de nous trouver un appart plus convenable que celui-là, dans un quartier tel que Tinder. Si mes calculs sont bons, il me faudra au moins un mois pour amasser suffisamment de blé. J'écrase ma clope contre la balustrade et balance le mégot dans le vide. De retour dans ma chambre, je grippe ma serviette et file à la douche. C'est dimanche aujourd'hui. Les gens normaux vont à l'église, moi je vais dealer de la mort en sachet.

     Je pénètre dans le Dwight Club, un club qui organise des combats de boxe illégaux. C'est le premier endroit auquel j'ai pensé. La consommation de substances illicites est monnaie courante dans ce genre de coin. Je me fait petit durant toute la durée de l'entraînement. Dans une telle situation, il vaut mieux se tenir à l'écart au risque d'être allié à la pile d'emmerdes de quelqu'un d'autre. Chacun lave son linge sale, comme on dit. J'admire les gars qui s'affrontent sur le ring. Je n'ai jamais songé à faire de la boxe. On peut dire que j'ai appris à donner des coups par mes propres moyens. Étant donné que j'ai du mal à contenir la violence qui circule dans mes veines. Il faut croire que c'est héréditaire, j'en ai déduis que la boxe c'était pas pour moi. Qui sait jusqu'où je pourrais aller. D'autant plus que ces combats se terminent souvent de la pire des façons. À Sunstom, les rumeurs se propagent à la même vitesse qu'une trainée de poudre.

     — Hé, petit ! Tu veux apprendre à boxer ou t'es là pour les paris ? me gronde-t-il.

     Voici l'une des raisons pour lesquelles les gentilles personnes aux gueules d'ange n'ont rien à foutre ici. Les paris sont aussi dangereux que le sale boulot que je m'apprête à faire. C'est un monde cruel et impitoyable, truffé de magouilles tordues, et dont la seule issue possible c'est de finir deglingué ou flingué. Autant se foutre en l'air en se jetant d'une falaise plutôt que d'y fourrer les pieds.

     — T'es l'un des responsables ? le questionné-je en comblant la distance qui nous sépare.

     — Toi, t'es nouveau, je parie, raille-t-il. Qu'est-ce que tu cherches ?

     — Je veux juste vendre quelques babioles.

     — Quelques babioles, tu dis ? De quel genre ?

     — Du genre poudre blanche.

     Le mec chauve me lance un regard suspicieux, renifle bruyamment, puis scrute les alentours à l'affut d'une oreille indiscrète.

      — Il vaudrait mieux qu'on en parle ailleurs qu'ici, si tu vois ce que je veux dire. Attends-moi dehors, je reviens.

     Si ce type est prêt à payer, je me suis déjà dégoté un client fidèle. Plusieurs regards se font insistants avant que je ne me retourne pour me diriger d'un pas engourdi vers la sortie. Pour les habitués de l'endroit, j'ai sûrement une gueule d'ange. Si seulement ils savaient que mon âme est tout sauf angélique.

     J'attends patiemment à l'extérieur, les mains enfoncées dans les poches de mon sweat. Environ cinq minutes s'écoulent, puis le type de tout à l'heure réapparaît fagoté d'un jean et d'un blazer. Il me reconnaît, glisse sa main sur mon épaule et m'entraîne plus loin. Je sourcille en pensant : « il me prend pour son pote », pour se permettre autant de familiarité. Puis, pourquoi tient-il à autant de discrétion ? Quiconque fréquente ce genre de milieu n'ignore pas que la plupart des participants, à ces combats illicites, consomment toutes variétés de drogues dans l'optique de booster leur punch. À moins qu'avoir recours à ce procédé soit rédhibitoire.

     — C'est interdit de se doper, apparemment, formulé-je.

     Il abandonne mon épaule pour se placer en face de moi et me regarde en chien de faïence. Je soutiens son regard.

     — Ouais, sur ce coup-ci c'est interdit dans le règlement.

     — Je trouve ça insensé, mais bon. La seule chose qui m'intéresse c'est de savoir si tu vas devenir un de mes fidèles clients, débité-je.

     — Sûr que oui, annonce-t-il, enjoué.

     — Bien. Alors, un sachet de dix grammes à dix dollars. J'en ai vingt à liquider avant samedi. Je te le dis au cas où tu pourrais me dégoter d'autres acheteurs.

     — T'es un bleu dans le milieu, on dirait.

     — Bingo ! lancé-je, excédé.

     — Je connais pas mal de gens à qui ça intéresserait, mais j'y gagne quoi, moi ?

     Je m'attendais à ce que ce trouduc me sorte une connerie de ce calibre. Ça me met les nerfs encore plus à vif que tout à l'heure. S'il pense qu'il aura un pourcentage, il se fourre le doigt dans l'œil.

     — Un fédèle fournisseur, argué-je en haussant les épaules.

     — Ha ha, tu me plais bien, toi. Je vais t'en prendre deux pour l'instant. Reviens de temps en temps dans le coin au cas où.

     Il me tend les billets, je les empoigne et les enfonce dans ma poche . J'ouvre ensuite mon sac, récupère deux paquets que je lui file discrètement. Plus que dix-huit à brader.

     — Bien. Je m'arrache, à la prochaine, gamin, conclut-il en s'éloignant.

     J'expire bruyamment, puis m'élance sur la route. Ce job n'a rien de pénible en fin de compte. Tu échanges juste des sachets contre des billets, pour en avoir en retour. Les seules contraintes sont de réussir à tout liquider dans une durée limitée et d'éviter de se faire prendre par les keufs. C'est un moyen plutôt rapide, puis pour neuf cents dollars par semaine, ça vaut quand même le coup.



    
❪1012 mots❫

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