Sorène

Si j'étais un agneau, un petit agneau tout blanc, tout doux, tout chétif, alors les autres seraient des loups. Des prédateurs cruels sans foi ni loi qui se tapissent dans l'ombre et attendent le meilleur moment pour me sauter à la gorge et me dévorer.

Je me sens comme un agneau
Qui dit pardon au loup

Des loups patients, des loups rusés, des loups intelligents, il y en a. Mais il y a aussi ces autres loups, mes loups. Ceux-là sont sauvages, ils ne pensent pas, ils agissent. Ils n'aiment pas attendre, ils veulent du sang, là, tout de suite, dans l'instant. Ils veulent tuer, déchiqueter, ils veulent sentir la peur sur la peau de leurs proies, lire dans leurs yeux terrifiés l'histoire d'une vie dominée par la peur et la souffrance, ils aiment cette peur, ils se régalent de cette chaire tendue par la constante frayeur de mourir, de mourir sous leurs crocs.

D'avoir été trop lent
À lui offrir son cou

Ce sont des loups qui aiment afficher leur domination, ils n'aiment pas les agneaux comme moi, les petites créatures faibles et insignifiantes. Alors ils les tuent.

D'avoir pris trop de place
D'avoir trop résisté
D'avoir vu sa robe de rouge se tacher

Ils les tuent et regardent leur sang imbiber la terre, noyer leur robe de laine pure sous l'écarlate.

Si c'étaient des loups, ce seraient ce genre de loups.

Mais parfois, les hommes sont pires que les loups.

Cette jungle me doit des mea-culpa la pelle
À marcher entre rats, vautours et hyènes

Ils devraient s'excuser, ils devraient implorer mon pardon, à moi, moi l'agneau qui marche entre tous ces prédateurs féroces qui ne veulent que mon sang et ma peur, ils devraient s'excuser mais ce n'est pas dans leur nature.

Et je compte même plus les fois
Où on m'a traité de chienne, non
Je compte même plus les fois
Où on m'a traité de chienne

Pour eux, je suis la catin de service. Celle qu'on peut insulter à tout va sans avoir à se repentir. Celle qui traîne n'importe où, avec n'importe qui. Celle qui vend son corps à des inconnus. Celle qui est la risée de la société. Celle à abattre en premier. Celle à saigner jusqu'à la dernière goutte. Celle qui ne vaut rien. Celle qui est l'échelon le plus bas des hommes.

Celle qui, juste par ses vêtements et par ce qu'on dit d'elle, est forcément celle qu'il faut accuser.

Mais c'est une chienne qui a élevé Rome
Les putes comme moi portent les rêves des hommes

Allez-y, dites-le ! Dites-le que je suis une pute, une chienne, tout ce que vous voudrez ! Tout ce que vous savez de moi, c'est par le bouche à oreille que vous l'avez appris. Tout ce que vous savez de moi, ce n'est rien.

RIEN.

Je n'veux plus supplier
Qu'on me rende mes nuits

Mes nuits, mes jours, quelle différence ? Ils sont là, tout autour, ces loups affamés qui ne pensent qu'à tuer. Ils m'ont pris comme cible, ils ne me lâchent plus. Ils s'acharnent, hurlent et ricannent dans le silence pesant de la nuit obscure où tout est de la même couleur, le sang rouge et les dents blanches, les yeux jaunes et l'odeur de la peur.

Tout se mêle, se confond, tournoie sous la l'œil rond de la lune indifférente.

Mes rues sous les lumières
Des soleils de minuit

La lune, le soleil, quelle différence ? Leur lumière est la même, blafarde et sans éclat, froide et humide sur ma peau suintante. Suintante de peur, de peur et d'atrocités innommables qui coulent sur mon épiderme comme le poison visqueux de leurs mots, de leurs actes.

Qu'on me rende ces fêtes
Qui comblent mes insomnies

La liberté n'existe pas, pas pour moi. C'est un mot synonyme d'illusion, un concept inventé par les agneaux pour rêver que les loups ne sont que des ombres. Des ombres dont on se rit, des ombres sans matière qu'il suffit de défier pour pouvoir vivre sans chaînes.

Mais les loups sont réels, faits de chair, d'os et de sang. Leur propre sang, mais aussi celui des agneaux qui croyaient encore en l'espoir, le sang à l'éclat métallique qui coulent sur leurs babines, le sang tout chaud qui fuit leur corps morts sous l'ombre de la nuit, là où la justice - illusoire, comme le reste - ne peut ni voir ni agir.

Sans l'ombre d'une main
Qui flotte et se pose sur ma cuisse

Ils m'appellent chienne, ils m'appellent fille de trottoir. Mais je suis ce qu'ils ont fait de moi, ce sont leurs yeux qui me transforment en ce que je suis, leurs regards qui m'habillent, ce sont leurs âmes que je porte comme chaîne.

Cette ville me doit des mea-culpa à la chaîne
À marcher entre les rois qui tuent les reines

Le combat impitoyable entre loups et agneaux, entre rois et putains, entre prédateurs et proies. Le combat inégal de la force contre la faiblesse, du pouvoir contre l'impuissance.

Et je compte même plus les fois
Où on m'a traité de chienne, non
Je compte même plus les fois
Où on m'a traité de chienne

Allez-y ! Criez, hurlez, tapez du pied, victimisez-moi !

Je sais ce que je suis, je l'ai toujours sû et rien ne pourra m'ôter cette certitude : je suis moi. Je suis moi, et moi seule, moi et pas ce que vous avez fait de moi. Je suis moi, et la seule manière de l'être pleinement est de vivre dans un monde différent du vôtre.

Mais c'est une chienne qui a élevé Rome
Les putes comme moi portent les rêves des hommes

Rêvez, rêvez, rêvez encore et rêvez toujours ! Vous ne m'aurez pas, vous ne m'aurez plus, jamais plus je ne sentirai sur ma peau les griffes de votre pouvoir, les mots et les insultes, les coups et les crachats de vos langues qui ne savent plus que la haine.

Mais c'est une chienne qui a élevé Rome
Les putes comme moi portent les rêves des hommes

Rêvez, car vos rêves seront tout ce qu'il reste de moi, à présent.

Si je dois mourir pour vous échapper, je mourrai, et avec plaisir. Je mourrai de ma propre main car c'est la seule en qui j'ai encore confiance en ce monde où la trahison et la haine collent à nous comme du bitume fondu sous les semelles de nos chaussures.

Certains me doivent des mea-culpa à genoux

Vous n'aurez jamais ce que vous espérez de moi. Jamais.

Mais préfèrent cracher leur venin debout

Là où vous voyez la peur, je vois la force. La force de faire ce qui doit être fait.

Et je mangerai leur langue si c'est le prix du silence

Le sang qui teinte ma douce fourrure d'agneau est la preuve que j'ai eu le courage de me libérer.

Le courage que certains attendent, moi je l'ai vu, je l'ai vu en moi. Ce courage dont ils rêvaient, je l'ai trouvé dans mon propre sang, dans ma propre main.

Je mangerai leur langue si c'est le prix du silence

Quand vous arriverez, mon corps sera froid, mon sang aura séché et vous aurez beau crier votre rage vers le ciel impitoyable, vers l'horizon sanglant, vous ne m'aurez jamais.

Car je me suis libérée.

~1216 mots~

Chanson : Rome, de Solann

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