Vive les mariés...
Un soleil brûlant, un ciel azur, une température estivale : une journée idéale pour un mariage.
Pressée de tous côtés par les enfants à mes pieds et les beaux-parents de la mariée derrière, je n'ai qu'une envie : ne pas être là. Tous guettent la sortie des époux de la mairie avec leur smartphone prêt à prendre le cliché parfait.
Je dois dire qu'elle est radieuse. Éblouissante. Ses yeux verts brillent de joie. Sa robe blanche sirène aux dentelles élaborées ne tarde pas à recevoir une myriade de pétales rouges. Elle sort un petit rire et essaye avec une main, de couvrir son visage de ces assauts floraux. Main dans la sienne, le dos bien droit, et un sourire de façade, mon nouveau beau-frère.
Je me surprends à avoir un sourire ému. Qu'est-ce que je fais ? Je ne peux pas me permettre d'être heureuse.
Deux jours que ma mère est à la clinique pour overdose de médicaments. Pas un coup de fil, pas une visite de la part de ma cadette.
Rien. Elle ne s'inquiète pas pour elle ? Elle s'en moque ? Comment le peut-elle ? J'espère qu'elle perçoit dans mon regard la déception que j'ai à son égard. Je comprends qu'aujourd'hui elle veuille profiter, c'est le plus beau jour de sa vie, mais hier elle avait tout son temps.
Je suis déçue de toute ma famille. Ça ne dérange donc personne que les parents de la mariée soient absents ?
Tout s'est enchaîné dans la traditionnelle lenteur des mariages, les séances photos, le buffet apéritif... Ma sœur est accaparée par tout le monde, n'ayant eu pour moi qu'un rapide : « oh tu es magnifique sœurette ! Ça va ? ». J'ai discuté rapidement avec la famille du marié, sa cousine notamment, une femme d'affaires. Elle était sympathique mais un brin professionnel. Je lui ai touché deux mots de mon projet d'ouvrir un cabinet d'avocats, elle était optimiste quant à cette idée et m'a dit pouvoir m'être utile. J'aime ce côté serviable.
La salle de réception correspond parfaitement au thème chic et floral. Elle avait coûté cher sûrement. Une sublime maison bourgeoise entourée d'un bois et de jardins. Nous sommes à l'étage, qui se finit avec une grande terrasse aux balustrades en pierre blanche. Des pots de fleurs aux bouquets sophistiqués encadrent l'entrée et, en modèle réduit, surplombent les tables nappées. Des touches de verdures par-ci par-là, la décoration a été bien travaillée. La wedding-planer est douée.
Je me contiens de rire devant la tête dépitée de ma fille lorsqu'elle se rendit compte qu'elle était placée avec les enfants. Les trois adolescents firent cette même tête après avoir levé les yeux au ciel. Ils s'étaient mis tout au bout de la table, ont sorti leur portable, et ont attendu ainsi l'arrivée des plats de consistance sans se dire un mot. Je me surprends à observer ma fille. Ses cheveux roux qu'on mit une heure à lisser, encadraient joliment son visage. Ses yeux marron où s'y reflète l'écran bleuté de son iPhone, sont profonds et sa bouche rosée ne laisse transparaître aucune émotion. Elle est belle. Elle aussi n'a pas le cœur à la fête.
Je discute, mange un peu sans appétit, ris aux blagues pourries de mon oncle, comme une machine qui exécute son programme. Cette atmosphère m'étouffe. Encore plus dès que la playlist démarre avec toutes ces chansons déjà entendues en boucle à la radio, qui bizarrement, reste toujours dans la tête. Je n'ai bu que deux verres de vin rouge, et pourtant, j'ai mal au crâne.
On commence à danser sur la piste. Là, je sors. Aucune envie qu'un homme célibataire prenant un mariage pour un site de rencontre, vienne me proposer une quelconque danse. J'en avais déjà repéré deux ou trois dans le genre, des amis du marié. Il faut le dire, j'ai presque pitié d'eux. Ou alors pire, ma meilleure amie va m'obliger à danser sur Despacito. Pitié.
Sortie dehors sur la terrasse où traine quelques fumeurs, et après une mine de dégoût à la vue d'une embrassade un peu trop passionnée à mon goût, je pose mes coudes sur la rambarde. J'observe le ciel noir parsemé d'étoiles. Je pousse un petit soupir, le regard rêveur.
Ce ciel. Cet infini. Les étoiles témoins oculaires de chacune de nos vies. De jour comme de nuit, car n'oublions pas qu'elles brillent toujours. La lune, diffusant cette lumière opaline rassurante. Toujours la même face. Elle reste fidèle à elle-même quoi qu'il puisse bien se passer sur la Terre. Elle tourne autour, suit son chemin. Je viens soutenir ma tête avec une main sous mon menton.
— Maman, je savais que je te trouverai là.
Je me tourne rapidement pour voir ma grande rousse esquisser un demi-sourire.
— Tu t'intéresses toujours à l'astronomie lorsque tu n'es pas bien.
Je sors un petit rire nerveux devant autant d'attention.
— Oui c'est vrai.
Elle s'accoude à côté de moi, après avoir placé une mèche de cheveux derrière son oreille, dévoilant sa boucle d'oreille argent.
— C'est mamie c'est ça ? Moi aussi je m'inquiète. Et je m'en veux. J'avais cru comme une débile qu'elle s'était complètement remise de sa dépression et je t'en avais convaincue. Tu parles.
Je baisse le regard. C'est adorable de sa part, mais elle n'y est pour rien. Moi aussi, j'ai cru. Je prenais ses faux sourires pour des vrais. Quelle idiote... je me sens niaise. J'aurais dû le voir. On n'en serait pas venu là...
— Il y a autre chose ? me demanda-t-elle. J'ai vu que tu n'as presque rien mangé.
Il n'y a pas que moi qui est observatrice apparemment.
— Un dossier compliqué ? Un client misogyne ? reprit-elle sérieusement.
Je ricane. C'est vrai que j'ai déjà eu des clients difficiles. Je m'en plaignais à la maison en rentrant à fleur de peau.
— Non ça va niveau taff. Ne t'inquiète pas.
Elle m'offre un sourire sincère rassuré.
— Alors il n'y a rien d'autre ?
J'entoure ses épaules avec mon bras.
— Rien d'autre. Je t'assure. C'est la vérité. Peut-être que l'heure tardive et le vin jouent aussi sur mon moral.
— Okay.. Tu sais que Cassy se déchaîne sur la piste ? Avec ton groupe d'amies, quelles sont dynamiques ! On les entend rire d'ici.
Ça ne m'étonne pas d'elles. Champagne, chanson pourries et mes amies, le combo gagnant. Heureusement que ma sœur les apprécie.
— Tu ne devrais pas être avec tes amies, ou ta cousine ? Plutôt qu'être là avec ta vieille mère.
Je la taquine, car en vrai, j'apprécie beaucoup sa présence.
— Ma cousine a un crush sur le petit frère du marié, dit-elle en levant les yeux au ciel.
C'est vrai qu'ils ont le même âge.
— Et les autres ce sont pas mes amis. Comment te dire que des gars qui décollent pas de leur portable pour jouer sur Fortnite ou sur Insta pour draguer des meufs, c'est pas mon truc.
— Ah oui... Je comprends.
Elle roule ses yeux, jette un œil à son portable et me le tend.
— Un message de papa. Je réponds quoi ?
— Rien. Je lui dirai.
Une notification apparaît sur l'écrans, et son portable se retrouve bien vite entre ses mains. Elle se passe une main sur le visage, pas une bonne nouvelle on dirait.
— Sérieux, Brenda ! s'exclame-t-elle en soupirant d'énervement. Elle a trop bu et maintenant elle me demande de rester à ses côtés pour vérifier qu'elle ne fasse pas n'importe quoi. D'où je suis sa nounou ?
Je hausse les épaules réprimant un rire.
— Bon.. Désolée mam'.
Elle part en pianotant sur son clavier, et avec son départ, le silence de la nuit revient. Quelque peu dérangé par un brouhaha émanant de la salle de réception, tout de même.
Je sors mon téléphone, minuit 20. Deux messages reçus, Cassy : « T'es où ? On s'éclate ! ». Je soupire. Mon mari : « Ça va chérie ? ».
Il est en déplacement professionnel à New York. Je jette un regard au jeune couple enlacé. Depuis quand est-ce que je ne l'ai pas serré dans les bras ? Je fais tourner mon alliance en or blanc, le cœur serré. Ça ne me ressemble pas d'éprouver un tel manque. Ils sont courants, ces déplacements.
Je sens que j'ai besoin de lui parler. Vu l'heure je ne pense pas qu'il puisse répondre, il est 18 heures là-bas. Il doit sortir de rendez-vous, ou y être encore.
Je tente : « On peut s'appeler ? ». On verra bien. Je porte mon attention sur les jardins, à la française, avec deux bassins et une fontaine. Ce doit être agréable une balade ici, surtout avec les températures fraîches de la nuit. Apparemment je ne suis pas la seule à le penser : ma sœur et son nouvel époux aussi. Ils marchent main dans la main sur le chemin pavé entre les bosquets.
Je ressens un sentiment que je n'ai pas pour habitude ressentir. Un sentiment qui te déprime, t'oppresse, te donne envie de verser des larmes.
La solitude.
Ce doit être l'heure tardive qui fait ça, je ne suis pas émotive normalement. Pourtant là, j'ai envie de pleurer toutes les larmes de mon corps. Je deviens légèrement tremblante. Ressaisis-toi enfin ! La culpabilité en profite pour m'assaillir.
Tu ne passais pas assez de temps avec ta mère. Tu as fait passer le boulot avant elle. Tu n'as rien vu. Elle essayait de te le faire comprendre. Rappelle-toi sa réaction lorsque tu as reporté ton dîner chez elle. Comment tu as pu être aussi aveugle ? Elle sortait d'une dépression, tu le savais.
Une larme déborde de mon œil.
La sonnerie de mon portable manque de me faire rater un battement. Je décroche immédiatement à la vue de son nom.
— Allô ..?
Ma voix est fébrile.
— Chérie ? Oulah, comment tu vas ?
Réentendre sa voix après cinq jours achève de m'éclater en sanglots. Les larmes affluent et ma gorge se noue.
— Non.. Je.. Tu.. enfin, je te dérange pas ?
— Qu'est-ce qu'il se passe ? Que t'arrive-t-il ? Ça va ?
Il me paraît affolé.
— Ça va tout sauf bien..
Je tente de cesser mes pleurs. Je ressens une profonde colère soudain.
— Ma mère est à l'hôpital et personne n'en fait cas ! Elle ne mérite pas ça. Elle vient quand même de tenter de mettre fin à ses jours !? N'est-ce pas grave ? J'ai appelé tout à l'heure, l'opération s'est bien passé, ils ont trouvé l'équivalent d'une boîte entière dans son estomac. Une boîte entière ! Et lorsqu'elle se réveillera, elle verra que strictement personne n'a pris de ses nouvelles ! Personne à son réveil pour lui apporter un peu de soutien ! Mise à part mon père et moi, bien sûr. J'irai demain matin. Ils préfèrent faire la fête et finir les bouteilles de champagne ! Ça m'insupporte. Et..
Après avoir déballé le fond de ma pensée, ma voix se brise.
— Oh.. Je suis désolé.. Une boîte quand même !
Je l'entends soupirer d'empathie.
— Oui...
Il allait dire quelque chose qu'il se ravise.
— Et toi, ça va ? lui demandé-je.
Je renifle encore un peu. Les larmes coulent doucement, et je n'ai pas de mouchoirs.
— Oui. Oh j'ai du mal à t'imaginer en train de pleurer, je.. Je me sens frustré de ne pas être là. Je n'aime pas ça du tout..
Je n'arrive pas à dire un mot. Je veux simplement écouter sa voix, sa respiration. Seules choses qui me rappellent qu'il existe.
— Encore désolé pour ta famille... C'est pas chouette... Le mariage tombe vraiment mal.
— Désolée si je t'ai dérangé.. D'habitude je me contiens.
Je me sens nulle. J'ai toujours été seule, indépendante. Pour obtenir mon diplôme, dans le travail où j'ai été seule face à des juges inhumains, j'ai dû défendre des innocents coupables devant tous.
— Je sais bien que tu es quelqu'un de fort. Ne t'en veux pas, c'est normal. Et tu ne me déranges jamais, au contraire. Tu as pu me faire réchapper d'un businessman américain qui voulait négocier le prix jusqu'à 60% ! Non mais ils sont fous ici.
Je ris, je l'imagine bien en train de crier au scandale.
— Ils tentent !
— Ouais bah, faut pas pousser. En plus si je rapporte des contrats comme ça au patron, je me fais virer !
Tu m'étonnes. Un nouveau silence s'installe. Je veux lui dire qu'il me manque. Que je l'aime. Je reste bloquée.
— Vous me manquez toutes les deux. Si je peux rentrer plus tôt, je le ferai.
Il va le dire ?
— Je t'aime.
Une dernière larme coule.
— Moi aussi, énormément. Il me tarde de pouvoir te serrer dans mes bras.
— Ça va aller ?
J'essuie mes yeux avec mes mains. Oui ça ira.
— Oui. J'y arriverai. J'ai vécu pire.
Je retrouve ma voix déterminée.
– Je reviens bientôt. Je te souhaite bon courage. Je dois te laisser, gros bisous mon cœur.
Je bredouille un ''bisou'' avant de raccrocher. Je pose mon téléphone sur la balustrade et prends une grande inspiration.
Demain j'irai voir ma mère, tant pis pour les autres. Je prendrai soin d'elle. Et mon mari rentre dans trois jours. Ce n'est pas le bout du monde. Je ne suis pas complétement seule de toute manière, il y a ma fille et mon père. Cassy aussi, dès qu'elle se sera remise de sa cuite demain. Je peux tout lui confier.
Ça ira. Gardons le moral, voyons les bons côtés.
Restons courageux.
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