Jour 75 - Elliott (Nouvelle-Orléans, Louisiane, USA)
Elliott s'appliqua avec soin un rouge à lèvres rose vif et il examina son reflet dans le miroir. L'effet était plutôt réussi.
Ces dernières semaines, il était devenu expert dans l'art du maquillage. Il faut dire qu'il avait englouti des quantités de tutoriels en ligne pour cela.
Il reboucha le tube, arrangea d'un ultime petit coup de brosse la forme de ses sourcils puis attrapa son sac à main, prêt à sortir.
Depuis bientôt un mois, Elliott n'avait quasiment plus quitté son apparence de femme. Mais dans son cas, c'était volontaire.
Au début de cette pandémie, comme les autres, il s'était senti effrayé et perdu. Mais tandis que les hommes voulaient à tout prix éviter ce qui était pour eux une malédiction, Elliott avait très vite commencé à chercher un moyen de demeurer une femme.
Pas pour toujours, non, juste le temps de vivre une expérience.
Une seule.
Celle de l'orgasme féminin.
Quelques années plus tôt, il avait vu un reportage qui expliquait que ce dernier était beaucoup plus long et plus intense que celui d'un homme et qu'il pouvait même se démultiplier.
Depuis, Elliott brûlait de l'expérimenter.
C'est l'occasion ou jamais... j'ai vraiment hâte de connaître ça, ce doit être incroyable !
Évidemment, les premiers temps, plus il tentait de rester une femme et moins il y parvenait. L'angoisse nécessaire lui faisait défaut. Mais un mois auparavant il avait enfin trouvé une solution : il avait investi la totalité de son argent dans un placement boursier à risque.
Si je perds tout, je me retrouve à la rue...
Cette pensée était suffisante pour lui permettre de garder l'apparence qu'il souhaitait.
Elliott avait ensuite commencé à écumer les boîtes branchées de la Nouvelle-Orléans persuadé que ce serait juste l'affaire de quelques soirées.
N'importe qui conviendra, quelqu'un que je ne connais pas et que je ne reverrai jamais ce serait encore mieux. Je veux juste savoir ce que ça fait.
Malheureusement, il avait rapidement déchanté.
La première étreinte qu'il avait connue en tant que femme lui avait seulement fait mal et, en plus de cela, son partenaire avait roulé sur le côté au bout de dix minutes pour dormir.
Elliott, lui, était resté étendu dans le lit, les yeux grands ouverts.
Pourquoi j'ai eu mal ? Et pourquoi je n'ai pas joui ?
Pour lui, la sexualité féminine était pourtant simple : On insérait quelque chose à l'intérieur et les aller-retour provoquaient l'orgasme.
Ce type et lui avaient fait tout ce qu'il fallait. Le gars avait même rajouté quelques caresses pour faire bonne mesure.
Mais ça n'avait pas fonctionné.
Elliott n'y comprenait plus rien.
Il s'était alors souvenu que la première fois était rarement la meilleure pour les femmes et il avait décidé de réitérer l'expérience quelques jours plus tard.
Sans succès. La douleur n'était plus au rendez-vous, mais il n'avait rien éprouvé de plus que si son partenaire s'était frotté sur n'importe quelle autre partie de son corps.
Frustré, il avait commencé à dévorer tous les reportages et les articles qu'il trouvait à propos du plaisir féminin pour découvrir ce qui lui manquait.
Ce faisant, il avait appris plusieurs choses.
D'abord, la place capitale des préliminaires chez les femmes. Leur qualité pouvait tout changer à un rapport. Inutile de se contenter de vingt à trente minutes de caresses et de baisers rapides. Les articles les plus sérieux expliquaient que les préliminaires devaient durer quarante à cinquante minutes pour que le corps d'une femme ait le temps de connaître les changements qui pourront la mener à l'orgasme.
Elliott avait ainsi appris que le vagin pouvait doubler de longueur et de volume, que le clitoris, convenablement excité, connaissait ce qu'on appelait aussi une érection et qu'il était beaucoup plus étendu que ce que l'on croyait grâce à ses branches internes. Il avait aussi découvert que le col de l'utérus pouvait se déplacer sur le côté afin de rendre la pénétration plus facile et procurer plus de plaisir.
Bordel... je suis sûr qu'il n'y a pas un homme sur terre qui est au courant... et sans doute pas plus d'une poignée de femmes !
Il avait aussitôt entrepris d'expérimenter sur lui-même ses nouvelles connaissances et, en quelques séances, il était parvenu à se procurer un orgasme plutôt satisfaisant.
Mais ce que je veux moi, c'est en avoir un avec un partenaire !
Toutes les sources s'accordaient à dire que lorsqu'il était bien fait, un rapport sexuel permettait d'obtenir un orgasme de bien meilleure qualité que celui obtenu par la masturbation.
Elliott n'avait pas baissé les bras. Maintenant qu'il savait ce qu'il cherchait, ça n'était qu'une question de temps avant qu'il ne le trouve, il en était certain.
Il avait alors continué à passer de bars en boîtes de nuit, enchaînant les types qui lui semblaient le plus à même de lui donner ce qu'il voulait.
Bien sûr, ce faisant il n'avait pas oublié de se protéger, il n'était pas stupide.
J'ai pas envie de me retrouver avec une saloperie non plus...
Mais rien à faire.
Le plaisir semblait se refuser à lui et, quelques jours plus tôt, il avait même été à deux doigts de gifler sa conquête d'un soir qui lui avait lâché un : Alors, ça t'a plu ?
Non connard, s'était-il retenu de lui balancer à la figure, tu t'y es pris comme un pied. C'est pourtant pas compliqué d'écouter ce que je te dis, non ?
Force lui était de se rendre à l'évidence : ces hommes se souciaient plus de leur propre plaisir que de celui de leur partenaire.
Je m'y prends peut-être mal, se dit-il en sortant ce soir-là. Je devrais peut-être chercher un homme différent...
Mais un autre sujet avait commencé à le tourmenter.
Le fait qu'il n'était plus redevenu un homme depuis plusieurs jours.
Généralement lorsqu'il se levait le matin, il lui fallait quelques minutes pour devenir une femme et ensuite, il ne quittait plus cette peau de la journée.
Toutefois depuis quelques jours, ça n'était plus nécessaire.
Peut-être qu'à force de vouloir rester une femme, c'est devenu... définitif ?
Rester une femme pour toujours ne faisait pas partie de ses projets. Il y avait bien trop d'inconvénients.
Finalement, il avait pris la décision d'aller voir le médecin.
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Deux semaines plus tard
Le docteur revint dans le cabinet, les résultats de la prise de sang à la main.
– Félicitations, dit-il. Vous êtes enceinte.
Elliott faillit en tomber de sa chaise.
– Quoi ? Répondit-il. Impossible, je suis un homme !
Le médecin leva les yeux et il le regarda de haut en bas.
– Apparemment, c'est possible, dit-il. Les résultats sont formels. Vous avez eu des rapports non protégés ces derniers temps ?
Elliott réfléchit.
– La capote a bien craqué une fois ou deux, dit-il, mais c'est tout.
Il ne s'en était pas inquiété sur le moment. C'était des choses qui arrivaient. Quand il était un homme, ce genre d'incidents lui sortaient très vite de la tête.
– Une fois suffit vous savez, lui rappela le médecin.
– Bon peu importe. Donnez-moi un médicament, que je m'en débarrasse.
Le médecin eut l'air navré.
– Je suis désolé, mais l'avortement est interdit dans l'état de Louisiane.
Elliott était abasourdi. Ce détail lui avait totalement échappé.
Il se pinça le nez entre deux doigts et réfléchit.
Tout cela ressemblait de plus en plus à une mauvaise blague.
– Ok... Dit-il. Alors où dois-je aller pour me le faire enlever ?
– J'ai peur que ce soit difficile, lui dit le médecin. Le Texas, l'Arkansas, l'Oklahoma, le Mississippi, l'Alabama ne l'autorisent pas non plus. Il restait bien la Floride, mais vous avez dépassé le délai de six semaines légales. Votre dernière possibilité, c'est le Nouveau-Mexique.
Elliott le regarda comme s'il était en train de se moquer de lui.
Il lui proposait vraiment d'aller à plus de mille miles de là (NDA : environ 1700 km), juste pour un avortement ?
En plus, où je vais trouver le fric ? J'ai tout investi en bourse...
Ces dernières années, Elliott, comme tout le monde, avait entendu parler de ces restrictions concernant l'avortement qui avaient envahi les États-Unis, mais il ne s'y était pas vraiment intéressé.
Cela ne concernait que les femmes, pas lui.
Il n'avait jamais imaginé qu'il se retrouverait un jour dans cette situation.
– Vous... êtes en train de me dire, dit-il, que je vais être obligé de garder cette chose ?
C'était ubuesque. C'était quoi cette loi qui vous interdisait de faire ce que vous vouliez de votre propre corps ?
– Il ne s'agit pas d'une chose, le corrigea le médecin. Mais d'un bébé. Vous allez avoir un bébé.
Puis après un instant il conclut :
– Félicitations, vous allez être maman !
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