Jour 325 - Elliott (Louisiane, USA)
Elliot avait beau se retourner dans son lit, il n'y avait rien à faire, aucune position ne lui était confortable.
Finalement, il se leva pour aller s'asseoir sur le rebord de sa fenêtre d'où lui parvenait un souffle de brise agréable en cette fin d'été.
Durant une seconde, il regarda son paquet de cigarettes posé sur un meuble depuis des mois et il soupira avant de s'adresser à son gros ventre.
– Tu sors de là quand tu veux, hein ?
Cela faisait presque neuf mois à présent que Elliott était bloqué dans ce corps de femme enceinte.
Ou quarante semaines d'améno-je-sais-pas-quoi comme dit cet abruti de médecin...
La première fois que le gynécologue avait employé ce genre d'expressions devant lui lors de l'examen du premier trimestre, Elliott avait failli lui coller son poing dans la figure. Il faut dire qu'il n'était pas à prendre avec des pincettes depuis qu'il avait appris sa grossesse et tous ces spécialistes, avec leur jargon incompréhensible, le faisaient sortir de ses gongs.
– Parlez un langage que je comprends, bordel ! S'était-il écrié. C'est pourtant pas compliqué !
Le médecin avait sursauté et il s'était repris. Il n'avait pas l'habitude de ce genre de futures mamans.
– Ça veut dire, avait-il dit, qu'il s'est écoulé quatorze semaines environ depuis la conception.
Elliott avait soufflé puis il avait commencé à compter sur ses doigts.
– Ça fait un peu plus de trois mois, avait complété le spécialiste en le voyant faire.
– Bah voilà ! Là je comprends !
Des médecins, Elliott en avait vu des quantités depuis le début de sa grossesse.
Au début, il s'était dit que c'était sûrement parce qu'il était un des premiers hommes à tomber enceinte. Mais son médecin de famille l'avait détrompé.
– Non, pas du tout. Il est certain que votre situation intrigue, mais en réalité, les futures mamans ont beaucoup d'examens à subir durant leur grossesse. C'est une période risquée dans la vie d'une femme.
Beaucoup, c'est un faible mot, avait songé Elliott. Moi j'ai l'impression que la moitié de la Louisiane a vu ma chatte !
Il en était arrivé à un tel point que, désormais, il se déshabillait dès qu'il entrait dans un cabinet sans même attendre que le médecin le lui demande.
Et c'est comme ça que tu t'es retrouvé à poil devant ton dentiste la semaine dernière ! Se dit-il.
Le souvenir de la tête qu'avait faite l'autre en le découvrant en culotte dans la salle de consultation le faisait encore rigoler.
Il laissa son regard partir à la dérive sur la rue en contrebas.
Elliott était tout de même content d'arriver à la fin de cette histoire.
Mener cette grossesse à son terme n'avait pas été sans mal. Déjà qu'on avait commencé par lui interdire d'avorter.
Aussitôt qu'il avait compris qu'il ne pourrait pas se sortir simplement de cette affaire, il s'était renseigné sur les procédures d'adoption.
Hors de question que je garde ce mioche. Puisqu'on ne me laisse pas avorter, alors il faut que je trouve le moyen de le refiler à quelqu'un d'autre. Il y a bien des gens qui en veulent et qui n'arrivent pas en avoir, non ?
L'association à laquelle il s'était adressé lui avait rapidement trouvé un couple dans la quarantaine qui désespérait d'être un jour parents.
Elliott les avait trouvés sympas. Un peu empotés, elle surtout, mais gentils.
Ils feront des bons parents et moi je serai débarrassée de mon problème.
Il avait le sentiment de faire une bonne action.
Évidemment, pour que le contrat d'adoption soit valide, il y avait des règles à respecter. Elliott n'avait ni le droit de boire, ni celui de fumer et il devait effectuer tous les examens médicaux prescrit.
Il s'y était tenu, aussi dur que ça avait pu être, et, finalement, son calvaire touchait à sa fin.
Je tuerai pour une bière bien fraîche... une bière avec une petite clope... La première chose que je fais en sortant de la maternité, c'est me bourrer la gueule comme il faut.
Le seul test que les futurs parents du gamin n'avaient pas demandé, c'était celui qui déterminait le sexe du bébé.
– On préfère que ce soit la surprise, lui avait expliqué la femme. Et puis, de toute façon de nos jours, ça ne veut plus dire grand-chose.
Sur ce coup-là, Elliott devait reconnaître qu'elle n'avait pas tort.
Le petit lui donna un coup de pied et il étouffa un juron avant de ramener les yeux sur son ventre.
– Ça va aller, oui ? S'exclama-t-il.
Pour toute réponse, le bébé appuya sur sa vessie et Elliott se leva précipitamment avec l'impression qu'il allait se faire dessus.
– Mais putain, fais pas ça ! Dit-il en se ruant vers les toilettes.
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Le lendemain, tandis qu'il faisait des courses à la supérette du coin de la rue, Elliott sentit les premières contractions le traverser.
Il se plia en deux avec un cri au rayon des céréales, une main sur les reins.
– Bordel de merde !
C'était comme si on lui avait passé une lame dans le bas du dos.
Recroquevillé sur lui-même, il tenta de reprendre son souffle lorsque la contraction parut se déployer dans son corps.
– BORDEL DE MERDE ! Rugit-il plus fort.
Il se souvint des cours d'accouchement sans douleur et s'efforça de respirer comme on lui avait appris. Mais cela n'eut d'autre effet que de lui donner l'air complètement idiot au milieu du magasin.
– Ça marche pas du tout espèce de connasse de charlatan de sage-femme à la con !
– Madame ? Vint lui demander une jeune employée attirée par ses cris. Tout va bien ?
– Je suis en train de chier un mouflet au milieu de ton rayon, mais ouiiii, tout va bien ! Répondit-il. Tout baiiiiigne !
Le magasin appela une ambulance qui arriva rapidement et, moins de quinze minutes plus tard, Elliott était en route pour la maternité.
Étendu sur un brancard à l'arrière du véhicule, il essayait de respirer en faisant abstraction de la douleur.
Allez... C'est bientôt fini... Bientôt, tout ça, ça sera derrière moi... Je serai libre et je pourrai faire tout ce que je veux... C'est la dernière ligne droite... On est au bout... C'est la fin...
– C'est le début, lui apprit la sage-femme de service après l'avoir examiné. Le travail ne fait que commencer, ça n'était pas la peine de vous presser.
Elle se leva, retira ses gants et s'apprêta à sortir.
– Hé ! L'interpella Elliott. Comment ça le début ? Et puis vous n'allez pas me laisser comme ça ? J'ai mal, vous ne le voyez pas ? Vous êtes médecin, faites un truc ! Je sais pas moi, vous n'avez qu'à me faire cette piqûre dans le dos dont on me parlait, c'est le moment vous ne croyez pas ?
– La péridurale ? Répondit-elle. C'est beaucoup trop tôt. On ne la fait qu'à la toute fin pour aider le travail.
– C'est-à-dire dans combien de temps ? Lui demanda Elliott.
– C'est dur à dire, réfléchit la femme, mais comme il s'agit d'un premier bébé, ça peut durer un moment, parfois même un jour ou deux...
– UN JOUR OU DEUX ? MAIS VOUS ÊTES MALADE ? VOUS ALLEZ ME LAISSER COMME ÇA UN JOUR OU DEUX ?
Ses hurlements attirèrent des infirmières qui passèrent la tête à la porte pour voir ce qui se passait.
– Je ne peux rien y faire, reprit la sage-femme en profitant d'un moment où il reprenait son souffle. Si on vous fait la péridurale maintenant, elle ne sera plus efficace au moment où vous en aurez le plus besoin et là, croyez-moi vous allez le regretter.
Elliot resta seul avec sa douleur et sa colère.
Ils sont sérieux ? Ça se passe vraiment comment ça ?
À la vérité, il n'était pas vraiment surpris.
Au début de sa grossesse, il s'était rendu chez son médecin pour obtenir quelque chose contre les nausées qui lui tordaient le ventre tous les matins.
Le docteur l'avait regardé avec étonnement.
– Mais ces nausées sont tout à fait normales, lui avait-il dit.
– Ouais, je sais, avait répondu Eliott, mais vous n'allez pas me laisser avoir mal, si ? Quand un type vient vous voir avec une appendicite, vous lui dites pas de supporter la douleur sur le chemin de l'hôpital parce qu'elle est tout à fait normale quand même ?
Le médecin n'avait pas su quoi lui répondre.
Elliott avait dû insister un bon moment avant qu'il accepte de lui prescrire quelque chose.
– Ces comprimés n'ont pas été testés sur les femmes enceintes, lui avait dit le praticien, alors évitez d'en abuser.
– Bah vous n'avez qu'à m'en prescrire qui ont été testés, lui avait rétorqué Elliott comme s'il avait affaire à un demeuré.
– C'est juste que... ça n'existe pas.
Elliott avait été stupéfait. La médecine avait fait un bond en avant incroyable ces dernières années et personne n'avait pensé à créer ce genre de choses ?
L'arrivée du petit couple dans la chambre de la maternité le ramena à la réalité et il laissa ses réflexions de côté.
Huit heures plus tard, Elliott était toujours en train de se tordre de douleur sur son lit d'hôpital, le monitoring bipant à côté de lui à chaque nouvelle contraction.
– BORDEL DE PUTAIN DE CHIER DE MEEEEEERDE ! Hurla-t-il en se cramponnant à la barre.
Le futur papa, terrifié, avait fui la chambre un peu plus tôt après s'être transformé en femme et seule son épouse était restée.
Elle alla tremper un linge dans la salle de bain et revint et lui mouiller le front.
– Ça va aller ? Dit-elle, inquiète. Vous voulez que j'appelle une infirmière ?
– Parce que vous croyez qu'elles feront quelque chose ? Répondit-il, amer.
Il sentit une nouvelle contraction se profiler et il agrippa la barre le temps que la douleur passe.
– Dilatation à neuf centimètres, déclara la sage-femme après un nouvel examen. C'est bon, on peut y aller.
– C'est pas trop tôt ! Lui cria Elliott.
Il l'aurait bien traitée de tous les noms, mais les dernières heures avaient eu raison de ses forces.
Putain, je suis à bout et ça ne fait pourtant que commencer...
Une infirmière l'aida à prendre place dans un fauteuil roulant et il put enfin sortir.
– Allez... Dit-il. Finissons-en.
En salle de travail, Elliott essaya de se hisser maladroitement sur le lit pendant que, derrière lui, l'anesthésiste préparait la péridurale.
– Installez-vous, je suis à vous dans une minute, lui dit-il.
Elliott n'était même plus en état de lui répondre.
Une infirmière vint prendre sa main pour l'aider à s'asseoir.
– Allons-y, dit-elle.
– Non, deux minutes, lui dit-il. j'ai besoin de faire une pause...
– On n'a pas le temps pour ça, lui dit-elle doucement. Le bébé arrive.
– Et bien on va le prendre ! Répondit-il. C'est encore moi qui doit faire passer un être humain par un orifice qui n'a encore rien vu d'aussi gros !
Il descendit du lit et se mit à arpenter la pièce de long en large pour essayer de calmer la douleur, tandis que l'anesthésiste attendait en bougonnant derrière lui.
Se lever et marcher lui fit du bien. En fait, Elliott se sentait mieux qu'il l'aurait cru possible ces dernières heures.
Voilà... là ça va mieux... là je me sens bien...
C'est alors qu'il comprit.
Qui avait bien pu avoir l'idée de faire accoucher les femmes allongées sur le dos alors que la gravité simplifiait tant le travail ?
– Il faut s'installer à présent, reprit l'infirmière.
– Non, lui dit-il. Je suis bien comme ça. En fait, je crois que je vais rester debout.
– Quoi ?
Elliott s'était appuyé sur le bord du lit, les coudes devant lui et la tête baissée.
Dans cette position, il respirait plus librement.
Les contractions le traversaient à présent à un rythme rapide, mais elles lui faisaient plus l'effet de vagues qu'il pouvait accompagner, les yeux fermés.
C'est bon... je peux le faire...
Quelque chose se rompit et une flaque se déversa bruyamment à ses pieds.
Le personnel commença à s'affoler, tout le monde criait et courait.
Mais lui, pour la première fois depuis le début de cette journée, il sentait qu'il maîtrisait les choses.
C'est bon... Se répéta-t-il. Tout va bien...
Il poussa en accompagnant naturellement les contractions.
Le bébé se présenta la minute suivante et Elliott s'accroupit, les mains entre les cuisses, pour le recueillir.
Autour de lui, c'était l'affolement général.
– Préparez une couverture !
– Le kit d'accouchement ! Où est-ce qu'il est ?
Elliott ne les entendait plus. Entre ses mains, il tenait le plus petit être humain qu'il n'avait jamais vu.
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De retour dans sa chambre, il n'avait toujours pas dit un mot. Les infirmières lui avaient laissé le bébé, une petite fille qui s'était révélée être un petit garçon trente minutes plus tard, et Elliott n'arrivait pas à en détacher les yeux.
La mère d'adoption revint, son mari sur les talons, et elle s'installa à son chevet.
– Comment ça va ? Dit-elle.
Quelques minutes seulement après son accouchement, Elliott avait repris l'apparence d'un homme et elle scrutait ce visage qu'elle ne connaissait pas.
Il leva les yeux.
– Ça va... Dit-il.
Il semblait bouleversé.
Il reprit.
– Dites... Si Je vous disais que je voulais le garder... vous diriez quoi ?
La femme posa la main sur la sienne. Elle était au bord des larmes, mais répondit néanmoins :
– Je comprendrais.
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