Jour 256 - Kevin Nsangou (Liverpool, Angleterre)
Les journalistes se pressaient non loin du couloir des vestiaires pour tenter d'interroger les joueurs avant leur entrée sur le terrain et le personnel du stade, vêtu de gilets fluorescents et de tours de cou frappés au logo du stade Anfield, les contenait de leur mieux.
– Monsieur Nsangou ! Monsieur Nsangou ! Cria un journaliste. Comment sentez-vous ce match contre le Bayern ? Est-ce que vous pensez que vous allez gagner ?
– On dit que vous avez suivi un nouvel entraînement dernièrement ! Demanda un autre. Vous pouvez nous en dire plus ?
Kevin ne les entendait pas, il était occupé à se concentrer.
Son équipe pénétra dans les vestiaires et l'entraîneur referma la porte derrière eux, étouffant un peu le brouhaha qui régnait dans les couloirs du stade.
Dans vingt minutes, l'arbitre donnerait le coup d'envoi du dernier match de la saison qui opposerait Liverpool au Bayern de Munich.
L'invincible équipe allemande de Robert Müller avait fait un parcours sans faute dans cette Europa Ligue et ses joueurs faisaient à présent trembler les clubs mondiaux.
Kevin s'était donné pour mission de les arrêter et il entendait la mener à bien.
Il s'assit sur un banc et ferma les yeux pour visualiser le match à venir.
Ses coéquipiers connaissaient bien ce rituel. Kevin faisait toujours cela avant les matchs importants.
Personne ne se permit de le déranger. Pas même l'entraîneur qui débuta son briefing avec le reste de l'équipe.
Kevin Nsangou était leur pièce maîtresse. Le meilleur joueur de sa génération. Les magazines spécialisés parlaient de lui comme du numéro un mondial actuellement.
Quelques minutes plus tard, le coach tapa dans ses mains et Kevin rouvrit les yeux.
Il était prêt.
Le vacarme qui envahit le stade quand les joueurs parurent fit trembler le sol.
Les hommes de Liverpool balayèrent les gradins du regard.
Des drapeaux et des banderoles aux couleurs de leur équipe claquaient au vent et ils se sentirent pousser des ailes, leurs supporters derrière eux.
Lorsque les deux équipes furent alignées face-à-face, l'arbitre principal les rejoignit, son sifflet à la bouche.
Il leur donna ses dernières recommandations et leur rappela le règlement entré en vigueur quelques mois auparavant dans les matchs officiels.
– En cas de transformation de l'un des joueurs, leur dit-il, vous n'avez pas de souci à vous faire, le match sera arrêté et le joueur sera remplacé. Les actions entreprises par l'adversaire ne seront pas prises en compte.
Sur les bancs, derrière les deux coachs, les remplaçants étaient déjà en tenue et échauffés. Il ne se passait presque pas un match désormais sans qu'ils ne soient obligés d'intervenir et parfois même d'être remplacés eux-mêmes.
Kevin leur jeta un coup d'œil.
– Tch... Lâcha-t-il.
À ses yeux, toute faiblesse devait être transformée en force. Il n'y avait qu'ainsi qu'on devenait le meilleur. Et il entendait bien le leur prouver à tous ce soir.
Le match débuta et le Bayern prit très vite l'avantage grâce à ses attaques éclairs et à sa défense qui faisait penser à un mur de béton. Kevin avait beau être un attaquant de premier ordre, seul, il avait du mal à concrétiser les actions de son équipe.
Bien sûr, c'était sans compter l'atout qu'il gardait dans sa manche.
Un peu avant la fin de la première mi-temps, alors qu'il longeait la ligne de touche, balle au pied, non loin des buts adverses, Müller lui bloqua à nouveau le passage.
Le capitaine allemand n'était pas un attaquant hors pair, mais c'était un joueur polyvalent avec une défense solide et surtout un excellent meneur. Kevin jeta un œil par-dessus son épaule et il vit arriver sur lui les défenseurs du Bayern qui avaient coupé la route à ses coéquipiers, l'isolant dans cette partie du terrain.
Merde...
Il était tombé dans leur piège.
Il réfléchit une seconde.
C'était peut-être l'occasion qu'il attendait.
L'instant suivant, il passa à l'attaque. Il fonça sur Müller, déstabilisa sa défense grâce à son jeu de jambes et, au moment où ce dernier se reprenait et allait lui voler la balle, Kevin changea de corps.
Tout se passa si vite, que l'allemand n'eut pas le temps de réagir. La version féminine de Kevin le feinta avec une vivacité que le capitaine du Bayern ne lui connaissait pas, elle lui passa sous le bras, ajusta son tir et shoota.
La frappe n'avait pas la puissance qu'il aurait souhaitée, mais Kevin avait compensé ce défaut ces derniers mois en travaillant sa précision. Le gardien, surpris, plongea mais le tir alla se loger dans la lucarne, juste sous la barre transversale.
Pendant une seconde, le stade entier resta silencieux. Puis ce fut une explosion de hurlements de joie.
Kevin rejoignit ses coéquipiers en poussant un cri de triomphe.
L'arbitre vint vers lui.
– Vous voulez être remplacés ? Lui demanda-t-il une fois que le calme fut revenu parmi les joueurs.
– Certainement pas ! Lui répondit Kevin.
Le reste du match fut à l'image de cette première action. Pendant les trente minutes qui suivirent, Kevin Nsangou mit à profit toutes les capacités de sa petite taille et de sa vitesse pour déstabiliser ses adversaires.
Passé leur surprise, Müller et ses hommes tentèrent de l'arrêter. Mais c'était sans compter sur l'intelligence tactique de Kevin. Il les attirait, les feintait, les dribblait avec une habileté qu'on ne lui connaissait pas. Son changement de stature et sa corpulence brusquement réduite jouaient pour beaucoup. Mais de toute évidence, ça n'était pas la première fois qu'il s'exerçait sous cette forme.
Ces derniers mois Kevin avait cherché, comme les autres, à surmonter la difficulté que posaient ces transformations. Mais là où les sportifs masculins s'étaient efforcés de trouver un moyen de les éviter, lui, avait entrepris de les exploiter.
Ce qu'il voulait, c'était faire de ses défauts un force.
Au début, voyant qu'une fois dans le corps d'une femme il perdait toute puissance et explosivité, il avait failli céder au découragement.
Puis il s'était tourné vers les grands noms du football féminin.
Peut-être que leur jeu pourrait lui apprendre quelque chose ?
Il avait passé des jours à étudier leurs matchs, décortiquant des heures et des heures de vidéo.
À ses yeux, il devint rapidement évident que le foot féminin n'avait rien à envier au foot masculin. Leur jeu était différent, moins centré sur les actions spectaculaires, mais ça n'en était pas moins du vrai football.
Il avait alors commencé à s'inspirer de leurs tactiques pour élaborer de nouvelles stratégies.
Si l'on ne pouvait éviter de se changer en femme, dans ce cas il tirerait le plus de bénéfices possible de la situation et il ferait de ce nouveau paramètre une arme de plus de son répertoire.
Restait un problème.
Ces transformations survenaient le plus souvent sans prévenir et s'il ne parvenait pas à contrôler un minimum le phénomène, toutes les stratégies du monde ne serviraient à rien.
Aujourd'hui, des mois plus tard, Kevin était capable de se transformer presque sur commande pour exploiter cent pour cent de ses talents.
Liverpool remporta le match quatre à trois sous les acclamations de leur public en délire.
De retour dans les coulisses du stade, Kevin fit face aux crépitements des appareils photos des journalistes.
– Comment vous est venue cette idée ? Demanda l'un d'eux.
– Combien de temps vous a-t-il fallu pour parvenir à ce résultat ?
– Comptez-vous réutiliser cette technique en match ?
– Selon vous, est-ce que la fédération devrait revoir son nouveau règlement ?
Les questions fusaient de tous les côtés.
Kevin échangea deux mots avec son entraîneur et ce dernier fit signe au public de se calmer.
– Un match, leur dit Kevin, il se passe d'abord ici – il se tapota le front du doigt. Si vous gagnez le match dans votre tête, vous le gagnez sur le terrain. Ce défi qui nous est tombé dessus, est juste un facteur en plus à prendre en compte, au même titre que l'état du terrain ou ce que vous avez mangé la veille. Si vous avez besoin que la fédération vous vienne en aide quand vous avez mangé un truc qui ne passe pas, alors c'est que vous n'avez pas un cœur de champion.
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