Jour 232 - Niccolò (Milan, Italie)
Niccolò vit le contrôleur du train se rapprocher et il baissa la visière de sa casquette jusque sur ses yeux en espérant que l'homme n'irait pas plus loin. Peine perdue, ce dernier poursuivit son chemin et quand il arriva à la porte du wagon où il se trouvait, Niccolò profita d'un arrêt pour descendre avant de se faire attraper sans billet.
Debout sur le quai désert en rase campagne, il regarda le train repartir sans lui alors que la nuit commençait à tomber.
– Merde, souffla-t-il. Je n'avais vraiment pas besoin de ça.
Il fouilla dans son sac à dos à la recherche d'argent pour se payer un trajet au distributeur, mais tout ce que ses doigts rencontrèrent, ce fut une poignée de piécettes qui traînait dans le fond.
Il grommela de dépit.
La seconde suivante heureusement, il trouva autre chose qui allait lui être utile.
Il sortit la carte de transport oubliée dans un coin et il l'examina.
– Bingo... Murmura-t-il.
Le titre était au nom de Elisabetta, sa sœur, à qui il avait prêté son sac la veille, mais c'était un problème qui pouvait rapidement être résolu de nos jours.
Niccolò jeta un œil autour de lui et il repéra ce qu'il cherchait. Une route à quatre voies sur laquelle les voitures étaient rares à cette heure.
Il la rejoignit en quelques enjambées et choisit un espace brillamment éclairé sous un lampadaire pour plus de sûreté.
Puis il calcula soigneusement son coup pour être certain qu'aucun véhicule ne le heurterait, ferma les yeux et traversa en courant jusqu'à atteindre la barrière qui se dressait sur le terre-plein central.
Une fois là, il s'immobilisa, le cœur battant.
Jouer ainsi avec sa vie, même s'il n'y avait pas de réels dangers, était le meilleur moyen de se changer en fille.
Il jeta un œil à sa poitrine qui avait brusquement gonflé sous son sweat et, rassuré, il regagna le bord de la voie ferrée.
Elisabetta et lui se ressemblaient comme deux gouttes d'eau quand il se transformait en femme, au point que même leur mère en avait été troublée.
– On jurerait que j'ai deux filles ! Avait-elle dit.
C'était exactement ce dont il avait besoin.
– Et voilà... Murmura-t-il pour lui-même. Problème résolu !
De retour sur le quai de la petite gare de campagne, Niccolò repensa à la première fois où il avait avoué à sa famille que lui aussi avait été frappé par cette malédiction.
Ça n'est pas comme si j'étais le seul de toute façon... S'était-il dit pour se donner du courage.
Sa mère l'avait étonnamment bien pris. On aurait dit qu'elle était au courant depuis le début et attendait simplement qu'il se décide à lui en parler. Quant à sa sœur...
Alors qu'une nouvelle rame arriva en vue de la gare, Niccolò se retint de jurer au souvenir de sa réaction.
L'instant d'après il s'était installé à bord du train, ravi de son subterfuge, mais prenant tout de même bien soin de garder quelques sujets d'inquiétude en tête pour éviter de redevenir un homme avant son arrivée.
Il y avait tout un tas d'avantages à être une femme. D'abord, on pouvait s'asseoir dans les transports en commun, personne ne vous regardait de travers.
À moins qu'une femme enceinte ne se présente.
Ensuite, on pouvait éviter pas mal d'ennuis rien qu'en minaudant un petit peu.
Les hommes sont idiots... un petit sourire, un battement de cils et ils font tout ce qu'on leur demande. Vraiment, je ne sais pas de quoi se plaignent les femmes.
Avec le recul, en dehors de quelques désagréments passagers, Niccolò ne voyait que des bénéfices à ces transformations.
On peut choisir d'être un homme ou une femme selon ses besoins et personne ne peut vous cramer ! C'est cool !
En fait, la seule ombre au tableau dans sa vie actuellement, c'était sa petite sœur.
Elisabetta était étudiante en ethnologie à l'université de Milan.
Aussitôt qu'elle avait compris en quoi consistait l'épidémie, elle avait décidé de s'installer chez lui.
– Je vais pouvoir étudier ce phénomène en direct, lui avait-elle expliqué, surexcitée. Tu seras mon sujet d'étude !
Niccolò avait grommelé. Malheureusement leur mère, ravie à l'idée d'avoir une chercheuse dans la famille, l'avait encouragée.
– Je suis tellement fière de toi Elisabetta ! Lui avait-elle dit, avant d'ajouter en sermonnant Niccolò du doigt : Je compte sur toi pour aider ta petite sœur !
C'est ainsi que, depuis bientôt six mois, il dormait sur son propre canapé-lit pendant que sa sœur occupait sa chambre.
Je t'en collerais des sujets d'études, moi ! Traite-moi de cobaye tant que tu y es !
Niccolò jeta un œil à la carte de transport qu'il avait trouvée au fond de son sac et sourit.
Je ne fais que me rembourser en réalité !
Dix minutes plus tard, un nouveau contrôleur apparut au bout de l'allée et cette fois, Niccolò l'attendit de pied ferme.
Arrivé à son niveau, l'homme lui demanda son titre de transport et Niccolò lui tendit la carte de sa sœur avec assurance.
L'employé regarda la photo, leva les yeux vers la femme assise devant lui et il tiqua.
Niccolò était installé, les genoux largement écartés et un bras posé sur le dossier, un sourire confiant sur les traits.
– Je vais avoir besoin de contrôler vos empreintes monsieur, dit-il.
Depuis que les photos d'identités étaient devenues obsolètes, beaucoup de pays avaient mis en place un système de vérification d'empreintes digitales, bien plus fiables que les anciennes méthodes, grâce aux IA capables de les redimensionner.
Niccolò grimaça en s'entendant appeler monsieur. Il ramena son bras contre lui et commença à se trémousser sur son siège comme il pensait qu'une femme le ferait pour tenter d'amadouer le contrôleur.
– Il doit y avoir une erreur monsieur l'agent, roucoula-t-il. Vous êtes sûr qu'il faut vérifier mes empreintes ? Je n'ai pas envie de vous montrer mes ongles, ils sont abominables aujourd'hui !
Sa performance était digne d'un oscar, il en était sûr. En plus de ça, les hommes en uniforme adoraient qu'on les appelle monsieur l'agent. Ils se prenaient tous pour des policiers. Celui-ci, c'était dans la poche.
Le contrôleur ne se démonta pas.
– Contrôle d'identité monsieur, insista-t-il en appuyant sur le mot. Et vous allez me suivre au poste de contrôle dès le prochain arrêt.
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Lorsque Niccolò rentra chez lui à une heure avancée de la nuit, il était d'une humeur massacrante.
Non seulement il s'était pris une contravention pour défaut de présentation de titre de transport, mais en plus le contrôleur l'avait majorée pour avoir utilisé une carte qui ne lui appartenait pas.
Il se laissa tomber sur le canapé avec un souffle contrarié et Elisabetta, assise devant son ordinateur, leva les yeux par-dessus ses lunettes.
– Mauvaise journée ? Dit-elle.
Pour toute réponse, Niccolò se contenta de lui rendre sa carte. Sa sœur la prit, d'abord sans comprendre.
Puis elle lui demanda, surprise :
– Tu as essayé de te faire passer pour moi pour ne pas payer le train ?
Niccolò soupira deux fois plus. À croire qu'il était un livre ouvert pour elle.
– Ouais, dit-il. Et je me suis fait griller. Le contrôleur m'a collé une amende gratinée et il m'a fait la morale pendant presque une heure !
Sa sœur éclata de rire.
– Mais évidemment que tu t'es fait prendre, andouille ! Dit-elle. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure que tu n'es pas une femme !
Ce fut au tour de Niccolò d'être étonnée.
– Pourquoi ça ? Dit-il en se redressant. Maman dit toujours qu'on se ressemblent toutes les deux !
– Sur une photo, oui ! S'exclama-t-elle. Mais lorsqu'on te voit agir, on se rend immédiatement compte que tu es un homme ! Une femme ne marche pas comme ça, elle ne s'assoit pas comme ça... même ta façon de regarder les gens ne va pas !
Niccolò se leva.
– Tu racontes n'importe quoi ! Dit-il. Je sais me comporter comme une femme ! Je fais tous ces trucs que vous faites ! Vous trémousser, glousser et tout ça ! C'est juste ce type qui a... des yeux à rayons X !
– C'est toi qui dis n'importe quoi ! Protesta sa sœur. Tu as beau te transformer en femme, tu continues à être un homme à cent pour cent ! Surtout toi !
– Comment ça, surtout moi ?
Elisabetta retira ses lunettes et elle se massa l'arête du nez pour se calmer.
– Nicco, dit-elle, tu n'as aucune idée de ce que c'est qu'être une femme. Toi, les femmes que tu imagines, ce sont des... clichés, des caricatures tout droit sortis des magazines ou des films, pas la réalité !
Son frère la regarda sans comprendre. Finalement il se rassit en grommelant.
– Tu parles... Dit-il.
– Bien sûr que j'ai raison ! S'exclama-t-elle. Pour toi, être une femme c'est prendre la pose, sourire de temps en temps et flatter l'ego masculin pour obtenir ce que l'on veut, pas vrai...?
– Et ça n'est pas le cas peut-être ? S'indigna-t-il.
– Absolument pas ! Lui affirma-t-elle. Être une femme, c'est quelque chose que l'on inculque aux petites filles dès leur plus jeune âge. C'est un comportement gravé au plus profond d'elles. Rien à voir avec un rôle ! Est-ce que tu sais par exemple que l'on apprend aux filles à vouloir être jolies, parce que l'un de leurs buts dans la vie, c'est de plaire à un homme ? À aucun moment, on enseigne aux petits garçons que plaire à une fille doit être une priorité ! Les petits garçons doivent trouver et suivre leurs rêves ! La société attend d'eux qu'ils excellent dans un domaine et qu'ils s'y consacrent corps et âme, alors qu'elle donne pour tâche aux filles de les soutenir et de fonder une famille ! Encore aujourd'hui, une femme qui ne rêve pas d'enfants est considérée comme anormale alors même que nous n'avons jamais été aussi nombreux sur terre !
Niccolò ne répondit pas.
– Il n'y a rien de plus mal vu, reprit Elisabetta qui s'enflammait, qu'une fille qui choisit de suivre ses rêves au lieu des rêves que la société a pour elle ! On lui prête immédiatement des problèmes psychologiques ! On lui dit qu'elle a eu des soucis avec son père ! On lui suggère de se faire soigner ! Je suis sûre que tu as déjà vu des femmes s'entendre répliquer qu'elles finiront toutes seules avec leurs chats parce qu'elles voulaient vivre leur vie comme elles l'entendaient ! Comme si le fait de ne pas se marier et de ne pas avoir d'enfant étaient forcément gage de malheur pour une femme !
Niccolò bougonna. Il ne pouvait pas lui donner tort, lui aussi pensait que les femmes voulaient toutes un mari et des enfants, sans exception. Pour lui, une femme qui n'entrait pas dans cette catégorie entrait immédiatement dans la case à problèmes.
Il préféra changer de sujet.
– Je ne vois pas le rapport avec ma contravention...
Elisabetta soupira et elle se laissa aller contre le dossier de sa chaise.
– Il n'y en a aucun je suppose... Dit-elle. C'est juste que tout cela m'énerve.
Son frère la regarda et une idée commença à germer dans sa tête.
– Toi, dit-il, tu voudrais que la société commence à changer de mentalité envers les femmes, c'est ça ?
– Oui. Mais je ne me fais pas d'illusion, dit-elle. C'est un combat de longue haleine qui prendra des décennies, peut-être plus.
– Pourquoi tu ne te servirais pas de moi comme cobaye, reprit-il, je suis ton sujet d'étude après tout.
Elisabetta fronça les sourcils.
– Comment cela ?
– Tu pourrais m'apprendre ce que c'est que d'être une fille, comme tu l'as fait là, dit-il, et moi, je vérifierais si ce que tu m'as appris fonctionne. Si je réussis à passer les tests, c'est que j'ai compris.
Elle rit.
– Quel genre de tests ? Dit-elle.
Il reprit la carte de transport qu'elle avait abandonnée sur la table basse.
– Celui-là, dit-il.
Elisabetta commença à comprendre où il voulait en venir et Niccolò ajouta :
– Si j'échoue et que je me prends des contraventions, c'est que tu as perdu et c'est toi qui les paies. En revanche, si je réussi à passer inaperçu, c'est que tu auras réussi. Alors Betta ? On joue ?
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