Océane - 9 mars 2015
J'ai du mal à me concentrer sur mon match. Je pense à Christopher presque non-stop depuis son message il y a deux jours.
Je n'avais pas pu regarder sur le net son 60 mètres ni le concours de la longueur et, lorsque j'avais reçu son message je pensais sincèrement qu'il m'envoyait ses résultats.
Au lieu de cela, il m'annonçait son forfait pour la suite du championnat et son probable forfait pour Pékin.
Au moins il semblait garder le moral car dans sa dernière phrase, il me disait que durant les prochaines semaines, il se consacrerait entièrement à moi et il espérait ainsi pouvoir rattraper un peu le temps perdu et ces longues semaines de séparation du début d'année.
Ce n'est que la deuxième fois de ma carrière que je participe au tournoi d'Indian Wells. L'Indian Wells Tennis Garden est un complexe sportif situé dans la vallée de Coachella. Il comprend un stade principal de seize mille places assises, onze courts de compétition, six courts d'entraînement et deux courts en terre battue, le tout sur une surface totale de quatre-vingt huit hectares.
En dehors des quatre tournois du Grand Chelem, Indian Wells est l'un des rares tournois à proposer des tableaux de plus de soixante-quatre joueurs.
Depuis 2007, il est possible d'utiliser le Hawk Eyes,un système vidéo permettant de déterminer si la balle est ou non dans le court. Chaque joueur a le droit à trois demandes d'utilisation du Hawk-Eye par sets et, depuis 2011, chaque court du complexe est équipé du système. Ce qui signifie que, même si on n'est pas un joueur du top, nous bénéficions de cet avantage non négligeable.
Je marche lentement vers le court où je dois jouer mon premier match de qualification. Dans les allées il y a peu de monde car le public s'intéresse peu aux joueurs de seconde zone. Je repère cependant un attroupement devant l'un des terrains et j'esquisse un petit sourire en reconnaissant l'un de mes idoles, Rafael Nadal. Il est peut-être gaucher et moi droitière mais ce mec...je donnerai n'importe quoi pour avoir ne fusse que le dixième de son palmarès.
Pascal me donne un petit coup de coude : ouais faudrait pas que je sois en retard à mon propre match. Rafa attendra.
Ce petit instant de légèreté passé, je me reconcentre sur mon match. Christopher m'a envoyé un message : il a eu des ennuis à l'aéroport et il ne pourra arriver que dans une demi-heure. Si tout va bien.
Avant que mon coach ne me quitte il me dit :
- Oser c'est important mais il ne faut pas t'enflammer. Tu vois les choses, tu sens les choses et je sais que tu sauras t'adapter.
J'ai appris à écouter ses paroles : il me connait bien, il sait pratiquement tout de moi maintenant.
Pendant l'échauffement je réalise quelques bons services. Claquer un ace pendant un match c'est jouissif. Un ace, c'est un point gratuit, un point gagné sans débauche d'énergie.
Cette année, je veux être considérée comme autre chose que l'espoir du tennis français. Je veux gravir les échelons, progresser dans la hiérarchie mondiale. Soixante-huitième c'est bien mais je veux plus, beaucoup plus.
Pascal dit que j'ai enfin franchis un cap en janvier en battant Ana Ivanovic, un cap dans ma tête.
Mais comme il me le répète souvent : le plus dur commence seulement pour moi : confirmer mes victoires au plus haut niveau.
Un ITF n'est pas un Premier Mandatory ou un Grand Chelem.
Pour le moment je sais qu'avec mon niveau, il faut que les conditions soient bonnes et que je sois vraiment dans un très bon jour pour battre une fille du top 10.
Je suis vraiment ravie de l'avoir engagé pour me coacher. Je suis une fille qui déborde d'énergie et ma mère, bien souvent, avait du mal à me canaliser. Pascal, il est tout le contraire de moi et je pense sincèrement que je n'avais jamais rencontré quelqu'un de plus patient que lui auparavant.
Le match débute : j'enchaîne les aces et les montées au filet et mon adversaire est dépassée par la vitesse et la violence de mes services.
Mes adversaires le disent fréquemment : mon service est l'un des plus compliqués du circuit à retourner et j'avoue, j'en suis fière.
L'avantage c'est que depuis que je suis suivie par Pascal, j'ai bonifié mon jeu. Il n'est plus uniquement question de m'appuyer sur mon service, il n'est plus mon unique arme même s'il restera toujours la meilleure, comme me le dit mon coach et que ma filière de jeu sera d'aller vers l'avant. Même si je suis à l'aise en fond de court, je sais que je ne dois pas me prendre pour une joueuse de fond de court à part entière.
Pascal m'a dit qu'il voulait qu'à terme, je devienne une joueuse vraiment pénible à jouer pour toutes mes adversaires.
Et son premier chantier a été de travailler ma mobilité car j'avais un temps de réaction bien plus lent que les autres filles et j'étais moins tonique que mes adversaires. Ma coordination n'était franchement pas top malgré mon petit gabarit et cela m'empêchait d'être bonne à la relance. Pascal a aussi essayé de gommer l'un de mes défauts : le geste de finition à la volée.
Mais au moins il a très vite constaté que j'étais une bosseuse et que j'étais courageuse. J'aime l'effort, ça ne me fait pas peur. Commencer le matin par du panier et finir par du service ? Même pas peur. Et mon coach a bien compris ma volonté de progresser encore et toujours. Car toutes les joueuses ne l'ont pas.
Même si je n'aime pas trop, Pascal m'a obligé à multiplier les exercices en salle de muscu et j'ai accepté sans rechigner.
Selon lui, ma marge de progression est dans la couverture de terrain et dans l'explosivité derrière le filet. Je n'ai jamais été la meilleure de mon groupe même lorsque j'ai commencé à m'entraîner dans les structures nationales. J'étais toujours un peu à la traîne, il me fallait toujours un peu plus de temps que les autres pour progresser.
A douze ans j'étais à des années lumières des autres filles, des meilleurs joueuses françaises de ma catégorie d'âge. Mais la fédération m'avait fait confiance, ils avaient cru en moi, ils étaient convaincus que j'avais un vrai potentiel et ils savaient que je voulais me donner les moyens d'atteindre mon objectif ultime : le top dix mondiale et une victoire en Grand Chelem, de préférence à Wimbledon.
Mon coup droit est vraiment solide à présent, tout comme mon jeu de jambes qui était loin d'être un modèle il y a quelques mois encore.
Le seul gros point noir ? Mon comportement sur le terrain. Pascal me dit toujours qu'on a tous le droit de perdre et d'enchaîner les défaites mais on n'a pas le droit de sortir de la ligne en ce qui concerne notre comportement.
Je tombe trop souvent dans la frustration dès que je perds un point. Alors parfois, mon coach me fait comprendre, et pas forcément gentiment, que ce n'est pas parce que je suis une tueuse au service que tout va venir en un claquement de doigts.
Un truc que je dois absolument accepter c'est de perdre mon service. Mais pour quelqu'un comme moi dont c'est l'arme principale, c'est très dur à encaisser. C'est même limite humiliant.
Et c'est vrai que lorsque je me fais breaker j'ai ensuite énormément de mal à continuer le match, à rester dedans. Avec Pascal mais aussi Laurent et Ryan nous avons essayé de trouver des solutions. Et l'une d'entre elle a été de consulter un psychologue du sport pour apprendre à mieux gérer mes émotions.
Au départ j'ai refusé. Un psy ? Et puis quoi encore ? Mais j'ai rapidement compris que je ne pouvais pas m'en sortir seule.
Son premier conseil a été un truc tout con : me créer une routine avant et pendant le match. J'avoue j'étais sceptique car je ne suis pas du genre superstitieuse. Le même hôtel, la même chambre, le même vestiaire, le même resto avant un match, tous ces machins, très peu pour moi.
Alors ma routine d'avant match c'est un peu de sophrologie et quelques mouvements d'échauffements en écourtant mes musiques préférées tout en réfléchissant à ma tactique de match.
Je dois pouvoir anticiper que dans une rencontre je serai forcément breakée et je vivrai certainement des moments de doute et de frustration. Et selon ma psy, je dois déjà envisager les solutions à ces problèmes, avant même de les rencontrer.
J'avoue qu'au début, j'étais paumée. Mais très vite, j'ai compris le système et chasser mes pensées parasites par des repères stables est devenu presque naturel chez moi.
Maintenant, j'arrive à conserver une bonne attitude sur le terrain. Pas tout le temps mais au moins trois matchs sur quatre et, pour moi, c'est déjà énorme. Ma psy dit que c'est très important car si mon adversaire n'arrive pas à me déstabiliser c'est déjà un pas important vers la victoire.
Une heure et vingt-cinq aces plus tard, je suis qualifiée pour le second tour des qualifications.
Je suis très satisfaite de mon service : j'ai toujours aimé frapper fort et là, je me suis régalée. J'ai réussi à varier, à trouver les angles parfaits, à alterner service sur le T, sur le corps et zones courtes sur le slice. En face, j'ai bien vu que mon adversaire était dégoûtée et cela n'a fait que renforcer ma confiance.
Lors de notre poignée de mains à la fin du match, elle m'a d'ailleurs dit avec un demi sourire que cela avait été le match le plus horrible de sa vie.
Et je comprends parfaitement car au début de ma carrière professionnelle, je n'avais pas encore cette puissance que j'ai réussi à développer au service et se prendre des missiles tout en sachant que derrière il n'y aura pas de jeu, c'est dur psychologiquement. Très dur.
Lorsque tu as l'impression qu'à certains moments tu ne joues pas, cela te reste dans la tête pour le restant du match et cela devient très compliqué pour rester motivé. Maintenant, j'avoue, quand mon adversaire me dit qu'elle est frustrée à cause de mon service, je prends cela pour un compliment.
Un rapide regard vers les tribunes et je fronce les sourcils : il n'est toujours pas là. Impatiente de savoir ce qui a pu causer le retard de mon compagnon, je me dépêche de quitter le terrain.
Pascal m'informe que Christopher rencontre des problèmes pour entrer dans le complexe et qu'il va aller voir ce qu'il se passe.
Avec une certaine envie je regarde Marin Cilic et Grigor Dimitrov participer à une séance de dédicaces et, je me jure intérieurement qu'un jour, moi aussi je prendrai part aux activités dédiés aux meilleures joueuses de la planète.
Je ne m'attarde pas dans les vestiaires car mon clan au grand complet semble avoir déserté les lieux. Je les retrouve enfin dans les couloirs discutant à grand renforts de gestes avec le personnel chargé d'assurer la sécurité.
Je n'ai pas le temps de prononcer un seul mot car Christopher, aussi vite que lui permettent ses béquilles, fonce sur moi pour m'embrasser.
- Tu m'as tellement manquée !
Je regarde tendrement mon compagnon et je passe une main dans son épaisse tignasse blonde :
- Comment tu te sens ?
- Bien, surtout depuis que je t'ai retrouvée.
- Sérieusement, ta cheville ?
- Bah...je vais devoir prendre du repos, beaucoup de repos. Andrew ne veut pas que je recommence à m'entraîner avant début avril.
- Ah oui...
- Mais...c'est un mal pour un bien, je ne te lâcherai pas d'une semelle durant ce laps de temps.
- Perspective intéressante...
Je n'ai plus qu'une envie c'est de rentrer à l'hôtel afin que Justine s'occupe de mes petits bobos avant de pouvoir enfin me retrouver seule avec mon homme. Il le cache admirablement bien mais je sais qu'il est très mal.
Il n'était déjà pas certain de participer aux championnats du monde à cause de sa blessures aux nationaux anglais, là, c'est pratiquement mission impossible.
Oh, je sais qu'il en serait capable mais participer, simplement participer, ça ne l'intéresse pas. Lui ce qu'il veut c'est le titre, ce quatrième et improbable titre qu'il n'aura sans doute jamais.
Nous sommes à un peu plus d'un an des Jeux. C'est loin et si proche en même temps. Et il a ce record à aller chercher, cette barre des neuf mille points qu'il n'a franchi qu'à une seule reprise.
Je serai là pour le soutenir car je sais qu'il va avoir besoin d'encouragements pour traverser cette mauvaise passe.
Il observe attentivement ma sœur effectuer des gestes qu'il connait par cœur puis, il secoue la tête en souriant lorsque Justine lui demande de me laisser dormir cette nuit :
- Evidemment. Je sais que son match de demain est important. Je n'aurai jamais dû être ici alors...je n'ai pas envie de tout gâcher. Ça m'arrive d'être sérieux Justine tu sais.
- Mouais...De toute façon je le saurai, ma chambre est à côté de la sienne. Il parait que tu es du genre...démonstratif.
Je regarde ma sœur d'un air scandalisé tandis que Christopher éclate de rire. D'accord, ils se foutent de ma gueule tous les deux.
De retour dans ma chambre, je discute quelques instants avec Pascal sous le regard attentif de Christopher.
A présent mon but pour les prochaines années est de devenir le cauchemar des meilleures joueuses du monde avec un niveau de jeu aussi performant que mon service. C'est ce que Pascal ne cesse de me répéter car il est convaincu que j'ai les capacités physiques mais surtout mentales.
A moi de ne pas le décevoir.
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