Christopher Hodges est peut-être le pire enfoiré sur cette terre mais bordel il est à tomber. J'ai cru que j'allais me trouver mal hier lorsqu'il a retiré son t-shirt trempé aux couleurs de l'Union Jack. Je suis certaine que ses cheveux faussement décoiffés sont un truc de mec pour attirer les filles à lui.

Un point pour lui, je n'ai pas pu résister à l'envie de l'observer. Mais en voulant le détailler discrètement, non seulement il m'a repérée, du moins son coéquipier m'a repérée, mais maintenant j'ai cette image de lui qui reste gravée dans mon esprit. Et quelle image...

L'adversaire de mon frère est sans doute l'un des hommes les plus sexy de la planète. Et je suis certaine que je ne n'exagère même pas. Biceps en acier, abdominaux magnifiquement sculptés, regard de braise, je comprends que de nombreuses femmes n'ont pas su résister à la tentation. Mais j'ai pris ma décision : même si cela va être une torture de le voir tous les jours dans les parages et aux cotés de Lucas ensuite pendant la compétition, je ne serai pas une énième fille sur son tableau de chasse. Et de toute façon il y a Anthony mon petit ami qui ne m'a même pas envoyé un message pour me demander si j'étais bien arrivée à Zurich.

Je suis un peu dans la lune lorsque je descends dans la salle du petit déjeuner. Je ne prête pas vraiment attention à Lucas qui discute avec mon père de sa séance de puissance aérobie de la matinée et je mange presque machinalement.

- Ça va pas toi ?

Je regarde Amélie, une perchiste de l'équipe de France mais aussi, ma meilleure amie et confidente depuis des années.

- Je suis un peu fatiguée.

- Fatiguée mon œil. Tu n'aurais pas plutôt songé toute la nuit au bel apollon anglais ?

- Si tu penses que j'ai envie que mon nom vienne s'ajouter à l'écœurante liste de toutes ses conquêtes tu te trompes.

- Il a tenté de t'approcher ?

- Non pourquoi ?

- Et bien...hier à notre arrivée il t'a regardé pendant un bon moment. Donc je suis certaine qu'il n'est pas insensible à tes charmes.

- Sauf que moi je suis en couple et lui,...c'est sans doute le plus grand dragueur toute la planète.

- A ce propos, ça va avec Anthony ? La dernière fois que tu es venue à un championnat, tu regardais ton smartphone toutes les deux minutes et tu l'appelais pendent des heures.

- En fait...j'en sais trop rien. J'ai l'impression que...je me pose beaucoup de questions. Non, une seule en réalité.

- Est-ce que tu l'aimes toujours.

- Exactement.

- Ecoute ma belle, sans vouloir te faire paniquer, si tu te poses la question ce n'est pas une bonne nouvelle.

- J'ai commencé à cogiter en octobre.

- En octobre ?

Amélie me regarde totalement ébahie. Ayant fini de manger, je lui demande si nous pouvons discuter un peu plus tard, dans notre chambre et surtout à l'abri des oreilles indiscrètes. Elle acquiesce et je me lève pour aller me préparer. Pendant que Lucas va s'entraîner, j'ai prévu une longue sortie en VTT afin de travailler mon endurance. La majorité des athlètes se trouve encore au restaurant, le grand hall de l'hôtel est pratiquement vide.

Je me dirige vers les ascenseurs et lorsque la porte de l'un d'entre eux s'ouvre, je suis bousculée violemment par un Russe. Un bras puissant entoure alors ma taille m'empêchant ainsi de valser par terre. Lorsque je rencontre le regard de celui qui me tient toujours fermement, une chaleur insidieuse se répand dans tout mon corps.

- Ça va, tu ne t'es pas fait mal ?

Sa voix est douce, bien loin des intonations rudes que je m'étais déjà imaginée et son petit accent lorsqu'il me parle en français est vraiment craquant. Merde mais je déraille complètement moi. Je me dégage assez brusquement de l'étreinte de Christopher Hodges :

- Ça va. Merci de m'avoir rattrapée.

- Tiens, tu as laissé tomber ton smartphone

Je saisis mon téléphone et sans plus me préoccuper de l'adonis anglais, je consulte ma messagerie remarquant que j'ai cinq notifications provenant de Morgane, une amie engagée au tournoi de Leipzig cette semaine.

Je suis désolée de te faire de la peine Océane mais je devais te montrer ça, je ne pouvais pas te laisser dans l'ignorance. J'en suis encore toute retournée.

En tremblant j'ouvre les quatre photos que Morgane m'a envoyée et je m'appuie contre un mur, totalement sous le choc.

- Océane ?

Christopher est à nouveau à mes côtés et il me dévisage d'un air inquiet. Je suis incapable de lui répondre tant j'ai du mal à ne pas fondre en larmes.

- Tu veux que j'aille chercher Lucas ?

Je lui dis oui dans un souffle et je me précipite dans l'ascenseur pour regagner ma chambre au plus vite. Moins de cinq minutes plus tard, mon frère me rejoint, le visage tendu.

- Christopher m'a dit que tu avais besoin de moi. Qu'est-ce que tu foutais avec lui ? Je croyais avoir été clair à ce sujet !

- Je l'ai croisé c'est tout.

Je n'ai plus envie de pleurer, j'ai juste envie d'hurler ma colère et ma rage en comprenant que je me suis fait avoir par Anthony. Je tends mon smartphone à mon frère :

- Regarde.

- Yuliya ?

- Oui, Yuliya.

- Oh l'enfoiré. Attends un peu, il n'avait pas signé un contrat pour conseiller un junior allemand ?

- Je crois qu'il n'y a jamais eu de contrat. Morgane est là-bas aussi, c'est elle qui m'a transmis ces photos.

- Je suis désolé ma puce. Putain mais je vais lui casser la gueule lorsque je le reverrai celui-là !

- Pas la peine Lucas. Et...ça tombe bien, je voulais justement te parler d'Anthony.

- Tu avais des doutes ?

- Non, absolument pas mais ça fait des mois que je me demande si je l'aime encore.

- Mais...? Océane enfin, pourquoi tu ne m'as rien dit ?

- Aucune idée. Je me disais que j'étais juste un peu fatiguée, que je déraillais un peu, tout ça.

- Tu comptes faire quoi ?

- Rien pour le moment. Mais quand on sera rentré à la maison, je lui dirai que c'est terminé entre nous.

Lucas me serre dans ses bras. C'est étrange, sur le coup j'ai eu envie de pleurer en découvrant qu'Anthony me trompait avec ma partenaire de double, mais à présent, même si je suis furieuse d'avoir été trahie, je me sens également soulagée. En fait, Anthony n'a fait que précipiter une décision qu'inconsciemment j'avais déjà prise. Merde, j'espère que Lucas ne va pas se déconcentrer par ma faute !

- Ecoute, tu ne dois pas t'inquiéter. Je vais bien. Je suis choquée c'est clair mais ça ne va pas m'empêcher d'avancer ok ? Il faut que tu te concentres sur ton décathlon, je ne veux pas que tu t'inquiètes inutilement d'accord ? Je vais aller rouler en vélo ça me fera le plus grand bien.

Je fais un dernier câlin à mon frangin puis je lui demande gentiment de me laisser. Il me regarde quand même avec attention avant de sortir de ma chambre, comme pour être certain que je ne le mène pas en bateau. Pendant plus de deux heures je roule dans les rues de Zurich, sans ressentir la moindre tristesse. En fait, je me sens vraiment libérée d'un poids même si je ne peux chasser de mon esprit l'image d'Anthony dans une position plus qu'équivoque avec Yuliya. Il n'avait même pas eu la décence de se cacher en plus !

Malheureusement pour lui, j'ai le sale même caractère que mon frère et lorsqu'il va rentrer à Paris en faisant semblant de rien sans doute, il va se rendre compte de quoi est capable la famille Metzelder... Je retrouve Amélie dans la chambre que je partage avec elle et je m'écroule sur mon lit. J'ai pu négocier avec la fédération d'athlétisme pour être avec elle. Bien entendu j'ai payé mon séjour et je suis heureuse de pouvoir partager le quotidien d'autres athlètes. le fait que je sois la sœur de Lucas m'a aidée aussi, soyons honnêtes. 

- Ta sortie était bonne ?

- Tu n'imagines même pas à quel point je me suis défoulée.

- Bon, alors avec Anthony, il se passe quoi ?

- Et bien si nous en avions parlé ce matin je t'aurais dit que je songeai sérieusement à rompre mais...

- Mais ?

- Vu...ceci, c'est tout réfléchi.

- Oh putain mais...non il n'a pas fait ça ? C'est qui l'autre ?

- Ma partenaire de double.

- Non mais je rêve. Mais quel connard ! Ecoute ma belle si tu as besoin de parler...

- Non, non ça va t'inquiète pas. En fait je me sens plus soulagée qu'autre chose.

- Alors, tu vas pouvoir t'occuper de Christopher Hodges dans ce cas...

- Quoi ? Mais...mais non !

- Ne me dit pas qu'il te laisse de marbre...Ce mec est un dieu vivant !

- Ouais il est mignon c'est vrai. Mais je n'ai pas l'intention de coucher avec lui. Je n'ai pas besoin de ça pour me remettre de la trahison d'Anthony. Et je te l'ai dit, je ne veux pas être un nom sur une liste. C'est quoi le programme pour toi cet après-midi ?

- Je vais travailler ma course d'élan.

- Bon et bien je vais pouvoir t'admirer. Lucas sera aussi sur le sautoir.

- Tu sais ma belle, au risque de te choquer, je me suis toujours demandée ce que tu faisais avec Anthony. Au début je pense qu'il était sincère avec toi mais il a vite changé en se rendant compte que grâce à toi il pouvait se faire une belle place au soleil. Je crois qu'inconsciemment tu l'avais compris. Au moins je suis contente que cette rupture ne te bousille pas le moral. Vu tout ce qui t'attend pour retrouver le top 100, tu vas avoir besoin de toute ta concentration.

Je suis étonnée par la réaction d'Amélie et je me demande si je n'ai pas perdu quatre ans de ma vie simplement parce que je refusais d'ouvrir les yeux. Je passe une après-midi agréable à regarder mon frère, ma meilleure amie et quelques autres perchistes peaufiner leur technique à tour de rôle.

Mon frère a voulu une fois me faire tester toutes les disciplines de l'athlétisme et s'il y en a bien une qui ne m'a jamais tenté c'est la perche. J'imagine déjà mon petit cœur lâcher en me sentant tomber dans le vide après avoir franchi une barre à 4m60. Mon dieu quelle horreur ! Mais Lucas, lui, il adore ça. En fait, il n'a jamais pu choisir une discipline en particulier et tout naturellement papa, qui avait lui aussi pratiqué les épreuves multiples, l'avait orienté vers le décathlon. Avec de magnifiques résultats à la clé.

Le seul gros point faible de mon frère ce sont les haies. Lors de sa première sélection nationale, il avait buté sur la première haie et il était tombé la tête la première sur le tartan de la piste. Depuis, je sais qu'il garde toujours une certaine appréhension qui l'empêche de tout donner pendant au moins quarante mètres et il a donc des temps assez médiocres dans cette épreuve. Heureusement elle arrive seulement le deuxième jour de la compétition mais comme il s'agit aussi de la première épreuve de la journée, Lucas enchaîne alors difficilement avec le lancer du disque. Les points qu'il perd sur ces deux disciplines le forcent ensuite à cravacher à la perche, au javelot et sur le 1500m pour essayer de rattraper son retard.

A Götzis c'est ce qui lui est arrivé. La peur a pris le dessus et il a terminé son 110m haies avec le dernier chrono de tous les participants. Pour une fois, le disque avait été correct mais c'est ensuite au javelot qu'il avait complètement perdu ses repères. Il avait terminé finalement huitième, très déçu bien entendu. Sa seule satisfaction provenait de sa victoire sur le 1500m car seuls trois autres décathloniens avaient réussi à battre Christopher Hodges depuis le début de sa carrière internationale sur l'une de ses épreuves de prédilection.

Je soupçonne mon frère de vouloir me changer les idées car il m'invite dans sa chambre après le repas du soir afin de faire une partie de trivial pursuit en compagnie d'Amélie et de Quentin, un sprinteur et accessoirement, le meilleur ami et confident de Lucas. J'ai toujours soupçonné mon grand frère de vouloir me caser avec son pote. Il n'était pas très heureux de me voir officialiser avec Anthony il y a quatre ans mais il avait fini par s'y faire et à accepter mon choix.

Au final, j'aurais peut-être dû y réfléchir à deux fois. Mais ce qui est fait est fait, tant pis. Là où Lucas se trompe c'est que je n'ai pas l'intention de me jeter dans les bras du premier venu. Quentin est sympa mais...je ne ressens rien en sa présence. En tout cas je passe une excellente soirée et je me félicite d'avoir choisi Zurich au lieu de me rendre en Belgique.

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C'est Christopher qui va être content : Océane est à présent un cœur à prendre...Mais vu la manière dont elle le considère, j'ai comme l'impression que notre athlète anglais n'est pas au bout de ses peines...