J'ai rempli mon contrat, je suis au deuxième tour du tournoi de Brisbane. Me trois matchs de qualification n'ont pas été parfaits mais l'essentiel est là : je suis assurée de récolter au moins 55 points pour le classement WTA et 11 681 dollars en prize money.

Cela valait bien la peine de ne pas vraiment fêter la nouvelle année. Mais de toute façon, sans Christopher, je n'avais pas le cœur à m'amuser.

Mes sacrifices commencent à payer car j'ai réalisé une grosse performance aujourd'hui en battant l'allemande Sabine Lisicki alors que c'était très mal embarqué : après seulement 24 minutes de jeu, j'avais perdu le premier set 6 jeux à zéro et je me sentais totalement paumée sur le terrain.

J'avais ensuite pensé très fort au dernier message de Christopher et j'avais réussi à puiser dans mes réserves pour inverser la tendance et finalement remporter le match en trois sets et deux heures de jeu.

Cela me permet d'avoir le droit d'affronter Maria Sharapova au second tour. Bon, je ne me fais pas d'illusion, à moins qu'elle soit dans un jour sans, je n'ai absolument pas les armes pour la battre. Pascal m'a d'ailleurs indiqué que je devais surtout penser à prendre du plaisir sur le court et ne pas songer au résultat. Mouais, facile à dire, je vais quand même tout faire pour ne pas me prendre une double roue de bicyclette !

En rentrant à l'hôtel, je remarque que j'ai reçu un message de Lucas. Il y a huit heures de décalage avec l'Afrique du Sud donc il est sûrement en train de se reposer dans sa chambre. Je fronce les sourcils en découvrant qu'il veut faire un Skype avec moi seule, donc sans Justine et sans Christopher.

Je prends mon ordinateur portable et je me connecte pour appeler mon frère tout en essayant de ne pas trop m'angoisser.

- Salut Frangin.

- Salut ma belle. Alors ce match ?

- Terrible ! Elle m'a claqué un 6-0 en même pas vingt-cinq minutes mais j'ai réussi à m'accrocher et donc je joue Sharapova au deuxième tour.

- Ooooh parfait !

- Parfait parce que tu auras l'excuse de zieuter sur le net des photos d'elle ?

- Ah ça va hein !

- Je me demande toujours pourquoi t'as choisi une brune. Tu ne fais que regarder les blondes ! Sharapova, Wozniacki,...je continue ? Joyce ne dit rien par rapport à ça ?

- En parlant de Joyce, c'est pour ça que je voulais faire un Skype avec toi.

- Tu as des problèmes avec elle ?

- A toi de me le dire.

- Hein, quoi ?

- Elle est...bizarre depuis que tu as officialisé avec Chris à Linz.

- Oooh attend Lucas, tu insinues quoi ? Christopher ne l'a jamais fréquentée il me l'a dit !

- Je sais.

- Alors quoi ? Tu sais, ce serait plutôt à moi de te poser la question. J'ai bien vu à Noël qu'elle ne semblait pas heureuse de le voir et j'aimerai savoir pourquoi.

- Aucune idée.

- Elle a peur pour elle, pour sa propre réputation ? Vous vous entraînez ensemble depuis plus de trois ans, ça ne change rien pour elle que Christopher et moi nous sommes en couple.

- Ecoute, il faut que je te dise un truc, Justine est pas au courant et je ne veux pas que tu lui en parles : je...j'ai demandé à Joyce si...si elle voulait bien m'épouser.

- Oooooh génial.

- Hum...non. Elle a refusé.

- QUOI ?

- Elle a m'a dit qu'elle ne se sentait pas prête.

- Mais vous êtes ensemble depuis six ans et vous avez votre appart depuis presque deux ans, ça change quoi ?

- Je crois...je me fais peut-être des films mais je crois qu'elle me trompe.

- Mais, et Christopher, que vient-il faire là-dedans ?

Je dévisage mon frère choqué, tout en assimilant lentement ses paroles puis d'une voix tremblante je lui dis :

- Oh non Lucas, non, si tu sous-entends que Joyce te trompe avec Christopher... oh non, je n'y crois pas !

- Pour toi comme pour moi j'espère que non.

- Il a changé Lucas et...oh non je sais qu'il ne me trompe ça, j'en suis certaine.

- Lorsque nous rentrerons à Paris, elle déménage.

- Vous...vous séparez ?

- Oui. C'est terminé entre elle et moi. Chris ne t'a vraiment rien dit ?

- Non. Il ne se mêle pas de tes affaires.

- Mouais. Je sais qu'il a remarqué que nous avions pris nos distances Joyce et moi. Je pensais qu'il t'aurait dit quelque chose.

- Non. Ecoute Lucas, je...je suis vraiment désolée pour toi mais...s'il te plait dis-moi que tu ne vas pas mettre ça sur le dos de Christopher ?

- Non. Et puis,...il a tendance à me fuir depuis un certain temps.

- Et ça t'étonne ? Tu n'arrêtes pas de l'engueuler et de le menacer depuis que nous sommes ensemble.

- Et je m'en excuse ok ? J'ai bien compris qu'il est dingue de toi et qu'il fait tout pour gagner la confiance de tout le monde. Ce matin il y a toute une équipe de chez Nike qui est venue pour faire un shooting photo et j'avoue, je n'ai jamais autant rigolé de ma vie. Mon dieu, la femme qui devait faire les photos, elle en a pris pour son grade.

- Pourquoi ?

- Elle a encore essayé de négocier pour que Chris pose en boxer et quand elle s'est approché un peu trop près de lui, j'ai bien cru qu'il allait lui coller son poing dans la figure. Ah je peux te dire qu'il fuit les filles comme la peste maintenant. Pour ça au moins, c'est vrai je ne peux rien lui reprocher, son comportement est exemplaire.

- Alors pourquoi tu t'es imaginé que Joyce te trompait avec lui ?

- Ouais tu as raison je suis ridicule. C'est évident que Chris n'a que toi en tête.

- Tu as pensé à demander l'avis de Nathan ?

- Non. Je vais le faire. Joyce lui a peut-être parlé si elle a Chris dans le viseur. Merde, elle me ferait quand même pas ça !

Lorsque je me déconnecte, je m'allonge sur mon lit en essayant de faire le point : jamais je n'aurai imaginé que Joyce refuse de se marier avec Lucas. Qu'elle dise qu'elle n'est pas prête me semble étrange : ils vivent ensemble depuis presque deux ans, elle a largement eu le temps de réaliser si cela lui convenait ou non.

Pendant le repas que je prends avec l'ensemble de mon team j'essaie de cacher mon inquiétude au sujet de mon frère. Mais heureusement, mon match contre Sharapova est au centre de toutes les conversations. Je discute avec Ryan, mon nouveau sparring partner : il est cool, il a un sacré niveau et au moins, il ne songe pas à me draguer. Dès notre première rencontre il m'a d'ailleurs indiqué qu'il était en couple et il m'a rassuré en me disant qu'il était un gars sérieux qui ne cherchait qu'à faire son job correctement.

Et c'est vrai : il m'aide vraiment à me dépasser et à donner le meilleur de moi-même. Je lui ai même demandé pourquoi il ne jouait pas sur le circuit ATP mais il m'a dit qu'après avoir végété trois ans dans le top 200, il s'était rendu compte qu'être sparring partner était nettement plus intéressant financièrement.

De temps en temps il participe à l'un ou l'autre tournoi challenger, l'équivalent des ITF pour les filles, lorsqu'il reçoit une invitation. Comme il se situe entre la 300 et la 600ème place mondiale, il n'a pas assez de points pour être accepté dans les challengers mais comme il remporte systématiquement les tournois auxquels il participe, il reçoit bien souvent une wild card pour l'édition suivante.

Avant de l'engager officiellement, j'avais discuté avec Justine et Pascal et aucun des deux n'avaient soulevé d'objections. Nous nous étions renseignés sur Ryan et nous avions rapidement compris qu'il serait un atout pour me permettre d'atteindre mes objectifs.

J'apprécie vraiment le fait qu'il ne me ménage pas, comme le lui a demandé Pascal. Je ne mène jamais nos échanges : c'est lui qui dicte le rythme, qui me pousse dans mes derniers retranchements et surtout, il ne se retient pas lorsqu'il sert face à moi. C'était une idée de Pascal : il veut que je sois capable de retourner n'importe quel service et comme Ryan est particulièrement doué en la matière, j'ai mis un certain temps avant de pouvoir réagir correctement.

Mais aujourd'hui, face à une attaquante qui base son jeu sur un service dévastateur, le travail effectué durant tout le mois de décembre avait payé. Je n'avais pas eu peur même si Lisicki possédait depuis juillet 2014 le record du service le plus rapide de la WTA, chronométré à 211 km/h.

Et j'avais tout renvoyé, même s'il m'avait fallu un set complet pour m'adapter.

Pascal dit que ce match doit me servir de repère pour la suite de ma carrière : il estime que j'ai franchi un palier et que je dois maintenant pouvoir me maintenir entre la 70ème et la 100ème place mondiale.

Cette année 2015 doit me permettre de me stabiliser avant de me lancer à la conquête du top 50.

Avant de me coucher, je lis le très long mail que Christopher m'a envoyé : je souris en constatant qu'il passe une bonne moitié de ce dernier à se plaindre du shooting photo de Nike puis qu'il consacre la seconde partie à s'excuser de sa mauvaise humeur.