Christopher - 29 juillet 2014


Je ne pouvais pas refuser ma sélection pour les Jeux du Commonwealth. Cette année ils ont lieu à Glasgow, autant dire dans mon jardin, et à moins d'un mois des Championnats d'Europe de Zurich, décliner l'invitation c'était comme me tirer une balle dans le pied.

Pour ne pas prendre de risque cependant, j'ai négocié avec la fédération pour ne pas m'aligner sur le décathlon mais uniquement prendre part au concours de la perche et du saut en longueur, mes points faibles. Mes arguments et ceux de mon entraîneur ont été entendus mais je sais que je n'ai pas droit à l'erreur.

Pour une fois je ne vise pas la première place. Pour cela il faudrait que je franchisse une barre à plus de 5 mètres 50 à la perche et que je saute à plus de huit mètres en longueur. Ce sont mes objectifs pour cette année mais malheureusement j'en suis encore loin. Très loin même.

A Götzis, je ne dois ma victoire qu'à un excellent concours de la hauteur et à ma deuxième place au 1500m. J'avais à peine esquissé un sourire en recevant les félicitations des autres gars car je déteste être battu dans mes épreuves favorites. Il faudra que je surveille mon pote à Zurich, Lucas Metzelder. Il a deux ans de moins que moi et ses résultats sont vraiment bons cette année. S'il n'avait pas complètement loupé son 110 mètres haies et son concours du javelot, il me battait, j'en suis presque certain.

Après avoir terminé mon échauffement, je suis invité à rejoindre la chambre d'appel. Je suis versé dans le groupe B pour débuter les qualifications de la longueur et je sais que je vais devoir sauter au moins à 7m70 si je veux atteindre la finale. Je ne suis pas le favori et ça me convient parfaitement. Je salue le Sud-Africain Zarck Visser, celui qui, à mon sens est l'homme à battre de notre groupe. Avec un record personnel à 8m32 qu'il a établi l'année dernière à Zurich, il peut envisager sereinement sa qualification. Sauf s'il connait la même mésaventure qu'un athlète australien l'année dernière aux championnats du monde à Moscou en réalisant trois essais nuls. Je n'ai encore jamais vécu pareille malchance et j'espère que cela ne m'arrivera jamais.

En raison de l'heure matinale, il y a peu de spectateurs dans le stade Hampden Park de Glasgow mais des journalistes par contre,...

Je soupire lorsque je constate que tous les objectifs sont braqués sur moi. Ça me plaisait il y a encore quelques années d'être l'une des stars de l'équipe nationale mais à présent,...Je ne peux absolument pas poser un pied au sol sans que le moindre de mes mouvements ne soit analysé. De mes vêtements à mes sorties au restaurant entre amis, tout est décrypté dans la presse nationale et internationale. Même pendant mes vacances je suis harcelé par les paparazzis. Il faut dire que je leur ai donné moi-même pas mal de sujets de discussion comme en mars dernier à Sopot pendant les Mondiaux en salle. D'accord, je reconnais que ce n'était pas très malin de ma part de m'afficher dans les tribunes avec une jolie perchiste ukrainienne de dix ans ma cadette. Son père avait d'ailleurs failli me trucider en découvrant les photos qui avaient inondé la presse à scandales dès le lendemain et l'affaire avait fait grand bruit dans le monde de l'athlé.

Je tente de me reconcentrer lorsque je suis appelé pour faire mon premier saut des qualifications. Cela fait deux ans que je tente d'améliorer ma technique depuis que je stagne à 7m85. J'ai tout retravaillé : ma course d'élan, mon impulsion sur la planche, la suspension, la réception, tout mais je ne parviens pas à grappiller les centimètres ni à franchir les huit mètres.

- Hodges Christopher, Angleterre, premier essai !

J'inspire profondément puis je fixe la planche d'appel et le bac à sable. A cet instant précis, je suis dans ma bulle et plus rien n'existe autour de moi. Mon coach, qui me connait depuis que j'ai débuté l'athlétisme, dit toujours que si j'en suis arrivé à un tel niveau c'est grâce à cette puissante capacité de concentration. Dès que je suis sur une piste, dès que je me trouve dans les starting-blocks ou face à un sautoir, je ne me laisse jamais déconcentrer. Ni pas le public, ni par mes adversaires, ni même par une femme aussi jolie soit-elle.

Ma course d'élan est rapide et précise. Elle me prépare à donner une puissante impulsion afin de me projeter le plus loin possible dans les airs. Lorsque je décolle, je sais que ma planche est impeccable, ni trop longue, ni trop courte, à deux ou trois centimètres tout au plus de la plasticine. La flexion parfaite de mes jambes me permet de poursuivre vers l'avant et ne pas retomber en arrière dans le sable.

Je me relève très vite et je regarde avec une certaine appréhension Andrew, mon coach, qui se trouve dans les tribunes non loin de moi. Son pouce levé vers le ciel me rassure. Je me tourne ensuite vers le marquoir et je pousse un bruyant soupir de soulagement en découvrant ma performance :

GBR Hodges Christopher - 7m92

La limite de qualification étant fixée à 7m90, je suis dispensé des deux derniers essais et je vais pouvoir rentrer à l'hôtel sans avoir dépenser trop d'énergie. Tout en me rhabillant, je regarde avec attention les autres participants. Le niveau est bon, très bon même et je sais qu'en finale, il ne suffira pas de sauter huit mètres tout rond pour remporter la médaille d'or. Je râle un instant, dépité une nouvelle fois de rester en deçà de mon objectif de la saison. Pourquoi ces fichus huit mètres se refusent-ils à moi putain ?

Nous ne sommes que deux à assurer directement notre place en finale dès le premier essai. Visser a mordu lors de sa première tentative et j'ai l'impression qu'il est perdu dans ses marques de départ. Mais il n'en reste pas moins un redoutable performeur et dès le second essai il nous claque un 7m99 grâce à un saut que je qualifierai de nonchalant. Même si j'ai terminé, je suis obligé de rester jusqu'à ce que les douze athlètes du groupe aient terminé leurs trois essais.

Je jette un coup d'œil vers l'entrée des vestiaires et je remarque deux officiels qui scrutent notre groupe. Je m'en doutais : je vais sans doute avoir droit au contrôle antidopage, comme d'habitude. Je me rappellerai toute ma vie de la première fois où j'avais reçu le fameux document indiquant que je devais me soumettre au contrôle : c'était aux Championnats du monde cadets à Marrakech. J'avais seize ans, je m'étais qualifié un peu par surprise pour l'octathlon et j'avais obtenu la médaille de bronze alors que je n'étais pas cité parmi les favoris. Je n'avais pas tout de suite compris ce qui m'était demandé et l'un des officiels m'avait alors copieusement invectivé. Il m'avait ensuite traîné dans un bâtiment un peu à l'écart du stade. Le médecin contrôleur m'avait expliqué le déroulement du contrôle et avait demandé à voir ma carte d'identité.

Andrew, heureusement, avait pu m'accompagner étant donné que j'étais mineur. Il m'avait rassuré car j'avais très mal pris cette convocation, croyant que je devais passer le contrôle parce que personne ne s'attendait à ce que je fasse un aussi bon résultat. Le médecin m'avait ensuite accompagné aux toilettes et m'avait surveillé pendant que je remplissais l'échantillon. A mon grand désappointement, je n'avais pas fourni un volume suffisant et il m'avait fallu ensuite boire trois litres d'eau afin de satisfaire au contrôle. J'avais passé la nuit à me rendre aux toilettes toutes les cinq minutes tant j'avais mal au ventre à cause de tous les liquides que j'avais ingurgité.

A présent, je remplis ces formalités presque avec détachement. Je sais que je suis propre, je n'ai jamais touché au moindre médicament interdit et je préfère me prendre une belle raclée en compétition que de remporter un titre en sachant que j'ai triché. Pourtant tout a failli basculer il y a deux ans après les JO de Londres. J'avais sympathisé avec Alysha, une nageuse américaine et ce qui ne devait être au départ qu'un coup d'un soir s'était transformé en une relation plus ou moins sérieuse. Je savais qu'Alysha me trompait et moi, j'avais fait quelques écarts alors que nous étions censés être ensemble. Evidemment, cette relation à distance n'avait pas fonctionné. Nous avions nos carrières respectives à mener et je ne me sentais pas encore l'envie de me caser définitivement. 

Je croyais que nous nous étions séparés en bons termes mais en février 2013 alors que je participais aux championnats d'Europe en salle à Göteborg, Alysha avait donné une conférence de presse dans sa ville natale de Vallejo en Californie pour m'accuser d'être responsable de son contrôle antidopage positif subi quelques semaines après la fin des Jeux Olympiques. Mon manager avait réussi à clouer le bec à cette petite insolente mais le mal était fait. Chacune de mes prestations était systématiquement remise en doute.

Je salue le médecin contrôleur après lui avoir remis mon échantillon d'urine et je m'apprête à regagner ma chambre d'hôtel afin de me reposer. Lorsque je quitte le stade, une voix féminine m'interpelle. Je me retourne tandis qu'Andrew continue sa route. Une jeune femme blonde portant un survêtement aux couleurs de l'Australie tient dans sa main mon accréditation d'athlète qui était tombée de mon sac de sport.

- Vous avez perdu cela.

- Merci beaucoup.

Je détaille un instant avec intérêt cette athlète inconnue et pris d'une envie soudaine je m'apprête à lui proposer de rejoindre sa chambre lorsque j'aperçois un groupe de journalistes qui sort du stade au même moment.

Je grimace puis je tourne le dos à la belle australienne. J'avais promis à ces crétins de la fédération de me tenir correctement, ce n'était vraiment pas le moment de me faire remarquer.


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Voici donc un premier chapitre consacré à Christopher. Que pensez-vous de lui ?

Pour une fois, j'ai choisi de créer un personnage masculin pas très "orthodoxe".  Malgré son statut de vedette du sport de haut niveau, il n'a pas une vie bien rangée. C'est même tout le contraire...

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