Je suis arrivé à Zurich hier matin. Ce n'est pas dans mes habitudes d'être sur place aussi tôt mais je ne supportais plus d'être à Paris. Au moins, je ne suis pas seul. Lucas est inscrit aux même épreuves que moi et je dois dire que son soutien ces dernières semaines m'a permis de ne pas sombrer. Je croyais qu'il serait le premier à me rejeter mais non, il est toujours là et il me croit, lui. Il me croit quand je lui dis que je n'ai pas trompé Océane, que jamais je n'aurais pu faire une chose pareille. Même si toutes les apparences sont contre moi, je n'arrive pas à imaginer que j'ai pu me comporter comme un salopard.

Je n'ai aucun souvenir de la soirée. En tout cas, pas après le départ de mes potes. Je me rappelle de cette fille, Marine, qui n'avait pas arrêté de m'aguicher et que j'avais gentiment repoussée. Mais ensuite, c'est le trou noir. Ce qui fait dire à Lucas que quelqu'un m'a drogué et que ce n'est pas de manière volontaire que je me suis retrouvé nu dans le lit de cette fille.

D'ailleurs, quand je regarde son gabarit, je doute qu'elle ait pu tenter quoi que ce soit avec moi. A moins que j'étais à ce point défoncé pour avoir, moi-même, pris la direction des opérations ? Non, impossible.

Pourtant, je lui ai envoyé plusieurs messages pendant la soirée, elle me les a montrés aux Tuileries lors de ce rendez-vous auquel Océane n'est jamais venue. Plus de trente messages où j'étais de plus en plus explicite. Je ne comprends pas. C'est pas mon genre. Même avant Océane je ne fonctionnais pas comme ça.

Lucas dit que mon portable a pu être piraté. Mouais possible mais bon, encore une fois, par qui ? J'imagine très mal cette Marine en drogueuse et hackeuse. Enfin, après tout, qu'est-ce que j'en sais ? Je ne la connais pas cette fille. Et je doute qu'Amélie, la meilleure amie d'Océane, soit dans la combine. Ça ne colle pas avec son tempérament.

Pour Lucas, les choses sont simples : on a mis un truc dans mon coca, un truc bien puissant pour que je ne puisse avoir aucun souvenir de la soirée. Et ce n'est pas de manière volontaire que je me suis retrouvé dans l'appart d'Amélie. Il dit également que les préservatifs ont pu être apportés par Marine pendant que je pionçais dans son lit. Oui, c'est vrai, je noue toujours deux fois une capote utilisée après l'acte. Il suffit de le demander à l'une de mes conquêtes pour le savoir, ce n'est pas compliqué.

Lucas et moi nous nous reposons dans notre chambre à l'hôtel. Le même que l'année dernière pour les championnats d'Europe. Évidemment une tonne de souvenirs refont surface, pour mon plus grand malheur. Je repense alors aux articles dans la presse sportive au sujet d'Océane. Sa tournée américaine a été un échec total. Hier, j'ai regardé son match du premier tour de l'US Open et cela a été un calvaire pour moi. Elle semblait perdue sur le terrain, elle commettait des erreurs de débutante et, quand je l'ai vu sortir du court les larmes aux yeux après sa lourde défaite 6-0 6-1, j'ai pleuré moi aussi. Lucas ne comprends pas qu'Océane refuse tout dialogue avec moi. Il n'a pas d'explication sur son absence lors de ce rendez-vous où j'espérais tant pouvoir la convaincre de mon innocence.

Je me redresse brusquement dans mon lit.

— Chris ?

— Elle nous a vu.

— De quoi tu parles ?

— Océane. Lorsque j'étais aux Tuileries. Elle a dû me voir lorsque....lorsque Marine m'a embrassée. Ce n'est pas possible autrement. De loin, elle a forcément dû penser que je me suis foutu de sa gueule. Alors que c'est tout l'inverse. C'est l'autre qui m'a sauté dessus, j'ai pas pu l'en empêcher.

— Elle t'a dit quoi exactement ce jour-là ?

— Au départ, elle a prétendu que c'était moi qui l'avais cherchée pendant la soirée. Puis elle a reconnu que c'était elle qui m'avait fait du rentre dedans mais uniquement parce que je l'avais draguée par sms.

— C'est là qu'elle t'a montré les messages.

— Ouais.

— Puis, elle s'est mise à pleurer en me disant qu'elle était persuadée que j'avais vraiment des sentiments pour elle. Elle a dit qu'elle n'aurait jamais insisté autant pour que je la suive chez elle si je lui avais indiqué que ce n'était pas fini entre Océane et moi.

— Elle te rejette la faute en somme. Facile...

— Et puis, moi, comme un con, j'ai vraiment cru qu'elle était mal par rapport à ça, qu'elle ne voulait pas briser mon couple et je lui ai pris la main en signe de réconfort. Bordel qu'est-ce que j'ai été con !

— Et c'est à ce moment-là qu'elle t'a embrassée ?

— Ouais. Avec le recul, je me demande si elle n'a pas vu Océane. Et qu'elle a voulu enfoncer le clou. Je l'ai repoussée mais pas assez vite sans doute.

— Alors ça expliquerait pourquoi tu ne l'as pas vue ensuite.

— Et que Justine m'a systématiquement raccroché au nez à chaque fois que j'ai essayé de l'appeler.

Le smartphone de Lucas se met à vibrer sur la table de nuit. Mon colocataire s'en saisit rapidement et il pousse un juron. Il pianote comme un fou furieux sur son téléphone puis il me le tend. Son appli Facebook est ouverte sur le profil de Marine. Cette garce a modifié son statut le 17 juillet en indiquant que nous étions en couple ! Écœuré, je lui envoie un message pour lui demander de retirer cette fausse information. Et comme je ne suis pas d'humeur, je la menace de lui envoyer Jamie si elle persiste dans ce comportement.

Comme pratiquement chaque jour, j'essaie à nouveau de contacter Océane et Justine. Mais mes appels sont systématiquement renvoyés. J'abandonne après la cinquième tentative et je m'allonge à nouveau sur mon lit. Je ne sais pas ce que je peux faire pour qu'Océane accepte de me donner une seconde chance.

Une seconde chance...

Océane avait toujours été très claire à ce sujet. À cause de mon passé sulfureux, elle avait toujours dit que je n'aurais pas droit à l'erreur et que si je replongeais, c'en était fini de notre couple. Si Marine ne contredit pas tout ce qu'Océane a pu voir de ses propres yeux, notre histoire est morte et enterrée, c'est une certitude.

J'essaie de me mettre à sa place : elle m'a vu entièrement nu dans le lit d'une autre, elle a vu deux préservatifs usagés au sol, noués comme je le fais habituellement et elle a vu Marine m'embrasser. Ou l'inverse : de son point de vue, elle a dû penser que c'est moi qui avais fait le premier pas.

Une autre idée me tord alors les entrailles. Et si je l'avais vraiment fait ? Et si j'avais vraiment couché avec cette fille parce que j'étais défoncé et que je n'étais plus moi-même ? Je n'ai aucune certitude à ce sujet. C'est encore ma parole contre celle de Marine. Et moi, je n'ai aucun souvenir de cette nuit. C'est elle qui a le beau rôle là-dedans.

Perturbé, je me tourne vers Lucas :

— Et si j'avais vraiment couché avec l'autre ? Je n'ai aucune preuve. Que ce soit vrai ou faux. Puisque je ne me rappelle de rien. Putain mais pourquoi je ne me rappelle de rien ?

— Parce qu'on t'a drogué. Tu tiens bien l'alcool, c'est pas en quelques mois que tu as perdu cette habitude. Et comme tu n'as bu qu'un seul cocktail ce soir-là, on t'a drogué, je n'ai aucun doute là-dessus. Maintenant, je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie mais oui, tu pourrais vraiment avoir couché avec elle. Même si tu n'en gardes aucun souvenir. Dieu merci tu as eu la présence d'esprit de faire un test et elle, on sait qu'elle n'est pas enceinte.

— De toute façon si elle refusait de faire une prise de sang, je l'aurais obligée.

Lucas me regarde en soupirant :

— Tu vois, c'est ça qui me fait penser que peut-être vous êtes allés au bout. Le ChemSex est très tendance. Je ne parle pas pour toi bien sûr mais Marine a dû se dire que c'était la seule manière pour elle de t'avoir.

Je me sens salis par les paroles de Lucas. Jamais, jamais je n'ai eu l'intention de tromper Océane. Coucher avec une autre qu'elle, même pas en rêve ! Imaginer que j'ai pu le faire même en étant sous l'emprise d'une drogue me dégoûte totalement.

Je dois régler cette histoire au plus vite. Pris d'une soudaine inspiration, je contacte Jamie et je lui demande si j'ai le droit de porter plainte contre Marine. Après une demi-heure de discussion, je raccroche, dépité. C'est vrai, je suis con, c'est en juillet que j'aurais dû porter plainte. Maintenant...j'ai une chance sur cent pour que je sois pris au sérieux. Et encore...

Mais je pensais surtout à Océane, à avoir une explication de vive voix avec elle et surtout à m'assurer que je n'avais pas chopé une MST ou que l'autre ne soit pas tombée enceinte. Malgré tout, je veux le tenter. Océane l'apprendra forcément. Et, même si je sais que les journaux m'attribueront le mauvais rôle, je veux être réhabilité. Avoir une relation sexuelle sous l'emprise de la drogue et sans consentement, ça s'appelle un viol.

Alors, au lieu de me reposer comme je suis sensé le faire avant chaque compétition, je cherche des cas similaires au mien sur internet. Lucas fait de même et au bout de deux heures, nous soufflons tous les deux de concert. Je commence tout doucement à comprendre que j'ai très peu de chances d'obtenir gain de cause. Allez savoir pourquoi, selon un article de journal, lorsqu'une femme porte plainte pour ce type de situation, elle a neuf chances sur dix de voir sa plainte obtenir une issue favorable. À l'inverse, si c'est un homme, il a neuf chances sur dix d'être débouté. Ce n'est pas normal.

Lucas, lucide dans son analyse, m'indique qu'en plus, je pars avec un a priori plus que négatif à cause de mon passé détestable. Bordel j'aurais mieux fait de réfléchir avant moi...

Étrangement, plus les semaines passent, plus mon chagrin disparaît pour faire place à de la colère. D'un revers de la main, Océane a balayé neuf mois de relation comme s'il ne s'était jamais rien passé entre nous. Pire, comme si tout ce que j'avais fait pour lui prouver que j'étais désormais un homme sérieux n'avait jamais existé.

Je ne la comprends pas.

Une chose est sûre : elle ne reviendra pas vers moi. Elle a pris sa décision, c'est à moi à me battre pour sauver notre couple. J'ai l'impression d'être revenu en décembre dernier, lorsqu'Océane m'avait demandé de lui laisser du temps après ce stupide sexto que je lui avais envoyé. Mais cette fois, je ne veux pas être considéré comme le fautif de l'histoire.

Une question me taraude cependant : et si elle avait fait une croix sur notre relation ? J'ai envie de croire que non mais son silence, son refus de me laisser lui parler ne me laisse rien augurer de bon pour notre avenir commun. J'y ai cru...Elle et moi, j'y ai cru dur comme fer. Nous étions si bien ensemble. Je ne la connaissais pas, elle était à des kilomètres des filles que je fréquentais et pourtant c'est d'elle dont je suis tombé amoureux.

À présent, mon cœur est meurtri. Et ma vie aussi. Comment pourrais-je penser cette blessure ? Une entorse, ça se soigne mais une peine de cœur ? Cette meurtrissure ne partira jamais je le sais. Je veux être optimiste et croire en des jours meilleurs mais dans mes veines coulent l'angoisse et la peine. Dois-je faire le deuil d'une histoire que j'imaginais ne jamais finir ? Je n'ai pas perdu ma rage de vaincre, elle est toujours en moi. Pourtant, le moindre pas me semble d'une atroce difficulté. Je dois avancer, mais vers quoi ? Avec Océane nous étions très fusionnels. Je n'arrive pas à imaginer vivre avec une autre femme qu'elle.

Je sais que si je porte plainte contre Marine, c'est une arme à double tranchant : soit je serai réhabilité et je pourrais prouver ma bonne fois à tous, soit...cela risque de se retourner contre moi et m'enfoncera un peu plus.

Je grimace : Océane pense que je l'ai trahie ? Je vais lui prouver le contraire, je vais lui prouver qu'elle a eu tort de ne pas me faire confiance. Au fond de moi je sais que je ne l'ai pas trompée. Et si Marine a commis l'irréparable, elle le paiera très cher. Je me battrai pour cela.