Christopher, 2 avril 2015
Nous sommes rentrés hier des Etats-Unis et je dois dire que je suis très fier d'Océane. A Miami, elle a pu profiter des conseils de Caroline Wozniacki et cela l'a vraiment boostée. En sortant des qualifications, je ne m'attendais pas à ce qu'elle aille jusqu'en quart de finale, en éliminant au passage Maria Sharapova, rien que cela.
Après une longue discussion avec Pascal, Océane a ensuite choisi de renoncer au tournoi de Katowice en Pologne car il se joue sur dur mais également au tournoi de Stuttgart, pourtant classé dans la même catégorie qu'Indian Wells et Miami.
Mais comme elle me l'a expliqué ensuite, si elle veut tenir toute la saison, elle doit se ménager. Grâce à ses bons résultats, elle peut à présent figurer dans le tableau final de chaque tournoi auquel elle est inscrite. Sauf que cette année, il ne s'agit plus de tournois ITF mais bien ceux du circuit WTA, les plus relevés du circuit féminin.
Moi je me contente de trois, voire exceptionnellement quatre décathlons sur l'année tandis qu'Océane enchaîne les tournois chaque semaine. Et quand je vois son programme pour les prochains mois, j'avoue que je suis impressionné.
Madrid, Rome, Roland-Garros, Birmingham, Wimbledon, Stanford, Toronto, Cincinnati et l'US Open. Rien que ça. Avec quand même une légère interruption au moins de juillet.
Et comme j'ai décidé officiellement de ne pas me rendre à Pékin, ma saison 2015 est déjà terminée.
Je vais donc profiter de ces quelques jours de repos à Paris avec ma girlfriend avant de retourner sur la piste pour préparer 2016.
Je regarde Océane qui dort paisiblement contre moi : elle a accepté de loger chez moi chaque fois qu'elle sera de retour dans la capitale française et j'avoue que cela fait de moi le plus heureux des hommes.
Je craignais une réaction virulente de son père mais...il semble résigné à présent à notre sujet. D'autant que Lucas lui a annoncé qu'il devenait mon colocataire suite à sa rupture avec Joyce.
Peut-être bien que Denis n'a pas protesté parce qu'il sait qu'il pourra toujours compter sur son fils au cas où.
Mais les choses ont changées : Lucas me soutient maintenant. Il a eu du mal à s'y faire mais il a fini par comprendre que l'homme que j'étais avant Zurich n'existe plus.
J'entends une porte s'ouvrir dans l'appartement : Lucas est rentré un peu avant nous hier et il avait souri en nous voyant arriver Océane et moi.
Son regard plein de sous-entendus m'avait fait lever les yeux au ciel lorsque Océane était partie dans notre chambre. Bien entendu, il n'est pas con : il sait parfaitement comment nous occupons une partie de nos nuits elle et moi.
Je suis donc extrêmement frustré ce matin d'avoir été obligé de réfréner mes ardeurs avec ma petite-amie.
Mon estomac commence à protester et comme Océane dort toujours, je quitte notre chambre sans bruit pour aller prendre une douche.
Je rejoins ensuite Lucas pour prendre mon petit-déjeuner sous le regard narquois de ce dernier :
- Tu as l'air fatigué...
- Moi ? Non, je suis en pleine forme. J'ai très bien dormi.
- Dormi ?
- Dormi oui.
C'est alors que j'entends la voix claire d'Océane juste derrière moi :
- Tu veux peut-être connaître le nombre de fois où il se retourne, la durée de ses ronflements, s'il grince des dents, le...
- Hein ?
Effaré, je dévisage Océane sans comprendre. Elle se fout de moi là ? Parce que...je ronfle pas moi. Enfin, pas que je sache. Nathan ne m'a jamais rien dit quand on partageait la même chambre en compétition. Et je ne grince pas des dents non plus !
Mais quand je vois le sourire éclatant sur le visage de ma petite-amie je respire. Elle se moque de moi la coquine...
Comme si de rien n'était, Océane vient ensuite s'installer à côté de moi après m'avoir gratifié d'un léger baiser dans le cou.
Désireux de ne pas donner à Lucas d'autres possibilités d'évoquer mon intimité avec sa sœur, je lui demande son programme pour les prochains mois. Il n'a toujours pas tranché au sujet de Pékin car son épaule le fait toujours souffrir. Et bien...je pense que d'un point de vue sportif, 2015 n'est décidément pas notre année.
Et pour Lucas c'est encore pire car lui, il débute cette année en ayant encore le souvenir du refus de sa demande en mariage par Joyce et sa trahison avec Nathan.
Moi, même si ces dernières semaines n'ont pas été de tout repos, je pense que ma relation avec Océane devient petit à petit très solide et elle me permet de ne pas broyer du noir.
On m'aurait dit cela il y a un an, que j'allais me ranger avec la sœur d'un de mes meilleurs potes, je ne l'aurais jamais cru.
- Götzis ?
- Aucune idée. En fait, je me demande si je ne ferais carrément pas comme toi.
- C'est-à-dire ?
- Zapper la saison 2015 et me concentrer sur Rio.
- Moi, je n'ai pas le choix. Et n'oublie pas que la période de qualif est déjà en cours.
- Je sais. Mais me présenter à Götzis, à Pekin ou au Décastar blessé et me retrouver un peu plus sur la touche ensuite, ça risque de me retarder dans ma préparation pour 2016. Non, je pense que je fais me contenter des épreuves où mon épaule ne souffrira pas et puis on verra.
Je ne dis rien pour ne pas contrarier Lucas mais j'espère qu'il ne se mettra pas ensuite trop de pression.
Les sprinteurs, les sauteurs, les lanceurs, les coureurs de demi-fond, tous ces athlètes peuvent voir venir pour les minimas. Nous les décathloniens, on ne peut pas se farcir dix épreuves toutes les semaines, c'est impossible.
Nous aurons deux, voire trois occasions tout au plus de réaliser les minimas pour Rio. C'est chaud, très chaud et, même si Lucas et moi nous avons le potentiel, nous ne sommes pas à l'abri d'un nouveau pépin physique ou d'un triple nul au saut en longueur ou à la perche.
Océane, qui nous avait écoutés sans dire un mot, se tourne vers Lucas :
- Et que dit papa ? Il en pense quoi ?
- Il ne veut surtout pas que je prenne de risques même s'il est déçu que ma saison ne se passe pas comme il le souhaitait.
- Je suis d'accord avec lui. J'espère juste que tu ne te mettras pas une pression inutile comme tu sais si bien le faire quand il faudra réaliser les minimas.
Ma girlfriend vient de me voler ma réplique... mais cela prouve à quel point elle connait bien son frère. Depuis que je connais Lucas, j'ai pu rapidement remarquer qu'il avait beaucoup de mal à assumer un statut de favori.
A ce niveau-là, nous sommes très différents lui et moi.
L'entourage d'un sportif professionnel croît en lui et nourrit des espoirs dans ses performances. Ses supporters, son coach, les médias de son pays, son staff et sa famille gravitant autour de lui exercent sans le vouloir nécessairement, une pression.
Moi, j'avoue que cela ne m'a jamais affecté : je n'ai jamais pris la peine de regarder ce que les médias anglais disaient à mon sujet, Andrew est du genre très zen et ma famille n'en a rien à foutre de moi. Tout ce qui les intéresse c'est le fric que je peux gagner.
Du côté de Lucas par contre...c'est l'inverse. Denis est une boule de nerfs incroyable, les journaux français voient en Lucas l'homme capable de ramener l'or olympique et n'hésitent pas à le démolir en cas de contre-performance.
En plus, Lucas, qui a à cœur de bien faire, se met lui-même une pression incroyable. Combien de fois ne l'ai-je pas vu vomir avant une compétition ?
Je peux difficilement me mettre à sa place car, depuis huit ans, je suis dans une spirale incroyable et je ne sais plus ce que signifie la défaite.
Lucas...a toujours été dans l'ombre, d'une certaine manière. Toujours placé mais jamais sur la plus haute marche du podium. Il est d'une régularité exemplaire mais, hormis le titre de champion de France, il n'a aucun titre européen ou mondial.
Il a également une très mauvaise confiance en lui : quand il commence à voir ses résultats baisser, c'est la catastrophe.
Et puis, il y a cette fameuse pression du 110 mètres haies, cette hantise qu'il a de se blesser à cause de cette chute qu'il n'arrive pas à oublier.
Je lui ai déjà dit de consulter un psychologue du sport mais Lucas est comme sa sœur : une vraie tête de mule.
Lorsque j'ai commencé à percer au niveau international, Andrew m'avait forcé à me rendre à une consultation. J'y avais été en traînant les pieds mais j'avais très vite compris tous les bénéfices qu'un tel suivit pouvait m'apporter.
Le docteur Falkirk, l'homme qui me suit depuis mes débuts, m'a dit un jour : « le but n'est pas d'annuler ou de faire disparaître la pression. Mon objectif est que tu en tires le positif, la force qui te permettra de te surpasser »
Il m'avait ensuite expliqué que plusieurs analyses avaient démontré que les performances en athlétisme s'effectuaient le jour de la compétition. Pourquoi ? Parce que si le sportif exploite et canalise la pression mentale de manière efficace, cela lui permet de se transcender et de dépasser ses limites.
Tout était dans le dosage. Dosage que Lucas ne maîtrise pas malheureusement.
Pourtant, savoir se servir de la pression est essentiel dans la préparation mentale d'un sportif de haut niveau.
J'entends alors des rires étouffés :
- Nous l'avons perdu je crois.
Je tourne la tête vers Océane qui m'observe tendrement :
- Hum...désolé, je...j'étais...
- Dans la lune oui, j'ai remarqué ! On peut savoir ce qui t'a amené aussi loin de Paris ?
- Tu parlais de la pression que se mettait Lucas avant les compèts. Et je me disais que...qu'il devrait peut-être faire comme nous deux.
Lucas nous regarde tour à tour d'un air interrogateur :
- Faire comme vous ?
- Ton père a toujours refusé que tu sois suivi par un psychologue du sport. Pourtant tu as bien vu qu'avec Océane, cela avait été bénéfique...
- Et ça recommence...
- Reconnais que tu as besoin d'aide Lucas ! Moi, je t'avoue que j'en ai un peu marre de te voir vomir tripes et boyaux avant chaque compétition.
Vu la tête de Lucas, je préfère cependant ne pas insister. Et de toute façon, c'est bientôt l'heure de l'entraînement pour Océane.
Lorsque nous arrivons au centre de la fédération française de tennis une heure plus tard, je grimace : plusieurs journalistes se trouvent devant l'entrée et, lorsqu'ils nous aperçoivent, ils se précipitent vers nous.
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