Christopher - 13 août 2014

J'ai vraiment cru qu'Océane allait me jeter. Cette façon de parler de moi,...si dure mais si...juste, ça m'a complètement retourné.

Évidemment, Lucas était venu aux nouvelles, après avoir pris le temps de discuter avec sa sœur.

J'avais décidé de ne rien lui cacher et je lui avais récité presque mot pour mot ce qu'Océane m'avait dit.

Il avait hoché la tête puis avant de me laisser il m'avait dit :

- Tu sais ce qu'il te reste à faire...

Le 110 mètres haies est programmé à 10 heures ce matin. Comme d'habitude, j'ai mis mon réveil assez tôt afin d'aller trottiner un petit quart d'heure autour de l'hôtel.

Il est 6h20 lorsque j'arrive dans le hall d'entrée et je croise d'autres décathloniens qui s'apprêtent à faire la même chose que moi.

Andrew ne m'accompagne pas : je lui donne la clé de ma chambre et lorsque je suis sur le trottoir devant l'établissement, une voix claire m'interpelle en anglais.

Je me tourne lentement et je fronce les sourcils en voyant Océane. Elle s'approche rapidement de moi puis elle me dit :

- J'ai oublié de te dire hier soir que...que si tu es devant Lucas, ça ne changera rien, ça n'aura aucune incidence. La compétition c'est à part. Je sais que tu es plus fort que lui et que tes résultats sont excellents pour le moment, donc,...sache que si c'est ce qui doit arriver je ne t'en voudrai pas.

Par contre, je ne veux pas me retrouver seule avec toi, à n'importe quel moment, tant que nous sommes ici. Si tu as quelque chose à me dire, il faudra le faire devant les personnes avec lesquelles je me trouve.

Je n'ai même pas le temps de lui répondre, elle est déjà repartie vers les ascenseurs. Je me sens au moins rassuré sur le fait que le résultat du décathlon n'aura aucune influence sur une tentative de relation entre nous. Je sais aussi que, si je bas Lucas, j'ai intérêt à faire profil bas avec elle les prochains jours. Je ne suis pas con, elle m'en voudra quand même...

Je me sens bien ce matin, bien mieux qu'hier. J'ai hâte d'être sur la piste pour faire taire les mauvaises langues.

Je suis le seul responsable des conneries que j'ai faites hier mais je n'ai pas du tout aimé ce que j'ai entendu à l'hôtel lorsque je suis rentré.

Ils vont voir qu'ils ont eu tort de m'enterrer aussi vite. Je suis rancunier et s'il y a bien quelque chose que je ne supporte pas c'est qu'on mette en doute mes capacités.

Tandis que je prépare mon sac avant de me rendre au stade d'échauffement je fronce les sourcils. Océane me considère comme un homme arrogant, imbu de lui-même et prétentieux : il est hors de question que je lui renvoie cette image une nouvelle fois.

Je retrouve Lucas sur la piste et je vois immédiatement qu'il est tendu. J'essaie de le faire penser à autre chose que ces fichues haies qui lui fichent une trouille pas possible. Malheureusement il se met à évoquer sa sœur et cela n'arrange pas son humeur :

- Elle m'a dit que je ne devais pas t'interdire de la voir si jamais tu es mieux classé que moi ce soir. Elle me prend pour qui ? Justine a raison. Elle a beau tout nier en bloc, je sais bien qu'elle a craqué pour toi. Mais bordel pourquoi ça arrive maintenant ? Et pourquoi c'est TOI qu'elle a choisi ?

Je ne retiens pas grand-chose de la conversation, juste le fait qu'Océane tient à démentir toute attirance pour moi. Et ça me fait de la peine. Je me demande alors pourquoi elle a accepté finalement de me laisser une chance ? Est-ce le contexte ? A-t-elle eu peur que cela me déstabilise pour mon décathlon si elle refusait toute possibilité de relation entre nous ?

Dire qu'il y a deux heures à peine je me sentais confiant...

- Arrête de penser à ma sœur.

- Quoi ?

- T'es pas concentré sur les haies je le sais. Et si tu as peur qu'elle a pris sa décision dans un souci d'apaisement tu te trompes.

Bordel, Lucas a le don de voyance maintenant !

Nous n'avons pas le temps de continuer cette discussion, nos coachs respectifs nous rappellent à l'ordre.

Pendant quelques minutes je ne dis plus rien mais lorsque je me retrouve à nouveau à côté de Lucas je me tourne vers mon ami avec un sourire :

- Tu n'as pas l'impression parfois qu'ils nous considèrent encore comme des gamins ?

- A qui le dis-tu ! Au fait, y a un truc que t'as pas intérêt d'oublier, c'est son anniversaire. Pour cette année c'est râpé, mais retiens, c'est le 3 juin. Le même jour que Nadal, tu peux pas oublier.

- 21 ans ? 22 ? Je ne sais plus...

- 22 ans. Et on ne peut pas dire que ça s'arrange côté caractère...

- Tu essaies de me faire peur ?

- Non, juste de te faire comprendre à quoi tu t'engages avec elle.

- Merci...Comment me rassurer un peu plus...

Je préfère ne pas m'aventurer en terrain glissant et inconnu, je dévie donc la conversation sur les haies. J'essaie d'encourager Lucas comme je peux et de lui donner un maximum de conseils.

Lorsque nous entrons dans le stade Letzigrund je frissonne. J'ai beau avoir déjà remporté les trois titres majeurs possibles pour un décathlonien dans ma carrière, je sais que ce soir je peux ajouter une nouvelle ligne à mon palmarès et ça me donne d'un coup un peu de pression.

Je me retrouve dans la même série que Lucas, la troisième, et surtout la plus rapide. Je suis au couloir 3 à côté de l'allemand qui a le meilleur temps de tous les athlètes inscrits tandis que mon pote se retrouve au couloir 8.

Lorsque je me positionne dans les blocks, je pense surtout à Lucas : je sais qu'en ce moment il doit encore et encore revoir les images de cette putain de chute qui le tétanise depuis six ans et j'espère que ce que nous avons fait cette semaine à l'entraînement va l'aider à passer au-dessus de ses peurs.

Je prends un excellent départ et je fais jeu égal avec l'allemand jusqu'à la dernière haie où je me réceptionne légèrement moins bien que lui. C'est suffisant pour qu'il prenne le large et qu'il remporte la course.

Je me tourne très vite vers Lucas et je suis soulagé en voyant qu'il arbore une mine assez satisfaite.

- Hey, ça va ?

- Ouais...je l'ai passé cette foutue haie, sans la toucher !

- Ah tu vois !

- Mais j'ai balancé la dernière. Tu fais quoi toi ?

- Euh...

Je me rends compte que je n'ai même pas regardé l'écran géant. J'ai juste le temps d'apercevoir le résultat et je bondis de joie.

2. GBR HODGES Christopher 13.65 PB

5. FRA METZELDER Lucas 14.22 SB

Lucas et moi nous tombons dans les bras l'un de l'autre : j'améliore mon record personnel de 8 centièmes et lui réalise sa meilleure perf de la saison.

Nous n'avons pas le temps de nous attarder sur la piste car nous devons débuter l'échauffement pour le concours du disque qui commencera vers midi.

J'écoute Lucas me raconter sa course et je l'encourage une nouvelle fois tout en espérant qu'il retiendra cette bonne expérience pour la suite.

Contrairement à la première épreuve de la journée, je foire complétement, à mon sens, le concours du disque en lançant plus de trois mètres en dessous de mon record personnel. Le problème c'est que ça se paie cash au niveau des points.

Si j'ai repris de l'avance grâce aux haies, je n'ai de nouveau que sept minuscules petits points de plus que le second.

Il faut absolument que je me reconcentre pour la perche. Le problème c'est que cette discipline, c'est mon point faible. Je n'ai jamais réussi à dépasser les 5 mètres.

Le truc avec cette épreuve c'est que lors de l'un de mes premiers concours, le mec qui passait avant moi avait cassé sa perche en deux. Complètement tétanisé, j'avais réalisé une performance très moyenne tant je redoutais que cela m'arrive à mon tour.

Depuis, cette image me hante tout comme la première haie pour Lucas.

Andrew dit que j'ai les 5m50 dans les jambes mais pas dans la tête. Alors aujourd'hui j'ai envie de passer au-dessus de cette putain de phobie. Si Lucas a pu y réussir ce matin, il n'y a aucune raison pour que ça ne marche pas pour moi.

- Ne fait pas cette tête-là Chris !

Je me tourne vers Lucas en grimaçant et ce dernier me donne une petite tape amicale sur l'épaule. Lui, il est vraiment bon à la perche, il saute régulièrement 5m20 ou 5m30 et comme il ne fait pas ce fichu blocage comme moi, il peut se permettre de débuter son concours à 4m90 ou plus rarement 4m80.

Moi je suis obligé d'assurer à 4m60. Et Encore, je n'ai pas toujours la garantie que ça passe. Du coup, je dois puiser plus d'énergie puisque mon concours dure deux fois plus longtemps ou il s'éternise carrément lorsque j'ai besoin de mes trois essais pour effacer une seule barre.

Après mon échauffement, je vais voir Andrew quelques instants pour qu'il me donne ses derniers conseils. Un peu plus loin dans la tribune je repère Océane. Elle regarde dans ma direction lorsque je m'apprête à retourner vers le sautoir. Je lui adresse un rapide sourire qu'elle me rend aussitôt.

C'est le cœur un peu plus léger que je débute mon concours.

Avant mon premier saut, je regarde Lucas qui me fait un petit signe d'encouragement puis, je me concentre afin de réussi ce premier test.

Quelques secondes plus tard je pousse un soupir de soulagement : mon saut n'était pas parfait techniquement mais j'étais largement au-dessus de la barre. Le problème c'est que la pluie qui ne cesse de tomber rend chaque tentative toujours plus dangereuse et ça, ça ne va pas m'aider mentalement.

Lucas me tape dans la main puis, après une nouvelle discussion avec Andrew je décide de faire mon deuxième saut à 4m80 et de faire l'impasse sur la barre à 4m70 pour garder un peu d'énergie pour la suite.

Je réussi cette hauteur sans trop de problème puis je passe également au premier essai la barre suivante à 4m90.

Les choses sérieuses commencent : nous ne sommes plus que neuf en course et très vite trois autre athlètes échouent à 5 mètres.

Lorsque mon tour arrive, mes mains se crispent sur ma perche. Je prends un peu plus de temps avant de débuter ma course mais quand j'arrive au niveau du sautoir, je me concentre de toutes mes forces pour finalement passer cette fichue barre mais comme je l'ai frôlée avec les cuisses j'ai bien cru qu'elle allait tomber.

Le vent commence à devenir assez puissant et j'ai peur que cela ne nous empêche de sauter convenablement.

Andrew me conseille de faire l'impasse à 5m10 mais je refuse. Je préfère assurer, grappiller encore quelques points si possible. Lucas franchit cette barre avec une facilité déconcertante malgré le vent qui devient de plus en plus gênant pour nous.

Lorsque c'est à mon tour, une brusque rafale me fait dévier à la fin de ma course d'élan, je tente tant bien que mal de maîtriser ma perche mais au moment où je la pose mes mains glissent et je m'étale la tête la première dans le matelas avant de tomber sur le sol, dans le butoir.


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Lexique :

PB : personal best (record personnel)

SB : season best ( meilleur temps de la saison)

butoir : le trou situé devant le tapis, là où les athlètes doivent poser leur perche.




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