Chapitre 11 - Coeur brisé
Samara
Je n'en reviens pas... Je vais bientôt présenter à ma mère un homme que j'ai rencontré il y a à peine une journée. Je sais bien que tout s'est merveilleusement bien passé ce matin avec la mère de Virus, mais je doute que ce soit aussi facile avec ma mère qui me connaît évidemment mieux que personne. Je ne pourrai jamais utiliser ce mensonge au sujet de notre rencontre car je lui aurais déjà parlé d'une rencontre de ce genre et ce bien avant de me rendre dans un café pour rencontrer seule un inconnu.
En effet, je partage à peu près tout avec ma mère depuis que je suis revenue à la maison après mon passage à la DPJ. Je ne peux me résoudre à l'abandonner, elle qui a vécu encore plus mal que moi la mort de mon père...
D'ailleurs, comment vais-je pouvoir lui dire ce que je viens d'apprendre du père de Virus?
Il faut que je chasse ceci de mon esprit pour le moment... Pour ce soir, le plus important est de bien faire paraître Virus à ma mère. Avec tout ce que nous vivons ces jours-ci, un peu de plaisir ne sera pas de refus.
- Virus, est-ce que je peux te demander quelque chose avant que nous entrions chez moi?
- Évidemment.
- J'aimerais ne pas parler de tout ce qui nous arrive depuis hier lors de ce souper... Ma mère n'a pas à être impliquée dans tout ceci.
- Je suis d'accord, mais tu ne crois pas qu'elle aussi est en danger avec tout ce qui vient d'arriver? Le fait que ton père ait été tué démontre qu'il y a un risque...
- J'en suis consciente et je ferai tout pour la protéger, mais pas ce soir s'il te plaît... J'aimerais qu'elle sache que je suis heureuse avec toi avant de devoir l'assommer avec cette situation pénible.
- Je te comprends et je suis à 100% avec toi. Ne t'inquiète pas.
- Merci.
Je suis vraiment heureuse que Virus me comprenne aussi bien. Je suis de plus en plus convaincue que ce coup de foudre improbable me permettra enfin de mettre en arrière de moi toutes ces choses pénibles que j'ai vécues. Étrangement, même ce qui est arrivé aujourd'hui m'apparaît plaisant puisque je suis avec lui...
Me voilà donc en train de tourner la clef dans la serrure. J'ai bien vu que la voiture de ma mère est toujours dans l'entrée. Elle est donc certainement déjà arrivée puisqu'elle ne sort pratiquement jamais sans prendre sa voiture. Je ne me rappelle pas avoir vu ma mère prendre ne serait-ce qu'une seule fois le transport public...
- Maman, je suis arrivée...
Aucune réponse? Ça c'est un peu bizarre...
- Maman, Virus est avec moi... Tu es là?
Ça y est, je commence à me sentir un peu étourdie... Je ne sais pas pourquoi, mais la panique me gagne très rapidement alors que je m'imagine tous les pires scénarios. Et bien sûr, avec ce que j'ai vécu, le pire est vraiment très intense...
Je le vois encore devant moi: mon père étendu au milieu du salon, tout juste à côté de l'entrée où je me trouve précisément en ce moment.
Je revois les fauteuils beiges comme s'ils étaient encore présents dans le salon, leur tissu pâle taché des multiples gouttelettes de sang projetées partout autour de la scène d'horreur.
Je revois les poignets de mon père profondément entaillés et, comme si ce n'était pas suffisant, la plaie béante à sa gorge.
Je revois le couteau reposant sur le sol tout près de lui, libéré de la prise de sa main à présent inanimée.
Je revois aussi surtout tout ce sang qui forme une mare sur le plancher de bois franc, plancher qui a bien sûr été entièrement remplacé depuis...
Je sais que je ne bouge plus depuis un moment et mon visage doit certainement trahir la scène qui se déroule devant mes yeux, scène que je suis bien sûr la seule à voir...
Le soudain contact autour de mon corps me fait sursauter, dissipant en un clin d'oeil cet horrible souvenir. Heureusement, je reconnais instantanément le propriétaire des bras qui m'entourent tendrement et je n'ai même pas de réflexe d'autodéfense cette fois.
- Ta mère va bien, j'en suis certain...
- Je suis désolé... J'imagine le pire car...
- Nul besoin de me donner les détails, je me doute bien de l'inquiétude que tu ressens et mon père m'a décrit comment ton père a été retrouvé...
- Tu n'as pas idée comment c'était horrible...
- Avec le visage que tu as eu ces dernières secondes, je m'en doute un peu... Honnêtement, je ne sais même pas comment tu fais pour réussir à revenir dans cette maison.
- Il y a aussi de bons souvenirs ici... Ma mère n'a jamais pu se résoudre à quitter cette maison.
- Ce n'est pas à moi de juger... Moi je ne pourrais pas rester ici après un tel événement.
- J'avoue que c'est difficile pour moi aussi, mais je ne veux pas forcer ma mère à faire ce choix pour moi. Je ne serai pas encore ici longtemps de toute façon...
- Tu es un peu vite en affaires non?
- Quoi !?
Je comprends parfaitement ce qu'il veut dire et je n'en reviens juste pas qu'il soit capable de retourner ainsi la situation à son avantage... D'un côté, je devrais peut-être lui en vouloir, mais d'un autre, je dois dire que c'est une façon efficace de chasser la noirceur qui est en train de s'installer. Cela ne veut pas dire qu'il doit s'en tirer sans heurt... Le coup de coude que je lui envoie risque certainement de lui laisser une marque!
Virus
Je fais l'impossible pour ne pas laisser paraître mon inquiétude alors que je serre doucement Samara dans mes bras. J'ai bien vu l'inquiétude dans son regard alors que sa mère n'a pas répondu à ses deux annonces. En soit, rien de bien grave. Par contre, de voir dans sa tête des événements qui se sont déroulés il y a plus de huit ans, ça c'est inquiétant...
Comment moi puis-je connaître avec tant de détails la scène de la mort de son père alors que je n'en savais rien avant aujourd'hui?
Et pourtant, je viens de revivre ce moment avec elle... Je sais, je n'aurais pas dû lui mentir... Par contre, je ne crois pas que ce soit le moment de lancer tout simplement: "tu sais, j'ai vu cette scène que tu viens de revoir dans ta tête...".
Malgré ma propre inquiétude suite à cette étrange expérience, je continue de faire l'impossible pour rassurer mon amie. Or, à peine ai-je lancé ma dernière réplique que le regret s'installe. Comment ai-je pu oser dire une chose pareille avec ce qui est en train de se passer dans nos vies !? Je ne me reconnais plus. Avec elle, j'ai l'impression que je peux tout dire alors que suis pourtant quelqu'un de profondément réservé.
Évidemment, je m'attends à sa colère et je sens venir le coup. En fait, c'est comme si elle venait tout juste de me l'annoncer avant même de lancer son coude en direction de mes pauvres côtes. Normalement, sa rapidité l'aurait emporté haut la main, mais cette fois l'avantage fourni par cette impression me permet de simplement dévier son bras qui me frôle alors sans aucun contact. Ne voulant surtout pas envenimer la situation, je recule simplement d'un pas.
- Je m'excuse! Je n'aurais pas dû dire ça maintenant... C'était juste une...
- Quoi, tu ne le pensais pas?
- ...
Je suis déstabilisé... Un bref instant, je l'ai imaginé en colère contre moi, mais son sourire en coin à présent me chamboule complètement. Je ne sais vraiment plus quoi penser...
- Si tu préfères ta liberté, je peux comprendre...
- Ce... ce n'est pas ça... À la base, c'était juste une... blague.
- Et si moi je suis sérieuse?
- ... Je... je n'y ai pas vraiment pensé... Je...
Cette fois, le coup vient à une vitesse telle que je ne réalise même pas que Samara s'est rapproché de moi. Sa main ouverte s'arrête à quelques millimètres de ma nuque. Je n'ai aucun doute que ce coup m'aurait mis KO en un éclair!
- C'est à mon tour de blaguer... Il est un peu tôt pour parler de tout ça non? Pour le moment, tu dois d'abord convaincre ma mère de t'apprécier au moins un peu...
- ... Tu es impossible... J'ai eu peur que tu m'en veuilles et toi tu retournes cela à la blague...
- Tu vas rapidement apprendre à me connaître... Je suis difficile à suivre!
- Et surtout dangereuse à suivre sans permission!
Partageant un sourire, nous parcourons tous les deux la maison à la recherche d'un signe pouvant expliquer l'absence de la mère de Samara. Après plusieurs minutes, après être montés à l'étage et même avoir vérifié le sous-sol, nous trouvons un mot laissé sur un coin de l'îlot dans la cuisine. Je vois bien que Samara partage mon impression alors qu'elle ramasse le bout de papier.
- C'est bizarre, nous aurions dû voir ce mot tout à l'heure?
C'est à ce moment précis que nous entendons le bruit du moteur dans l'entrée. La lumière des phares qui filtrent par la grande vitre du salon confirme ce que je pense déjà: la voiture de la mère de Samara quitte l'allée et s'engage dans la rue.
Complètement atterrée, Samara me fixe de son regard incrédule.
Pourquoi sa mère vient-elle de fuir la maison sans même lui adresser la parole?
Tremblante, elle déplie le minuscule bout de papier et peine à lire les quelques mots qui y sont inscrits. Puisque le papier est bien visible devant elle, je me permets de lire par-dessus son épaule.
Ma fille, tu me dégoûtes...
Comment as-tu pu mentir à ta propre mère après ce que nous avons vécu toutes les deux?
Jamais je n'aurais pensé que ma propre fille partage le lit d'un homme qu'elle ne connaît pas. Un drogué en plus! J'ai fait mes recherches.
Je suppose que tu ne sais pas pour son dossier criminel?
Tu as le choix: tu te débarrasses de lui ou de moi!
Tu sais comment me rejoindre.
J'ai moi-même le coeur brisé en lisant les mots de la lettre laissée par la mère de Samara. Je ne peux m'imaginer l'effet pour elle... Être moi-même dans cette situation, je pense que j'en voudrais au monde entier. Ma colère dépasserait certainement ma raison. De savoir que je suis le centre de ce problème ne ferait bien sûr qu'amplifier cette colère. Malheureusement, tout est vrai, j'ai bien un dossier criminel, chose que je n'ai évidemment pas mentionnée depuis notre rencontre...
Inquiet, je me place devant elle et la regarde droit dans les yeux, mes mains tendues pour prendre les siennes. Surpris qu'elle accepte de les prendre, je brise le silence.
- Je suis désolé... Jamais je n'ai voulu t'apporter de tels problèmes.
- Je... je ne comprends pas pourquoi elle dit ça...
- Elle a malheureusement raison, elle n'a sûrement pas eu à chercher très loin...
- Mais pourquoi a-t-elle fait cela!
- Je suppose qu'elle veut te protéger et je la comprends...
- Pas moi!
Dans un élan de colère, je vois Samara déchiqueter la lettre en autant de morceaux que ses mains tremblantes lui permettent de récupérer encore et encore sur l'îlot. Bien sûr, les larmes coulent à présent sur son visage, entraînant son mascara dans une rivière noire qui coule le long de ses joues.
- Tu sais, tu peux encore retourner en arrière et retourner la voir... Je comprendrais tout à fait...
- Quoi? Non!
- Je suis quelqu'un de dangereux Samara... Ta mère à raison d'une certaine manière...
- Raison sur quoi au juste?
- J'ai fait des choses terribles et tu le sais puisque je t'ai tout raconté...
- Et j'ai accepté ces choses. Tu as réparé des injustices que tout le monde préfère ignorer.
- Et j'ai été longtemps sous enquête. Mon dossier criminel pour assaut est toujours bien réel et va polluer ma vie pendant longtemps...
- La mienne aussi est polluée dans ce cas...
- Par moi?
- Non... J'ai moi-aussi un dossier pour assaut. Mais ça ma mère ne le sait pas et je ne regrette absolument pas de ne rien lui avoir dit en fin de compte!
- Par pitié, ne me dis pas que c'est en relation avec ta famille adoptive?
- J'aurais bien aimé me venger de cette ordure en effet, mais il n'était pas là... Je suis entré par effraction et je suis tombé sur sa nouvelle femme. Elle n'avait aucune idée de qui j'étais...
- Tu... tu ne lui as rien fait je suppose?
- Évidemment que non, mais elle a tout de même porté plainte...
- Donc tu n'as rien fait au bout du compte.
- Elle s'est retrouvée dans un hôpital psychiatrique à cause de moi et de mon intrusion chez elle. Je n'ai pas voulu. J'étais certaine qu'il était seul à ce moment. Je voulais juste... ...
- Arrête de te faire du mal. Tu as vécu une situation qu'on ne peut souhaiter à personne. Cette pauvre femme s'est retrouvée au mauvais endroit et je suis près à parier que cet homme l'avait déjà bien malmené avant ton arrivée chez elle... La vengeance n'est évidemment pas une bonne chose, mais parfois c'est la seule façon d'accepter de continuer de vivre après cette horrible chose qu'il t'a faite.
- Merci... Si seulement ma mère pouvait comprendre quelle personne tu es au fond...
- J'ai l'habitude tu sais... Va la rejoindre et dis-lui que tu as compris et que tu m'éviteras à l'avenir. Je ne ferai rien pour que tu perdes ta mère...
- Non! Je suis bien avec toi et cela me permet justement de mettre derrière moi cette horrible souvenir de mon agression! Grâce à toi je peux enfin accepter la vie et arrêter d'en voir seulement la noirceur. Ma mère n'a pas le droit de me demander de faire ce choix entre toi ou elle!
- Tu es certaine de ce que tu dis. Tu ne me connaissais même pas il y a même pas deux jours...
- Mais maintenant je te connais et je ne veux pas te perdre. Dis-moi que tu n'as pas l'intention de me forcer à faire un choix que je ne veux pas faire...
- Évidemment que je ne ferai jamais ça! Tu es libre de faire le choix que tu veux. J'avoue que cela me briserait le coeur de devoir te laisser aller...
- Pareil pour moi. Si ma mère ne peut pas comprendre, c'est elle qui perdra au compte, pas moi!
Sur cette terrible affirmation, Samara saisit une serviette près de l'évier et essuie du mieux qu'elle peut ses larmes et les rivières noires qui traversent ses joues. Le résultat est digne d'un film d'horreur je dois dire... Ses yeux rougis et bouffis par les pleurs, son visage barbouillé des restes de son maquillage, son style gothique sombre, sa colère qui déborde de la moindre fibre de son corps...
- Viens avec moi!
Et voilà qu'elle m'entraîne brusquement derrière elle alors qu'elle descend au sous-sol et ouvre la porte d'une pièce restée fermée lors de nos recherches un peu plus tôt.
- Tu n'es pas venue ici pour voir si ta mère y était?
- Elle ne vient jamais ici. C'est mon endroit à moi...
- Pourquoi tu m'emmènes ici alors?
- Pourquoi pas? Tu veux mieux me connaître, alors regarde autour de toi...
Je me doutais bien déjà de la noirceur qui habite une personne qui choisit le style gothique, mais j'avoue que de voir autant de matériel d'arts martiaux et de dessins aux tons sombres me surprend un peu. Que ce soient des couteaux, des chaînes, des bâtons, des sacs d'entraînement, des planches de bois servant comme cibles, cette grande pièce qui fait presque la moitié du sous-sol de la grande maison est remplie d'objets qui représentent tout sauf le bonheur et la joie...
- Je vois que c'est sérieux ton dévouement aux disciplines martiales...
- Avant toi, cela a été toute ma vie ces huit dernières années... Tu te doutes bien que ma mère n'a jamais tellement apprécié.
- Et pourtant elle cherche à te protéger de moi...
- Tu sais, je commence à avoir une très mauvaise intuition...
- Je ne comprends pas?
- J'aimerais pouvoir tout te dire tout de suite, mais je dois avoir des preuves avant de commettre l'irréparable...
- Tu m'inquiètes...
- Je sais, mais si j'ai raison, cela nous sauvera peut-être la vie.
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Chapitre 11 complété!
Et voici les petites questions en préparation de la suite:
1) Samara va-t-elle se réconcilier avec sa mère après cette lettre?
2) Qui concerne cette intuition que mentionne Samara ?
Cedemro
16/11/2020
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