Epilogue

Musique : 
1. Niklas Paschburg - Tuur Mang Welten (rah jl'ai écouté en boucle elle est magnifique)
2 Clau Veux - Everything's Greats (magnifique aussi, j'arrivais pas à me décider entre les deux)

https://youtu.be/191XC5l8wBI

Avant que vous ne commenciez cette partie, sachez que je vous aime bordel ! 


PDV Jade : 

Une semaine s'est écoulée depuis les obsèques de Matthew auxquelles sa mère n'a pas voulu qu'on se rende, alors avec les gars et les filles, on a convenu qu'on irait au cimetière lui faire nos adieux vendredi soir à la fin des cours. Ces derniers jours n'ont pas été des plus joyeux. Sarah et Alaska ont bien tenté de nous changer les idées, mais les gars en ont pris un sacré coup, moi avec. Je n'arrête pas de repenser à Matthew qui la semaine dernière était encore là, avec ses airs boudeurs, et je me sens fautive. Si je n'avais pas poussé Nils à s'affirmer comme les autres, peut-être qu'il serait encore avec nous, peut-être que si j'étais allée voir Matt quand il fumait ses clopes vendredi dernier sur le parking, j'aurais pu voir les idées qui lui trottaient dans la tête, seulement, j'ai pensé qu'il avait besoin de temps pour s'y faire et que bien évidemment, il s'y ferait. Aujourd'hui, je sais que j'avais tort, sur bien des points et les regrets ne manquent pas. Quand je ferme les yeux, je nous revois allongés dans la neige, je revois son sourire alors que ses yeux pétillaient d'une innocence nouvelle et je me mets à sourire dans le vide avant que la réalité me rattrape. C'est étrange dans un sens de penser que quelques jours auparavant, Matthew était là, certes à demi-vivant, mais au moins vivant, alors qu'à présent, il est six pieds sous terre, au sens propre du terme.

— Jade, à quoi tu penses ? Minaude Sarah en s'appuyant sur mon épaule, alors que je fixe le vide avec un mégot éteint entre les doigts.

Elle me regarde avec ses grands yeux bruns et une infinie douceur. Depuis le début de la semaine, elle ne cesse d'avoir des attentions douces pour tout le monde, puisqu'elle n'était pas très proche de Matt, son départ ne l'affecte pas autant que Théo, qui bien qu'elle le couvre d'amour, continue d'être morose. Un peu comme moi, comme Nils et Aaron d'ailleurs. Pour ce qui est d'Owen, j'aimerais bien savoir comment il gère le truc, seulement, il n'est pas venu au lycée de la semaine et n'a répondu qu'à un seul de mes messages pour me dire qu'il viendrait ce soir avec nous au cimetière.

— Non, oublie, je sais à quoi tu penses.

Évidemment qu'elle sait. Je n'ai pas la tête à autre chose ces derniers temps. Je voudrais, comme elle, rester forte et conserver un semblant d'enthousiasme pour éclairer ces journées sombres, mais c'est un peu au-dessus de mes forces. Sarah passe ses bras autour du mien et m'enlace tendrement.

— Alaska est allée chercher Aaron, on va pas tarder à y aller, tu te sens toujours de venir ?

— Bien sûr que oui !

Je lui accorde un petit sourire, me relève. En vérité, même si j'ai envie d'y aller avec eux, j'ai peur de me rendre sur la tombe de Matthew. Ce n'est pas une chose que je pensais faire un jour, mais j'ai la conviction que je dois y aller pour pleinement réaliser les choses, pour que cette étape m'aide, peut-être, à faire le deuil. Sarah se redresse, glisse sa main dans la mienne, puis nous rejoignons doucement Théo. En moins de quelques minutes, alors que je retourne dans ma bulle, que Sarah tente d'apporter des énergies positives et son soutien à Théo, Alaska et Aaron apparaissent sur le parking, côte à côte, avec une ombre sur le visage qui nous est commune à tous.

— Vous pensez qu'Owen viendra ? Demande Alaska une fois que nous sommes tous dans la voiture.

— Bien sûr, ça compte pour lui autant que pour nous... Souffle Aaron qui, comme pour se distraire l'esprit, fait jongler ses doigts avec des mèches de ses cheveux.

— Et Nils ? Ajoute-t-elle, les sourcils froncés, le regard inquiet.

Dès que j'entends ce prénom, je sors de la ronde infernale de mes pensées pour m'accrocher à ce qui se passe.

— Il m'a envoyé un message pour me dire qu'il nous rejoignait là-bas. Répond Théo en nous regardant à tour de rôle dans le rétroviseur.

Je laisse tomber ma tête en arrière, ferme les yeux un court instant, c'est étrange que Nils ne soit pas directement venu avec nous, alors qu'il était au lycée. Dans un sens, je comprends qu'il préfère venir seul, nous nous sommes tous un peu renfermés sur nous-même cette semaine, alors qu'il veuille rester dans sa bulle n'a rien de surprenant, après tout, même moi, dans cette voiture, je me sens un peu à l'étroit et cette sensation se répercute dans mon esprit, comme si un étau comprimait tout mon être. J'ai soudain envie d'être seule même si la présence des autres m'apporte, je sens que plus rien n'a de sens. Je suis en colère, contre les joueurs, contre moi, contre les filles aussi. Je suis triste et j'ai l'impression que nul autre ne peut comprendre ma tristesse, alors qu'en soi, je ne suis certainement pas celle qui souffre le plus. Nils. 

Au travers de mes tourments, je discerne les espoirs qu'il nourrissait et qui à présent ne doivent plus exister. Depuis le suicide de Matthew, on ne s'est plus adressés la parole. C'est une situation plutôt ironique quand on y pense. Depuis le début de l'année, on s'est battus avec les filles contre nos illusions et nos désirs pour aider les joueurs à se libérer de leurs peurs, mais au final, c'est comme un putain d'élastique qui nous revient à tous en pleine gueule et voilà qu'on s'enferme chacun dans un mutisme qui va nous bouffer à petit feu si on continue. C'est pour ça que je garde un peu d'espoir, à moins que ce ne soit l'espoir qui me garde et me laisse entrevoir de nouveaux horizons, une fois que nous aurons réellement fait face à la mort de Matthew. Tous ensemble. C'est ce qui me semble le plus important, qu'on ne se perde pas de vue, qu'on ne laisse pas nos différences et notre douleur nous distancer, sinon, la boucle finira par se répéter, et tout ce qu'on aura entrepris n'aura servi à rien. Et alors que je cogite incessamment sans vraiment comprendre où mes pensées me mènent, la voiture ralentit, le silence dans l'habitacle est presque étouffant. J'ai hâte de sortir, de quitter cet espace clos ainsi que la prison cérébrale dans laquelle mon esprit s'agite. Théo gare sa voiture devant le cimetière, mon cœur s'emballe, mais ça n'a rien d'une sensation agréable. C'est plutôt douloureux, comme un poignard qui s'amuserait par petits coups à frapper chaque organe dans ma poitrine.

— Regardez qui est déjà là. Sourit Sarah en pointant du doigt la silhouette d'Owen un peu plus loin.

On sort de la voiture, je pousse un soupir, regarde un instant sa carrure de dos légèrement affaissée et le bouquet qu'il tient dans sa main. Je finis par m'en détourner et me regroupe avec les autres devant le coffre pour sortir la jonquille que j'ai choisi de déposer sur la tombe de Matt. Les autres ont opté pour des bouquets de roses.

— C'est joli, on dirait un petit soleil.

Je me tourne vers Alaska qui regarde ma fleur avec une lueur apaisante dans le regard. Elle sourit délicatement, pose une main sur mon épaule et souffle sur mon visage.

— Je balaie tes idées sombres. Ajoute-t-elle avec un petit clin d'œil avant de me tourner le dos pour se rapprocher d'Aaron.

Je me retrouve à sourire dans le vide. Tout a tellement changé. Depuis la mort de Matt, Alaska se montre sous des angles différents, parfois, j'ai l'impression de tout juste la découvrir. J'aimerais me dire que cet événement a des côtés positifs, mais il m'est impossible de relativiser de la sorte, c'est comme si la lumière s'était éteinte, j'ai la sensation qu'une part de moi est morte. À petits pas, je me dirige vers Owen qui nous attend, le regard perdu dans le vague. Je me demande ce qu'il ressent depuis les deux pertes auxquelles il a dû faire face le week-end dernier, comment gère-t-il la situation, est-ce le bordel dans sa tête ou juste le néant ?

— Salut Ow.

Il se tourne dans ma direction et alors que je pensais voir dans ses yeux le reflet de ma propre douleur, je suis surprise de voir à quel point son regard est calme, les traits de son visage détendus. Owen s'apprête à entrer dans le cimetière, il me fait un signe de tête pour que je vienne.

— Alors, ça va ? T'as passé une semaine moyennement minable ? Je rumine en m'efforçant de caler le rythme de mes pas sur les siens.

Il esquisse un sourire, encore. Il n'a pas l'air de se forcer, à croire qu'il digère finalement mieux la situation que moi, chacun ses points forts.

— Pour être sincère avec toi, je suis déjà venu ici dans la semaine. Trois fois. Quand j'ai appris ce qui s'est passé, Octobre venait de partir et je me suis vraiment senti... Dévasté... Puis... Puis elle est revenue et, et je sais pas, les choses ont brusquement changé, d'une seconde à l'autre. Le jour de l'enterrement, je suis passé à la fin, je suis allé voir Matthew... Et je m'en voulais, parce que... Parce que dans le fond, j'étais pas triste.

Owen marque une pause, il me regarde attentivement comme s'il s'attendait à une quelconque réaction de ma part, mais je reste impassible.

— Je suis venu voir Matthew plusieurs fois et j'ai réalisé combien ça me faisait du bien de pouvoir m'exprimer sans retenue... Mais avec ce sentiment qu'il m'écoutait. Je sais que ça paraît dingue, mais je crois que ça faisait longtemps que je m'étais pas senti aussi apaisé. Aussi rempli, alors que pourtant, la vie m'a vidé de tout... Jade, souffle-t-il en s'arrêtant, je crois que dans un sens, la mort de Matt m'a permis de faire le deuil de mon passé et même si aujourd'hui il est plus là, je me sens redevable...

Maladroitement, Owen soulève son bouquet de fleurs, je le regarde un peu déroutée par son discours auquel je ne trouve rien à dire, au final, je n'arrive même pas à cerner ce qu'il peut bien ressentir. Je suis tellement perdue, qu'il m'est impossible de saisir où il veut vraiment en venir.

— Owen, pourquoi tu me dis tout ça ?

À bien y repenser, même si nous avons tissé des liens au cours des dernières vacances, nous n'avons jamais été très proches, du moins, pas de là à se confier nos véritables peines, alors pourquoi maintenant ? Owen se retourne, les autres se rapprochent, mais avant qu'ils nous atteignent, il sort une rose de son bouquet et me la tend.

— Ce que j'essaie de te dire Jade, c'est que j'ai fermé les yeux sur pas mal de choses dans ma vie et c'est triste que je ne sois capable de les ouvrir qu'aujourd'hui, seulement, ça me fait réaliser qu'à bien y penser, si Matthew s'est suicidé, c'est parce qu'il ne vivait pas. Et j'ai pensé, mais moi je suis là, je suis en vie, alors au moins pour lui, je veux honorer ça.

Il hausse les épaules avec une légère marque de gêne, je le fixe, sidérée par ce changement radical de pensée. Comment peut-il voir les choses ainsi ? Le positif dans le négatif.

— Mais... Mais qu'avez-vous fait d'Owen ? Je ricane, comme libérée d'un poids, en parvenant à sourire vraiment après tout ce temps.

— La question serait plutôt, que vas-tu faire, toi ?

Il esquisse un léger sourire, sa main suspendue devant moi, m'offrant une rose que je regarde toujours avec suspicion.

— Heu, je peux savoir pour qui est ton bouquet ? S'exclame Théo en arrivant.

D'un même mouvement, Owen et moi nous tournons vers notre petit groupe, vers des visages pâles qui me font soudain l'effet d'un électrochoc et je comprends enfin ce qu'Owen a pu ressentir en me voyant. On ne ressemble plus à rien. Alaska et Sarah font semblant d'être ravagées pour compatir avec le sentiment qui étreint leur copain, mais sûrement qu'elles préféreraient sourire tant qu'elles le peuvent encore. Nous en avons tous la capacité, sauf qu'inconsciemment, on a une fois de plus laissé nos émotions voiler notre perception de la vie. Il nous faut prendre du recul. Peu importe le temps, je réalise au fond que je suis encore capable de sourire, et c'est ce que je devrais faire, parce que la vie est là, parce que si Matthew l'avait reconnu, sourire est ce qu'il aurait aimé faire. Je me tourne alors vers Owen, saisit la fleur qu'il me tendait et fais volte-face vers les autres.

— Ces fleurs, c'est la vie et elles représentent la mémoire de Matthew qu'il ne nous faut pas oublier. Il revient à chacun d'entre nous d'en garder une précieusement.

Un sourire naît de lui-même sur mes lèvres, la sensation est agréable. Sarah et Alaska restent bouche bée, après m'avoir vue broyer du noir pendant cinq jours, ce retournement de situation est inattendu, il l'est avant tout pour moi. Je sens grâce aux filles et à Owen, qu'ensemble, on peut surmonter ce deuil, on peut s'ouvrir à de nouvelles perspectives de vie que jusque-là, les nuages de notre morosité masquaient.

— Dans ce cas-là, j'en veux une.

Aaron se détache d'Alaska pour s'approcher d'Owen. Ce dernier lui tend une rose dont il s'empare avec un maigre sourire, puis chacun vient en prendre une. On reprend tous ensemble notre avancée, Owen nous signale l'emplacement de la tombe, mon cœur se serre brusquement en voyant toutes les fleurs et photos qui la recouvrent. Quand mon regard se pose sur la plus proche, je reconnais le visage de Matthew, il sourit, mais son regard est vide, empreint de douleur et aujourd'hui ça me semble tellement évident. Je me demande comment sa mère a pu ne pas le voir. Comment a-t-elle pu ignorer tout le dégoût qui imprégnait les iris de Matt dès qu'elle était là ? C'est une chose que je n'oublierai jamais. Cette tristesse infinie qui noyait son regard et que j'aurais voulu dissiper. Les souvenirs remontent. 

Les regrets me rongent et les idées noires sont de retour. Enfin, pas tout à fait. Je sens un bras se poser autour de mes épaules. Je relève la tête sur Théo qui affiche certainement son premier sourire de la semaine. Je commence à pleurer en voyant cette étincelle de vie reprendre de l'éclat dans son regard. Owen propose qu'on prenne le temps, chacun notre tour, de faire nos adieux. Il s'avance le premier, pose une main confiante sur le bord de la tombe et ouvre son cœur à Matthew, alors que nous sommes là, capables d'entendre chacune de ses paroles. C'est comme s'il connaissait enfin une véritable libération. Mon regard dévie sur les filles, puis sur Aaron et Théo, mais il manque Nils. Un brin de panique me gagne, jusqu'à présent, chaque fois que nous nous sommes séparés, les choses ont mal tourné.

— Les gens, où est Nils ? Je m'exclame au moment où Owen se recule pour laisser la place à quelqu'un d'autre. Théo, t'avais pas dit qu'il nous rejoignait ici ?

Les échanges de regards fusent, je pivote sur moi-même en espérant repérer sa silhouette sur le chemin que nous avons emprunté, mais il n'est nulle part en vue.

— Il va peut-être arriver après non ? Hasarde Sarah.

Théo hoche doucement la tête, mais je suis convaincue du contraire. Je jette un regard dans la direction d'Owen, il me regarde à son tour, comme si on venait de penser à la même chose. Nils ne viendra pas si nous sommes là. Ça me semble évident. Quand je relève la tête, Aaron vient de poser son bouquet de fleurs sur la tombe, à côté de la photo de Matthew. Il plonge son regard dans le mien, me fait signe que si je veux y aller, je le peux, seulement, je parviens pas à faire un pas.

— J'ai une question, après tout ça là, qu'est-ce qui va se passer ?

— Bah on va tous rentrer chez nous broyer du noir.

Théo esquisse un petit rire mauvais, Sarah lui donne un coup de coude dans le bras. Un silence se perd durant lequel je cherche dans le regard de l'un d'entre eux, l'étincelle d'un espoir qui nous amène à rester ensemble. C'est certain qu'après ça, je ne veux pas rentrer chez moi, je ne veux pas être seule comme je l'ai été toute cette semaine, parce que j'ai bien compris qu'un simple contact avec Owen m'avait sortie de ma torpeur et je ne veux pas y replonger aussi sec.

— Mmmh... Pourquoi est-ce qu'on n'irait pas tous chez moi ?
Alaska triture nerveusement sa rose entre ses doigts.

— On pourrait faire une petite soirée et en profiter pour ressasser les meilleurs souvenirs qu'on a de Matthew, même si j'en ai pas vraiment, je serais ravie d'apprendre à le connaître au travers des vôtres.

J'esquisse un petit sourire, regarde Alaska qui évite soigneusement tous les regards entendus qui se posent sur elle. Qu'est-ce qu'elle est mignonne. Je songe un instant à tout ce qui s'est produit depuis le début de l'année et bien qu'on se borne à dire qu'on a changé les joueurs, dans un sens, eux aussi nous ont changées. Aaron la prend dans ses bras avec un sourire dégoulinant d'amour.

— Ça me semble être une idée bien pensée ! On n'a qu'à faire ça !

— Parfait alors, est-ce que ça vous dérangerait de vous avancer sans moi ? J'aimerais bien être seule...

Même si je ne suis pas la mieux placée pour faire cette requête, j'espère qu'ils comprendront. Owen est le premier à réagir, après tout, n'a-t-il pas pris tout le temps qu'il lui fallait pour être seul avec Matt ? Alors qu'ils finissent tous par se mettre plus ou moins d'accord pour s'avancer sans moi, les gars échangent quelques anecdotes sur Matthew, puis Sarah et Alaska parviennent à les convaincre de continuer leurs histoires en marchant, chose à laquelle ils ne s'opposent pas et bientôt, je me retrouve seule au milieu d'un champ de tombes. Je prends mon temps, observe une à une les photos de Matthew et les larmes me montent de nouveau aux yeux. Mes adieux sur sa tombe n'ont rien de déchirant, quand je serre la rose qu'Owen m'a donnée, je me dis que ce ne sont pas vraiment des adieux, Matt sera toujours là, quelque part dans l'ombre de mes sourires à en guetter l'éclat. Ma jonquille en main, je remonte un peu sur le côté et m'assois plus haut, derrière la tombe d'un inconnu pour guetter l'arrivée de Nils. Je sais qu'il viendra. Et même lorsque le jour cède la place à la pénombre, que le froid commence à grignoter l'atmosphère, je suis toujours persuadée qu'il viendra.

Trente minutes plus tard, j'aperçois au loin, sa silhouette se découper dans l'obscurité. Il s'approche de la tombe, j'entends ses paroles résonner dans la nuit, emplies d'amertume et de culpabilité. Je l'écoute pleurer et mes larmes viennent accompagner les siennes, tandis qu'il s'accuse à tort de la mort de Matt. Un silence finit par envelopper ses pleurs, puis Nils recommence et je comprends soudain pourquoi il n'est pas venu avec nous. Il avait trop en lui et j'ai l'impression d'être le témoin d'un raz-de-marée qui déferle jusque dans mon âme. Son désespoir me saisit. Ses sanglots sont comme les larmes silencieuses que Matthew laissait goutter à l'intérieur de lui. 

À côté de sa souffrance, mes tourments ne sont rien et comme Owen un peu avant, j'ai envie de venir vers lui, de lui apporter la lumière que ce dernier m'a rappelée. Les souvenirs de la semaine me reviennent, avec du recul, je vois toutes les occasions que j'ai laissé filer, les rires que j'ai préféré ignorer, la joie que j'ai chassée en pensant qu'il serait égoïste de sourire après un tel événement. Seulement, j'ai pris conscience tout à l'heure qu'il n'en était rien et à mon tour, j'ai envie d'être là pour Nils, comme je n'ai pu l'être pour Matthew. Je sors de ma cachette, me rapproche doucement. À mesure que j'avance, je l'entends ravaler ses sanglots, se forcer à tout comprimer. Dans sa main, je remarque la couleur chaude du soleil, je souris, les jonquilles m'ont toujours mis du baume au cœur.

— Salut Nils.

Je m'accroupis à ses côtés. Il ne m'accorde pas un regard, les yeux rivés sur la tombe, sur une photo posée en son centre qui ne met nullement Matthew en valeur. Pour attirer son attention, je pose ma jonquille devant lui, puis souris avec l'espoir que le flambeau qui brûle à nouveau en moi puisse réanimer le sien.

— C'était la fleur qu'il préférait... Articule-t-il entre deux reniflements. Enfin, il aurait jamais dit qu'il aimait les fleurs, mais, je sais qu'il les adorait.

Ce qu'il dit me fait sourire comme une enfant, mon cœur se serre agréablement. Mes larmes s'apprêtent à refaire surface, devant mes yeux mi-clos se dessine la chambre de Matthew dans laquelle je ne suis entrée qu'une fois.

— Il avait une jonquille séchée sur le bureau de sa chambre. C'est la seule chose que j'ai trouvée apaisante dans sa maison.

Nils se décide finalement à me regarder droit dans les yeux. Les siens sont injectés de sang, les miens sûrement soulignés de noir à cause du mascara.

— Qu'est-ce que tu fous là Jade ? Souffle-t-il avec cet air dépité que je rêve soudain de voir disparaître.

Pendant une seconde, j'hésite à lui dire les vraies raisons de ma venue, je pourrais lui expliquer toutes les pensées qui m'ont traversé l'esprit et m'ont changée en l'espace d'une journée trop mouvementée, seulement, je ne suis pas là pour parler de moi.

— Tu n'as pas tué Matthew.

Même si je sais qu'il le pense, qu'il se sent responsable en l'ayant poussé à affirmer ses véritables sentiments, Nils n'a pas à se blâmer pour un choix que Matthew a fait tout seul. Et ça, je le réalise tout juste moi aussi.

— Cette photo de lui me révulse... Elle ne divulgue qu'un souvenir faussé. Et c'est comme ça que les gens vont se souvenir de lui. Ils vont se souvenir d'un gars qu'il n'était même pas. Lâche Nils avec acidité, comme s'il reprenait son monologue laissé en suspens.

Je serre les dents, regarde la photo en question sur laquelle j'avais tilté au début, elle montre un Matthew au sourire on ne peut plus faux en costard aux côtés d'une fille blonde, d'une simplicité effarante.

— Pourquoi elle est là ?

Finalement, je choisis d'accompagner Nils dans ses révélations, qu'il déblatère autant qu'il veut après tout, sur ce qu'il veut, cette fois, je suis là pour lui, pour écouter tout ce qu'il a envie de dire.

— Je pense que la mère de Matt s'est construit une image de lui à laquelle elle s'attache plus qu'à tout, mais en vrai, elle se fout de celui qu'il est vraiment, de ce qu'il pouvait ressentir, elle... elle...

Il s'interrompt ou plutôt ses sanglots l'interrompent et il se met à pleurer sans retenue. Je passe mon bras dans son dos, rapproche mon corps du sien. Il se laisse faire, je mène une main à son visage, essuie avec mon pouce les larmes qui barbouillent ses joues, puis inspire un grand coup.

— Écoute, sa mère est une conne. Je l'ai vue qu'une fois, mais ça m'a suffi pour le voir et Matthew a dû incroyablement en souffrir, cependant, on peut pas continuer à s'apitoyer sur le sort qu'il a subi ni même espérer que les choses auraient pu se passer différemment. Je rétorque avec fermeté, avant que mes propres paroles me percutent. Nils... Je souffle à voix basse. Nils, t'es pas tout seul ok ? Je suis là et je comprends ce que tu ressens, parce que.. Parce que si je n'avais pas poussé Matt à bout, ou même toi pour que tu te révèles devant tout le monde, peut-être que rien ne serait arrivé...

— Jade, me coupe-t-il presque aussitôt avant de se redresser pour se défaire de mon étreinte. Je suis le seul fautif dans l'histoire, t'as pas à te blâmer pour quoi que ce soit. Matthew m'avait rejeté à sa soirée, je savais que c'était trop dur pour lui et... Et si j'avais respecté ses choix... Putain.. Tu vois, si j'avais respecté ses choix on serait pas là comme des cons.

Je sens à cet instant qu'il se renferme sur lui-même, solidement, irrévocablement et je réalise qu'il m'est possible de le perdre, qu'il est possible qu'il s'enlise dans ses propres mensonges pour donner un sens à sa réalité.


— Justement, c'est là que tu bloques Nils. Écoute, aucun de nous n'est à proprement parler responsable de la mort de Matthew parce que... Parce que c'est lui qui a fait le choix de mettre fin à sa vie. Et ce choix-là, on devrait le respecter, même si c'est dur à accepter, d'autant qu'on peut toujours faire quelque chose pour lui...

— Ah bon ? Comme quoi ?!

Je le laisse me cracher son amertume au visage, si déverser sa colère sur moi peut l'aider à mieux encaisser la réalité. Les mots que j'ai prononcés sont venus sans que je m'y prépare. Ce matin encore, j'étais aussi bornée que lui dans la toile de mes tourments, je pensais avoir raison, que rien ne pouvait réparer ma faute, mais chaque seconde qui passe me prouve le contraire, la vie qui m'anime s'exprime au travers de moi et non l'inverse. Je me redresse d'un bond, tend une main à Nils en espérant qu'il s'en empare.

— On va commencer par arrêter de s'enfoncer dans les reproches Nils. On va se relever et on va faire ce qu'il est juste de faire en la mémoire de Matthew. Il est pas mort pour rien, il est pas mort pour qu'on pleure tous les jours qui vont suivre ! Si on est responsable de quelque chose Nils, c'est bien de la façon dont on va vivre ce deuil. Alors, est-ce que tu vas te relever avec moi, retirer ces photos de merde qui ne lui ressemblent pas et sourire au monde pour lui ? Crois-moi, si Matthew avait pu, il aurait aimé la vie. Il aurait vécu la sienne et s'il ne le fait pas, alors nous on se doit au moins d'aimer jusqu'au bout pour lui et de vivre notre vie à fond !

J'ai conscience que j'avance des propos dont je ne sais rien, mais je crois en ce que je dis, parce que voir les choses sous cet angle me donne envie d'avancer, de tourner la tête vers ce qui est à venir et non vers ce qui s'est produit. Du plus profond de mon être, j'espère, je prie même, pour que Nils saisisse ma main. Pour qu'il se lève et envoie valser toutes les conneries sur la tombe de Matt qui cachent celui qu'il a vraiment été et celui dont on doit se souvenir. Les secondes qui suivent mon petit discours sont les plus longues qui soient, je crains que mes mots ne s'échouent contre la culpabilité qui trône dans la tête de Nils. Seulement, comme un rayon de soleil qui percerait un ruban de nuages, sa main empoigne fermement la mienne, un sourire miraculeux prend vie sur ses lèvres.

— Il est pas mort en vain et nous... Nous ne vivons pas pour rien.

Il se relève, saisit le cadre avec la photo. Dans cet instant, je ne peux m'empêcher de sourire, de penser que la vie est belle malgré ses failles, surtout quand je regarde Nils, puis cette affreuse photo qui finit par être brusquement éclatée sur le sol. Je m'empare d'une autre photo où Matt tire la gueule à côté de sa mère et je l'envoie loin dans les airs avec une sensation qui me réchauffe le cœur. Si Matthew nous voit à cet instant, je suis certaine qu'il sourit, cette fois, véritablement et qu'il comprend que l'amour, finalement, triomphe de tout.

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Bon et bien cette fois, il s'agit véritablement d'une fin et je sais pas vous, mais moi je l'ai senti rien qu'en l'écrivant et ça me satisfait plus que le dernier chapitre alors je vous dois bien des remerciements parce que si vous aviez pas insisté, j'aurais pas fait d'épilogue ^^ 

Les adieux c'est pas le truc que je préfère donc je vais plutôt vous dire à bientôt pour de nouvelles aventures que j'ai hâte d'entamer à vos côtés, et bordel, je sais que je me répète en merci, mais c'est parce qu'y en aura sûrement jamais assez pour exprimer toute ma gratitude alors meeeerci à vouuus ! J'espère que cette fin vous convient, que vous l'avez comprise et appréciez parce qu'il y a des moments où j'avais quand même sacrément l'impression de m'embrouiller, mais en soi, personnellement, je la trouve chou huhu ^^

Je vous envoie pleins d'amour petit peuple bien aimé, de l'amour à souhait ! 


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