Chapitre 56

Musique : Wolf Alice- Don't delete the kisses

PDV Jade :

Je me lève, descends dans la cuisine, alléchée par l'odeur qui s'en échappe et souris en voyant la totalité du groupe assemblé dans la petite pièce, Charlie devant la gazinière, sourire aux lèvres tandis qu'elle cuit des pancakes. Elle qui voulait cuisiner hier, la voilà satisfaite.

— Booonjour marmotte !

Sarah m'enlace, puis je m'installe sur une chaise entre Matthew et Owen.

— On était en train de débattre sur l'activité d'aujourd'hui, tout le monde a l'air partant pour faire de la luge, ça te tente ? Me demande Alaska, dont la bouche est barbouillée de confiture.

Je ris, caresse le coin de mes lèvres et mon menton pour lui faire signe qu'elle en a partout, puis réfléchis à la proposition, bien que j'aie largement eu ma dose de neige hier avec Octobre. D'autant que la luge n'a jamais été mon truc, mais si c'est ce que les autres veulent faire, je vais suivre le mouvement sans ronchonner.

— Je tiens à préciser que tout le monde ne va pas faire de la luge, moi je vais aller me balader. Ajoute Matt.

Je souris, au moins une personne a d'autres activités en tête, mais comme c'est Matthew, j'hésite. Passer une nuit chez lui m'a nettement refroidie. Je n'ai aperçu sa mère que quelques minutes, mais ça m'a suffi pour me faire une idée du personnage et des séquelles que son comportement a pu avoir. Avec une mère pareille, je ne suis pas étonnée qu'il se soit réfugié dans le Virginity Game. Seulement, Nils et moi savons que ce n'est pas une solution, si Matthew continue de fuir la réalité, ça ne fera qu'aggraver les choses. La question est donc, sommes-nous en capacité de l'aider ? Je l'espère, du plus profond de mon être.

— Ok, alors je prends l'option balade. Je rétorque avant de croquer à pleines dents dans mon pancake.

À cette annonce, Octobre se redresse sur sa chaise comme un suricate en affichant une moue peinée.

— Sérieusement ? Tu veux pas venir avec nous Jade ? On va s'éclater !

— Heu, si par s'éclater t'entends me faire bouffer de la neige quand t'en auras l'occasion, je passe.

— Mais voyons, c'est pas du tout mon genre !

Je secoue la tête, reste sur ma décision, puis jette un regard en coin vers Matt pour voir s'il s'oppose à l'idée ou non. Il a l'air de s'en foutre, s'il ne proteste pas, je ne vais pas chercher plus loin, c'est l'occasion parfaite pour approfondir les choses avec lui.

Quand le déjeuner se termine aux alentours de onze heures, mon bide est plein à craquer, Matt me signale qu'on va partir en même temps que Nils, qui lui va se renseigner pour louer des luges. Sur le coup, le souvenir de leur baiser me revient, ces deux-là ne laissent rien transparaître, jamais, à tel point que si je n'avais pas assisté moi-même à la scène, je pourrais penser qu'elle n'a nullement existé. Alors que les filles sont avachies sur le canapé et se plaignent qu'elles ont trop mangé, je m'éloigne de leurs jérémiades avant qu'elles ne déteignent sur moi et enfile une paire de bottes pour rejoindre Matt et Nils sur le point de partir. 

On prend le premier chemin sur notre droite pour rejoindre la station, Matt se tient à ma gauche, les yeux rivés sur le sol et Nils à ma droite, la tête en l'air, admiratif de la neige sur les arbres. Le contraste entre eux me fait sourire, puis j'ai un pincement au cœur en songeant qu'ils s'aiment, mais qu'ils préfèrent le taire. J'ai envie de secouer Matthew comme un prunier pour lui faire réaliser qu'il passe à côté de sa vie, que faire semblant, ce n'est pas vivre ses rêves, mais les regarder mourir sans se battre, sauf que mes mots s'écraseraient contre les murs qu'il a bâtis autour de lui. Ses défenses ne le protègent pas, au contraire, elles l'enferment et le compriment avec ses vices. Après quelques minutes sacrément pesantes, je prends l'initiative de changer la donne. Je me penche vers Nils, m'empare de sa main que j'enlace avec la mienne et fais la même avec mon autre main et celle de Matt. Mon geste ne détend pas du tout l'ambiance, j'ai même l'impression que les choses empirent, mais je ne me laisse pas dégonfler par les regards perplexes qu'ils me lancent tous les deux.

— Alors, c'est pas une merveilleuse journée qui s'annonce les gars ? Je m'exclame toute pimpante avec l'espoir naissant que la joie de vivre que m'inspire la montagne les gagne.

Je balance mes bras d'avant en arrière avec légèreté, mes doigts toujours bien enlacés avec les leurs, mais rapidement, Matthew cherche à retirer sa main, les traits de son visage déformés par l'agacement.

— Jade, évite de prendre ce genre d'aise à l'avenir. Souffle-t-il, visiblement borné à rester dans une espèce d'humeur maussade qui va finir par m'achever si je passe la journée avec lui.

Quand je me tourne vers Nils, il esquisse une petite moue et resserre notre étreinte comme pour me dire de ne pas baisser les bras. Je lui adresse un sourire, ce serait tellement plus simple d'abandonner, mais en regardant Matthew, je sens que ça m'est impossible. J'ai trop d'espoir pour ça.

— Bon, nos chemins se séparent ici, on se dit à ce soir !

La main de Nils se détache de la mienne, il nous sourit, son regard s'attarde sur Matthew avec tendresse. À cet instant, je suis contente que rien ne se soit produit entre nous, car ce que j'aime, c'est l'amour qu'il souhaite lui donner. Une fois que je me retrouve seule avec Matt, le peu de joie qui flottait encore dans l'atmosphère se fait la malle avec Nils et j'en viens à me demander si j'aurai suffisamment d'énergie pour deux.

— Alors, t'as une petite idée d'où est-ce qu'on va ?

Je lui adresse un large sourire, son regard se reporte sur moi, j'ai l'impression qu'il est éteint, plus que d'habitude, comme si cette fois, Matthew était vraiment loin, emmuré dans les noirceurs de son être, là où je ne peux l'atteindre. Pendant une seconde, j'ai peur que mon enthousiasme s'échoue contre ses remparts, que tout l'optimisme du monde ne suffise pas à le sauver.

— On va aller loin dans la forêt, trouver un endroit tranquille où je pourrai te découper sans que personne t'entende crier.

Bref silence durant lequel on se regarde droit dans les yeux, puis il esquisse un sourire pittoresque comme pour m'indiquer qu'il rigole.

— Waw, laisse-moi te dire que t'as un humour vraiment douteux.

Mon sarcasme le fait sourire, à croire qu'en plus d'avoir une vie pourrie au-dessus de la norme, il ne fonctionne, justement, pas comme la norme.

— En même temps, je suis pas venu pour ça, alors si tu veux bien te bouger, j'aimerais qu'on y aille.
Sans me concerter, il tourne les talons et emprunte le prolongement du sentier qui s'enfonce dans la forêt.

Sur le chemin, je tente de m'amuser en posant mes pieds dans les empreintes qu'il laisse sur la neige. Au bout d'un moment, on arrive au bord d'une rivière gelée. L'endroit est si joli que je me mets à sourire dans le vide, émerveillée par cette beauté, mais alors que je m'accroupis au bord du ruisseau pour faire glisser mes doigts sur la surface, je réalise que Matthew n'y a même pas prêté attention, il continue de marcher avec cette allure robotique qui m'exacerbe. Quel est l'intérêt de partir faire un tour s'il ne jette pas un seul coup d'œil autour de lui ?

— Hé monsieur pas content, tu voudrais pas faire une pause ?

Matthew lève son majeur dans ma direction sans même se retourner. Je serre les poings. Je peux comprendre qu'il ait envie d'être seul pour se renfermer sur lui-même et broyer du noir dans la tombe qu'est devenue son corps, mais si c'est le programme qu'il avait en tête, il aurait mieux fait de m'attacher au chalet pour ne pas que je vienne. Quand je relève la tête avec une idée brillante au premier abord pour le ménager, je remarque que ce petit con s'est barré.

— Ça c'est de l'esprit d'équipe !

Après quelques foulées, je repère sa silhouette, plisse les yeux et me prépare à dévaler la pente qui apparaît devant moi. Je fonce jusqu'à être suffisamment proche de Matt pour me risquer au grand saut et atterrir maladroitement sur son dos. Son corps ploie en avant, pendant une seconde, j'ai l'impression qu'on va se ramasser tous les deux et que mon visage va s'écraser en premier dans la neige, mais il parvient à se rattraper in extremis.

— C'était moins une !

Je souris, Matthew s'agite, secoue ses épaules pour me faire lâcher prise, mais je n'en démords pas.

— Jade ! Descends ! Rugit-il.

Même si j'en ai envie, je ne cherche pas les ennuis plus longtemps et reviens sur le sol. Matthew fait volte-face, me foudroie du regard et pose une main sur mon épaule pour me faire reculer à plus d'un mètre.

— Tu vois, ça, c'est la limite que je ne veux pas que tu franchisses. Si tu tiens à rentrer avec tous tes membres, ne recommence pas.

Il a quelque chose de menaçant dans le regard, quelque chose qui me fait trembler de l'intérieur tandis que je hoche mécaniquement la tête.

— Pourquoi tu maintiens des distances comme ça ? C'est vraiment pas drôle...

Il pousse un profond soupir, puis se remet à marcher d'un pas raide.

— J'ai pas envie de m'amuser Jade, je réfléchis.

Sa réponse me fait lever les yeux au ciel. Même s'il persiste à me laisser croire qu'il veut rester seul en demeurant à l'instar d'un iceberg, je ne suis pas dupe. Il est évident qu'il ne supporte pas que je puisse lui être bénéfique, après tout, je dois représenter une menace à ses yeux depuis ce que j'ai vu. Durant les dix prochaines minutes qui s'écoulent, je marche derrière lui en respectant ses stupides conditions, mais je suis rapidement lassée de faire semblant et contrairement à lui, marcher sans but, sans parler, sans s'arrêter, commence à sérieusement me faire regretter la luge. 

À l'instant où cette pensée me traverse, je manque de trébucher sur mon propre pied et de me casser la gueule de la façon la moins crédible qui soit. Le pire, c'est que Matt ne l'aurait même pas remarqué. Cependant, la neige fait germer une idée imparable dans ma tête. Je m'empresse d'amasser de la poudreuse dans mes mains pour réaliser une super boule de neige que j'envoie avec la précision d'un tireur d'élite en plein dans le dos de Matthew. Cette technique s'avère relativement efficace. En moins d'une seconde il s'arrête, pivote sur lui-même et m'incendie de ce même regard qu'il n'a pas lâché une seule fois, mais je compte bien le faire fondre, peu importe les moyens qu'il me faut employer.

— Bah quoi ? J'ai respecté la limite hein.

Le temps qu'il se presse l'arête du nez et relève les yeux sur moi, je me baisse pour refaire une provision de boules de neige.

— T'avise pas de recommencer.

— C'était pas du tout dans mes intentions. J'affirme avec la mine coupable de celle qui s'apprête, au contraire, à recommencer son petit manège.

— Lâche ce que t'as dans les mains Jade.

Je pousse un soupir, laisse retomber la neige au sol, de toute évidence, je n'en avais pas amassé assez. Matt ne fait vraiment aucun effort, il reprend sa marche comme si de rien n'était, j'ai l'impression que c'est à peine si mes actions l'ébranlent. Je me baisse, pose mes fesses sur mes talons et commence à préparer un second round en réalisant plusieurs boules de neige. Et alors que je m'applique à en faire une grande quantité, je relève à demi les yeux, vois une paire de chaussures à quelques centimètres. Matthew aurait-il rebroussé chemin ? Je n'ai pas le temps de m'en assurer qu'un monticule de neige s'abat brusquement sur mon corps. Le froid s'immisce dans mon pull avec quelques morceaux de neige. Je secoue la tête pour chasser la partie qui s'y est nonchalamment écrasée. Une fois que je me suis suffisamment dépêtrée pour être en capacité de relever la tête, je croise le sourire éblouissant de Matthew en proie à un fou rire grandissant.

— Espèce de connard !

— Tu fais pas le poids Jadine ! Me nargue-t-il avec cette arrogance qui lui va à la perfection.

Je ne m'avoue pas vaincue devant de tels propos et recule de quelques pas pour préparer quelques boules avant qu'il ne m'assaille de nouveau. Ce n'est qu'après des jets et des jets de boules de neige, qui ont finit par me tremper, que je me laisse tomber au sol, essoufflée, le corps en feu, à tel point que je sens à peine la froideur du lit de neige sur lequel je m'étale. Je fais les essuie-glaces avec mes bras et mes jambes avec cette envie enfantine que lorsque je me relève, ma trace ressemble à celle d'un ange.

— Je faisais ça quand j'étais petit avec mon père... Commente Matthew en me regardant.

— Viens-là fiston !

Je lui fais signe de se ramener et cette fois, je n'ai pas besoin d'insister, ni même d'user de techniques diverses pour qu'il vienne s'allonger à mes côtés. On ne parle pas, mais nos rires font écho à ceux de l'autre, tandis que comme des idiots, on fait les anges dans la neige sans se soucier de quoi on a l'air. Quand je tourne la tête pour regarder Matt, des sensations multiples s'étendent dans ma poitrine. Il a les yeux fermés, un sourire divin sur le bout des lèvres. L'insouciance qui s'en dégage m'apaise, je n'avais jamais réalisé à quel point il était beau. Beau, mais surtout, vivant.

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Meooow de l'insouciance à foisooon, il nous en faut pour se rappeler qu'on vit et que rire est agréable :) 

Comment vous l'avez trouvé celui-là de chapitre mes loulous ?

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