Chapitre 54
Musique : Lyeoka- Simply Falling
PDV Alaska :
Je n'en ai pas fait part aux filles parce que je n'en vois pas la nécessité, mais être ici me met mal-à-l'aise. Je l'ai réalisé une première fois pendant le trajet, mais je me suis convaincue qu'avec la neige, le lieu pouvait être trompeur, seulement à mesure qu'on se balade sur les chemins balisés, le doute s'estompe; je suis déjà venue ici et les souvenirs que ce lieu m'évoque m'apparaissent comme un signe. J'ai le pressentiment qu'il serait bon d'en parler avec Aaron, car j'ai beau clamer avoir tiré une croix sur notre passé, il me hante toujours autant. À mesure que nous retissons des liens, je réalise que certaines habitudes sont restées, j'en viens à me demander, beaucoup trop de fois par jour, ce qui a bien pu tout foutre en l'air. Je suis sidérée de la facilité avec laquelle nous communiquons, je n'ai pas besoin de me forcer comme avec les autres gars, il n'y a pas cette répulsion qui me prend comme à chaque fois. Avec lui, tout se fait naturellement et je crains que le naturel ne finisse par me mener à ma perte. Enfin, c'est ce que les battements de mon cœur m'annoncent. Un changement se profile à l'horizon, mais pour en voir la couleur, j'ai besoin de voir mon passé sans artifices.
— Alaska t'as pas l'air dans ton assiette ça va ? Me demande Jade qui fait une pause dans la bataille de boules de neige pour venir à ma rencontre.
Ce n'est pas le cas d'Octobre par contre. L'air frais et la neige ont l'air de la faire revivre, je ne l'avais jamais vue si insouciante et débordante d'énergie. Je la regarde se rapprocher de nous avec de la neige dans les mains, j'ai tout juste le temps de me reculer, qu'elle la balance sur Jade. Cette dernière pousse un cri, demande un break en rigolant, puis revient vers moi.
— J'ai le ventre noué... Je souffle, mais voyant que ça n'a pas l'air de la rassurer, je m'empresse d'ajouter que c'est sûrement parce que je n'ai rien mangé depuis hier matin, quitte à ce que ce ne soit pas la vérité.
— C'est plutôt surprenant venant d'une fille qui ne rate pas une occasion de bouffer ! Tu ferais mieux de rentrer manger un bout, je vais rester avec Octobre et la vider à coup de boules de neige de toute l'énergie qui lui reste !
J'esquisse un sourire, j'ai presque honte de mon mensonge en les voyant toutes pimpantes.
— Bah je te souhaite bonne chance, tu risques d'en avoir besoin.
Sur le chemin du retour, je réfléchis à la façon dont je souhaite m'y prendre. Ce n'est pas la première fois qu'Aaron et moi risquons d'évoquer le passé et si il y a quelques semaines, j'avais peur d'y faire face, aujourd'hui, je sais que si je ne le fais pas, je perdrai le pari sans qu'il n'ait rencontré de difficulté. Même notre rafistolage ne semble pas l'avoir changé, alors que depuis qu'il fait à nouveau partie de ma vie, je suis en proie à de profonds doutes qui ébranlent mes piliers. Quand j'arrive au chalet, je le trouve dans la cuisine ou du moins, c'est lui qui me trouve, mais à cet instant, mon idée me semble stupide, alors je garde le silence et le fixe comme s'il était de trop dans le décor.
— Alaska, t'es allée faire un tour dehors ? Me demande-t-il après m'avoir, lui aussi, regardée longuement dans le blanc des yeux comme s'il attendait quelque chose.
— Non, j'allais te proposer d'en faire un avec moi, enfin, si t'es pas trop pris.
— J'avais en tête de te proposer la même chose.
J'en étais sûre. Or soudain, j'ai l'impression que trop de coïncidences s'enchaînent pour que ce soit le fruit du hasard. Je lui emboîte le pas en sortant du chalet, puis sans un mot, j'emprunte le même chemin que lui, en opposé à celui que les filles ont pris. Plus on s'éloigne, plus les lieux me sont familiers, j'ose alors le tout pour le tout, quitte à me confronter à une désillusion.
— Aaron ?
Il fait volte-face, s'arrête pour m'attendre. Quand j'arrive à son niveau, le bleu presque translucide de ses pupilles me ramène à une époque où je les regardais pour la première fois avec amour, avec l'espoir, même infime, qu'Aaron soit celui qui me sauve de mes propres peurs. J'ai eu tort de croire ça, on ne peut se délivrer que soi-même, pourtant, comment se fait-il qu'en le regardant aujourd'hui, j'aie le sentiment d'être toujours prisonnière de mes peurs, malgré mes convictions et les valeurs que je me suis forcée de respecter, dans le fond, je suis toujours brisée.
— Pourquoi est-ce que j'ai cette putain d'impression de déjà-vu ? Je lâche comme s'il pouvait avoir une réponse à tous mes doutes et franchement, par moments je l'espère à un point qui en serait presque pathétique.
— Peut-être parce qu'on est déjà venu ici.
Quand je décroche mon regard du sien pour observer les alentours, la clairière dans laquelle nous sommes m'apparaît comme une arène où viennent se confronter tous mes souvenirs. Soudain j'y vois plus clair et toutes les sensations étranges que j'ai depuis notre arrivée prennent un sens. Avant même de tourner la tête sur ma gauche, je sais d'avance qu'un énorme tronc d'arbre couché s'y trouve, qu'à l'époque où nous sommes venus ici pour la première fois, je m'étais assise dessus, j'avais glissé de l'autre côté à cause du gel et Aaron avait ri.
— Oh mon dieu...
— Est-ce que tu te souviens ? Chuchote-t-il au creux de mon oreille avec cette douceur déstabilisante qui me fait perdre pendant une seconde la notion du vrai et du faux.
— Bien sûr que je me souviens, mais qu'est-ce qu'on fout là bordel ?
Aaron n'est pas surpris que je m'emporte, il devait avoir anticipé la réaction que j'aurais en revenant ici. Est-ce volontaire de sa part ? Pendant un court instant, le peu de niaiserie et d'espoir qui existent et se condensent dans ma tête me laisse penser que c'est la fin, qu'Aaron a choisi cet endroit pour m'avouer qu'il a perdu le pari. Auquel cas, il fait fort. Je ne pouvais pas souhaiter mieux que le lieu où on s'est avoué nos sentiments pour la première fois. Mais assez rapidement, la part rationnelle et calculatrice de mon être n'est pas dupe et prend le dessus.
S'il m'a emmenée ici, c'est pour me tester. Il mise peut-être tout sur cette fois en espérant que les souvenirs aient raison de moi et que je me donne à lui comme une simple pomme que l'on cueille. En attendant sa réponse, je suis bloquée dans cet entre-deux, je ne connais pas son jeu cette fois et j'ai horreur de cette sensation qui s'empare de moi. Qu'est-ce qui est vrai dans tout ça ? Sommes-nous en train de trébucher ensemble, où suis-je seule à tomber, tandis qu'Aaron rit de me voir buter si facilement contre le passé ?
— Étant donné que les trois quarts du temps tu te débrouilles pour qu'on évite le sujet, je me suis dit qu'en te mettant dans une situation où chaque élément t'amène au passé, tu ne pourrais plus le fuir.
Sa voix prend le dessus sur celles qui s'agitent dans ma tête et voilà que la réalité n'a rien de ce que j'envisageais. J'esquisse un sourire, si j'avais su qu'il avait ce genre d'idée derrière la tête, j'aurais pris soin de ne pas mettre les pieds dans son piège.
— C'est plutôt fort venant de toi, qui aurait cru que tu serais capable de faire preuve d'autant de discernement ? Pourtant, je ne fuis rien Aaron, alors cette stratégie est un peu extrême.
— Très bien, dans ce cas-là, explique-moi pourquoi tu me fuis depuis trois ans ?
— C'est pas de la fuite. Tu m'as trompée quand on était ensemble, pourquoi est-ce que je t'aurais montré de la sympathie par la suite ?
Puisque vraisemblablement, il tient tant que ça à ce que je me confronte au passé, autant qu'on le fasse ensemble.
— Je t'ai trompée parce que je croyais que t'en faisais de même.
C'est marrant comme je songe à quel point, un jour, je nous ai trouvés semblables. Que ce soit dans nos malheurs, dans nos vices ou même dans nos raisonnements, selon le tournant de cette conversation, je verrai si c'est toujours le cas ou non.
— Sérieusement ? Et tu vas me dire qu'après trois ans de relations, t'étais pas capable de m'en parler ouvertement ?
— C'est vrai que j'aurais pu, tout comme toi t'aurais pu me faire part de tes peurs au lieu de flirter avec les premiers mecs qui te passaient sous la main. Rétorque-t-il, fier de me renvoyer ce souvenir au visage tandis qu'une ribambelle s'ensuit.
— Quoi ? Mais...
Je m'arrête une seconde, à bien y penser, il n'a pas tort, repousser la faute sur l'un de nous ne nous aidera pas à clarifier les choses.
— Ok, t'as raison et je l'aurais fait. Je me reprends alors, bien décidée à être honnête et détachée, puisque c'est du passé, je ne devrais pas avoir de difficulté à en parler. Tu vois, jusqu'en cinquième, je considère qu'on était assez proches pour que je m'ouvre à toi, mais sérieusement, après que tu sois devenu ami avec Matthew et Théo, t'avais trop changé pour que je puisse t'en parler. Alors Aaron, je suis désolée, mais c'est toi qui t'es éloigné de moi le premier et je comprends que la mort de ta sœur ait été un choc à ce moment-là, mais t'as pas voulu de mon soutien et tu t'es réfugié auprès de gars tout aussi brisés que toi, celui qui fuit au final depuis un moment, c'est pas moi, c'est toi.
Les traits de son visage se crispent à vue d'œil. Sur le coup, je m'en veux un peu d'évoquer sa sœur comme si elle n'était rien de plus qu'un fantôme du passé, même si c'est le cas. À l'époque, sa mort a beaucoup affecté Aaron.
— Alaska... L'année où Rose est morte, c'est la même année que celle où on s'est retrouvé ici et où je t'ai avoué être amoureux de toi. C'est qu'un an après que je me suis lié avec Matt et Théo, quand mon frère est parti avec sa nana, et c'est là que toi t'as pas compris.
Il marque une pause, j'essaie de remettre de l'ordre dans les événements, dans mes souvenirs, les choses ne se sont pas déroulées de cette façon. Je me souviens de la fois où il m'a parlé de ses sentiments, c'était en cinquième, on savait déjà tous les deux qu'on partageait les mêmes depuis un moment. Mais moi, je n'arrivais pas à les accepter. Un peu comme aujourd'hui.
— Mon frère, c'était mon modèle. Reprend Aaron. Quand il est parti, je me suis senti rejeté et toi, t'étais incapable de le concevoir, tout ce que tu voyais c'était que moi je te délaissais. T'as toujours été égoïste Al, je me suis toujours plié à tes caprices parce que je t'aimais, mais à un moment donné, il a fallu que je pense un peu à moi et là, mademoiselle s'est sentie menacée, alors tu t'es mise à me rendre fou de jalousie en fréquentant d'autres mecs.
Ses derniers mots sont emplis d'amertume et je comprends à cet instant, qu'en réalité, aucun de nous n'a accepté ce qui s'est passé, nos perceptions du monde à cette époque-là étaient trop différentes pour qu'on en prenne conscience. Et je suis en colère, inutile de le nier, je le suis autant qu'Aaron. Parce que pendant qu'il me pensait égoïste, moi je souffrais de l'abandon de mon père.
— Waw, je savais pas que ta version de l'histoire ressemblait à ça...
Je soupire, que faire, que dire ? Être honnête ? À quoi bon. Je ne sais plus où je veux aller, que ce soit seule ou avec Aaron, je me sens perdue et l'origine de ce sentiment n'est qu'une putain d'incompréhension du passé. Je ne sais pas si lui le perçoit, mais je vais me charger de lui mettre en face des yeux la version que j'ai de ce temps-là.
— Pour moi les choses se sont déroulées autrement. Tu dis que j'étais égoïste et tu l'es devenu aussi quand t'as cherché à combler le vide que ton frère a laissé. Au final tu ne vois pas à quel point la ressemblance est frappante ? Si j'étais si égoïste comme tu le dis, c'est parce que je me protégeais, et j'ai jamais arrêté. Alors oui, pour toi, je pensais peut-être qu'à ma gueule et à ce qui pouvait m'arriver, mais c'était un moyen de me couper de la souffrance, de me préserver...
Ma voix se brise, Aaron ne s'en rend pas compte. Je fais mine de renifler à cause du froid, comme si c'était la raison pour laquelle je me suis arrêtée, mais la vraie raison, je suis incapable de l'énoncer. Pas à Aaron du moins, pas de cette façon, pas après tout ce temps.
— Mais te préserver de quoi ? Comment tu voulais que je comprenne si tu ne me disais rien et si tu continues à ne rien dire ?
Il insiste, il a l'air de vouloir la vérité. Mais ça ne sert plus à rien, je ne devrais pas me sentir mal à ce point, pourtant dans ma tête tout s'emmêle, je perds pied. Mon estomac se noue, à croire que la vérité y est logée et que si je veux l'en sortir, ce sera à coup dans le bide. Sauf que non. Je vais la laisser au chaud, faire comme si j'ignorais la douleur qui gagne tout mon système.
— Aujourd'hui je te demande plus de comprendre, d'autant que tu savais très bien ce qu'était ma faille.
C'est sûrement ce qui me bouffe le plus, savoir que j'ai partagé ma plus grande douleur à Aaron et qu'il ne l'a pas prise en considération. Voyant qu'il reste silencieux, comme s'il fouillait sa mémoire à la recherche d'un quelconque souvenir de ce moment-là, alors que l'ironie de la situation est risible, je m'apprête à tourner les talons, histoire que cette torture s'achève, qu'on cesse enfin de se tirailler pour si peu.
— Alaska... Alaska ! Crie-t-il plus fort, mais c'est inutile, je ne me retournerai pas.
Enfin, excepté s'il m'y force en m'attrapant par le bras comme il le fait. Je me retrouve alors confrontée à ses yeux couleur océan, dont les vagues viennent frapper douloureusement contre les portes de mon âme.
— J'ai été honnête en t'avouant des choses que je suis même pas sûr d'avoir accepté Al, alors s'il te plaît, tu peux au moins faire un effort et m'expliquer...
— Mais y a rien à expliquer ! Aaron, à moins d'avoir oublié, je te rappelle que tu m'avais fait une promesse, ici même d'ailleurs ! Quand je t'ai avoué que mon père m'avait abandonnée, tu m'as juré que t'en ferais pas de même et pourtant, c'est exactement ce que t'as fait ! Je m'époumone presque, mais ce n'est pas contre lui que je crie, c'est parce que j'ai besoin que ça sorte, que ce poids qui perfore mes intestins et comprime mes organes disparaisse afin que je puisse à nouveau respirer.
Aaron ne dit rien, je sens que je vais pleurer. J'ai soudain moins mal à l'intérieur, mais j'ai envie de pleurer ma confusion, mon désespoir, ma tristesse, ma colère, en bref tout ce qui s'est entassé dans un coin de mon cœur. Après un long silence, Aaron pose un doigt sous mon menton pour que je relève la tête.
— C'est pas ce que je voulais Alaska et tu le sais très bien. J'avais pas prémédité la mort de ma sœur, ni le départ de mon frère. J'ai ressenti la même chose que t'as pu ressentir avec ton père, est-ce que tu comprends ça ?
Oui je comprends. Je me tais, inspire longuement, quand je reporte mon regard sur lui, je sais que c'est la fin, qu'il ne sert à rien de débattre davantage, parce que les choses n'ont jamais été aussi claires. Toute notre histoire n'est qu'une putain de mauvaise interprétation de notre part.
— Oui, je comprends surtout pourquoi c'était mieux qu'on taise tout ce bordel. On peut pas changer ce qui est arrivé Aaron. À l'époque j'étais trop aveuglée par ma propre blessure et toi par les tiennes, c'est tout ce qu'on peut en dire, ça sert à rien de débattre infiniment là-dessus, t'avais des attentes, j'en avais d'autres, on manquait de mots, et aujourd'hui le temps a balayé tout ça, on ferait mieux d'en faire de même, tu penses pas ?
Je n'arrive toujours pas à croire que je suis la première à rendre les armes, mais ça me soulage infiniment quand le silence retombe et que le regard d'Aaron exprime son accord. Je suis fatiguée de tout ça, c'est comme si toute ma vie, j'avais couru pour fuir un passé, pour le fuir lui, alors qu'en réalité, je ne fuyais qu'un rêve brisé de plus. Je répétais la même boucle inlassablement et aujourd'hui, j'ai la sensation que tout s'arrête. J'ai l'envie, profonde et inéluctable d'appuyer ma tête contre son torse pour m'y reposer, y trouver du réconfort après avoir lutté contre les démons de notre passé. Mon regard vient accoster sur le doux rivage du sien. J'ai l'impression de m'être exprimée pour deux, ses bras m'enlacent, ma tête se pose contre la chaleur de son corps et ça me convient. J'en viens même à penser, pendant une seconde, que le pari n'était qu'une excuse, qu'au fond, tout nous a amenés à cet instant, à la réalisation que si le passé me causait autant de mal, c'est parce que je ne m'avouais pas combien je l'aime. Toujours et pour toujours, même si cette notion m'échappe.
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Et voilà enfin le dénouement entre Aaron et Alaska ! (jcrois que je suis in love d'eux en fait) :')
Faites péter les avis, j'fais péter l'champagne héhé !
AMOUUR, BISOUUUS SUR VOUS !!
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