Chapitre 50

Musique : The Cramberries- Dreams


PDV Théo :

Jade. Je répète son prénom en boucle pour imprimer son visage dans ma tête, faire en sorte qu'elle soit la seule à occuper mon esprit. Je me visualise passant la prendre pour aller à la réunion, seulement, j'arrive pas à échapper au rire de Sarah qui fait écho à la moindre de mes pensées. Je pense à elle quoi que je fasse. À elle et à son foutu carnet que j'arrive pas à retrouver. Je pensais pas qu'elle y tenait autant, je croyais qu'elle faisait ses devoirs et je me suis dit qu'elle s'en foutrait que je lui prenne ses cours. Mais faut croire que j'ai touché à quelque chose d'important, à quelque chose qui m'intrigue plus que la réunion dans moins de deux heures. Si je mets pas la main sur ce carnet d'ici là, il faudra encore que je supporte le regard noir de Sarah et même si je parviens pas à comprendre pourquoi, c'est une chose que je vis mal.

 Je préfère encore qu'elle me raille à longueur de temps, au moins elle me parle, me sourit, et c'est dingue, mais si peu suffit à me rendre heureux. Après que j'ai fait je ne sais combien de fois le tour de ma chambre sans voir son journal, je commence à perdre espoir, j'étais sûr de l'avoir posé sur mon bureau, en évidence... En évidence putain ! Mes idées se mettent rapidement en place, il n'y a pas douze explications. Mon père a dû passer par là. Avec le temps, je me suis habitué à ce qu'il fouille dans mes affaires pour se débarrasser de ce qu'il juge inutile. Il n'a pas hésité à jeter la première chanson que j'avais écrite, sous prétexte que c'était qu'un tissu de merde. J'espère qu'il n'a pas été aussi con que ce jour-là. Je sors de ma chambre, traverse le couloir et cours jusqu'à son bureau. La pièce est vide, toujours impeccablement rangée comme si personne n'y avait mis les pieds. Je déteste cet endroit.

 Ça me chauffe le corps au souvenir de tous les coups que j'y ai reçus chaque fois que mon père m'y convoquait. C'était souvent quand j'allais pas dans son sens. Sales moments que je préfère oublier. Maintenant, il me fiche la paix, du moins c'est ce que je croyais, mais en trouvant le journal de Sarah à l'agréable couverture bleu ciel dans la poubelle, je n'en suis plus si sûr. Pour que mon père s'en débarrasse en pensant que c'est à moi, ce doit être très contraignant, d'autant qu'il l'a déchiré. Dès cet instant, je sens que c'est la fin. La fin des jours légers. Sarah ne me pardonnera jamais et elle ne me croira pas si je lui dis que mon père est responsable. Je comprends pas pourquoi il a fait ça, à moins que... à moins que ce ne soit des chansons. Ma passion pour la musique quand j'avais douze ans a sûrement été la plus grosse honte de mon père, il me l'a bien fait sentir. Il détestait m'entendre jouer de la gratte, et quand je me suis mis à chanter mes propres textes, il n'a pas supporté que son fils se comporte comme une pédale. Peut-être qu'il avait raison, sans lui, j'en serais pas là, et ce que j'ai me déplaît pas. J'en ai chié pour arriver à ce résultat, mais je risque d'en chier encore plus quand je me retrouverai en face de Sarah.

 Alors que je regagne ma chambre avec les lambeaux de son journal, je me dis qu'il serait préférable qu'elle me déteste toute sa vie en croyant que je m'en suis débarrassé. Ce serait plus simple. Je me cale sur mon lit et regroupe les deux morceaux pour décrypter le contenu. Ma théorie se confirme à quelques détails près quand je vois plusieurs poèmes et écrits en tous genres. Intérieurement, je remercie mon père de ne l'avoir coupé qu'en deux. Je survole quelques lignes, puis mes yeux se heurtent à une écriture au feutre rouge sur le derrière de couverture. «Arrête de jouer les fillettes, espèce de bon à rien». Quelle douce attention. J'ai pas connu mieux de la part de mon père, pourtant, même après tout ce temps, après toutes les insultes auxquelles j'ai eu droit, je ressens encore un pic au niveau de mon cœur. J'ai un peu honte aussi pour Sarah, déjà qu'elle me prend pour le pire des cons, maintenant je vais passer pour le mec le plus irrespectueux qui soit. 

Enfin, c'est pas comme si j'en avais quelque chose à foutre. Mon piètre mensonge suffit à me voiler la face durant les premières minutes où je feuillette le carnet sans attention particulière. Nos écritures ne se ressemblent pas, je me dis que mon père est vraiment un gros naze, mais au final, je sais qu'il a tiré des conclusions hâtives pour se trouver une putain d'excuse et m'en mettre plein la gueule ce soir. Je me rembrunis, cette journée s'annonce pénible. Alors que je me pensais voué à mes inlassables tourments, un texte me marque. Quelques lignes seulement, mais elles me sont adressées. Dans ma tête, la machine infernale qui vomit des pensées à la chaîne s'arrête, le vide se déploie et tout résonne à l'intérieur de moi.

Il a quelque chose de particulier dans le regard. Je me dis que j'hallucine, qu'il n'y a que de la noirceur et des cauchemars qui s'y baladent, pourtant, quand il les pose sur moi, je jurerais y voir le monde et tout l'amour qu'il comporte tirer sa révérence. #T.

J'ai comme des sueurs froides, l'impression que mon cœur se cale sur un rythme différent, plus emballé tandis qu'un frisson me gagne. Ça me rappelle les moments de bien-être que je n'avais qu'en jouant de la guitare et je suis brusquement épris par ces mots qui s'insèrent dans ma tête et me procurent des sensations que je croyais éteintes. Sarah. Ce n'est plus pareil quand j'énonce son prénom, ça sonne comme une révélation que je ne pouvais pas saisir avant. Mon corps se tend, mes yeux sont suspendus à son journal comme s'il pouvait permettre à mon souffle de se réguler. 

Ça me prend, ça me tord les tripes et je me surprends à aimer chacun des mots que je lis. Je retrouve un plaisir extatique qu'aucune autre distraction ne peut égaler, c'est encore plus puissant que les instants où j'ai pu jouir entre les cuisses d'une fille dont je ne savais rien. C'est quelque chose qui s'établit sur un plan plus profond qu'aucun autre, ça s'inscrit en moi, s'imprègne dans ma chair jusqu'à mon squelette. La moindre émotion qu'elle a couchée sur le papier me renverse. J'ai l'impression futile et pourtant providentielle que tous ces mots ne sont là que pour moi. Pour redonner vie à mes rêves et me donner l'envie, à nouveau, de prendre un stylo et une feuille et d'être capable, comme Sarah, d'ouvrir mon cœur pour en dévoiler ses profondeurs. Je ne veux plus faire semblant devant tant de justesse. J'avais oublié qu'on ne peut pas jeter sa nature, qu'on ne se détache pas de soi en s'accoutrant avec les habits d'un autre. 

Une putain de larme m'échappe. Ça laisse une traînée chaude, humide, sur ma joue, comme le passage d'une promesse que j'avais laissé sécher en croyant qu'elle mourrait, mais elle s'est seulement incrustée dans ma chair. Bref coup d'œil sur mon réveil, ça fait plus d'une heure que j'ai la tête enfouie dans ce carnet et que je bois les mots de Sarah, avide de retrouver ce semblant de sincérité et d'éclat de vie au fond de mon être. Et j'y crois soudain, comme je n'ai jamais cru auparavant. Sur un bout de papier qui traîne, je laisse mes doigts écrire d'eux-mêmes la vérité qui me frappe, je me sens renaître avec cette sensation crédule et miraculeuse, que tout est possible dans l'ici et le maintenant. Je n'ai plus de temps à perdre. Euphorique face à l'évidence qui me saisit, je prends le carnet de Sarah, cours comme un dératé dans le couloir, puis dans l'escalier jusqu'au garage. Dans une vieille malle que j'ai pris soin d'entreposer à l'abri des regards, je sors ma guitare et savoure le contact du bois contre mes doigts.

 J'inspire une grande bouffée d'air, comme si c'était la première fois, et dans un sens, ça l'est, car depuis le jour où j'ai laissé ma gratte au placard pour suivre les paroles de mon père, une part de moi y est restée. Sans que je m'y attende, préparé ou pas, Sarah est entrée dans ma vie et ses écrits m'ont redonné foi en ce que j'avais lâché. Mon pouce glisse sur les cordes, un son s'en échappe et j'en frissonne. Je n'avais jamais connu de telles sensations dans mon corps, dans ma tête, tout change et se transforme. Soudain, je ressens le besoin fatidique de courir jusqu'à chez Sarah pour lui montrer celui que je suis vraiment, celui à qui elle pourra pardonner j'en suis certain. Sans plus d'hésitation, car j'ai fait trop souvent avec, ma guitare dans une main, le journal de Sarah dans l'autre, je m'élance en courant dans la rue. Une dizaine seulement me sépare de chez elle, mais à cet instant, je pourrais en parcourir mille. 

L'évidence me transperce de part en part, l'amour dont j'étais dépourvu, dont je pensais ne rien connaître, s'est emparé de moi avant même que j'aie conscience qu'il m'habitait depuis toujours. Sarah. L'imaginer me fait redoubler d'efforts, au diable Jade et tout le reste. Au diable mon père et ses sermons à la con qui m'ont arraché à mes véritables valeurs. Je cours à en perdre haleine, à m'en arracher les poumons, mais ce n'est rien, parce qu'autre chose m'habite, quelque chose de plus grand, de plus fort qu'aucune autre chose. C'est ça que j'ai envie d'appeler Amour, parce que ça vibre en moi aussi bien que lorsque je jouais de la guitare avec toute mon âme. Sarah. Plus rien ne m'effraie.

 Je pourrais hurler combien je l'aime quand bien même ce ne serait pas son cas. Je l'aime et cet amour me rappelle qui je suis. J'aperçois enfin sa maison aux volets jaunes au bout de la rue. Il ne me reste plus que quelques mètres. J'en profite pour ralentir la cadence et me préparer à ce que la vie me réserve depuis un temps. Je pose un pied sur la pelouse en bas de chez elle, ajuste ma guitare, puis me place sous la première fenêtre que je vois en espérant que ce soit la sienne. J'inspire profondément, ne laisse aucune pensée parasite qui me pousse à faire demi-tour prendre le dessus, cette fois, j'ai envie de répondre à mes désirs les plus enfouis. J'ai envie de jouer pour celle que j'aime, de l'appeler jusqu'à ce qu'elle me rejoigne, de l'aimer suffisamment fort pour que l'amour efface mes erreurs. Je tente de me remémorer la dernière chanson que j'ai écrite, celle que je connaissais par cœur, qui parlait d'un rêve à accomplir, un rêve qui s'est vu voler en éclats le jour où mon père m'a entendu la chanter. 

Les paroles me reviennent, mes doigts jouent avec les cordes comme s'ils ne les avaient jamais quittées. Je ferme les yeux, laisse tous mes sentiments s'épancher au travers des mots qui sortent de ma gorge sans aucune retenue. Derrière mes paupières closes, quelque part sous la mélodie que j'adresse à Sarah, je me sens revenir en arrière, je revois comme un vieux film dont on aurait détesté chaque séquence, tous les coups que mon père m'a mis chaque fois que j'ai osé être moi-même. Quand j'ouvre les yeux, ma musique ne faiblit pas et les souvenirs ne noircissent pas ma vue. Je me sens grand et le passé me semble loin. Aujourd'hui, je ne veux plus avoir peur. Je serai celui que je souhaite, peu importe combien mon père désapprouve, moi j'ai toujours détesté prétendre être insensible, coriace, malsain, comme un homme devrait l'être selon ses critères. Cette fois, j'ai envie d'assumer la pédale que je suis à ses yeux, peu importe le plaisir qu'il aura à m'appeler ainsi, ce sera plus facile à encaisser à côté de toutes ces filles que mes mensonges ont brisées. Dans un creux de ma pensée, je remercie Mathilde. Les paroles qu'elle a osé m'adresser après que je me sois joué d'elle m'ont marqué.

— Théo ? Mais qu'est-ce que tu fous ?!

Cette voix qui me percute jusqu'à la moelle m'arrache un frisson, je perds le fil de ma chanson et les notes qui vont avec. Je m'arrête de jouer, lève les yeux sur la fenêtre toujours fermée au-dessus de ma tête et vois que Sarah m'appelle du balcon opposé.

— C'est celle-là ma chambre idiot !

Elle rit en se penchant légèrement dans le vide. J'esquisse un sourire, elle est si rayonnante. J'espère qu'elle ne m'en veut plus, car tout me semble soudain si loin. Il n'y a plus que son rire qui occupe l'espace. Sarah. De ma poche, je sors un papier sur lequel j'ai griffonné quelques mots pour elle, il est froissé, tient à peine entre mes doigts qui soudainement se mettent à trembler. Y a cette petite voix dans ma tête qui persiste, qui me dit d'oublier, de ne pas lui confier ces mots. Ils sont trop vrais pour qu'elle les voie, pourtant, à la façon dont elle me regarde, sans me juger, sans même parler, juste elle me regarde et elle reste perchée-là sur son balcon, pour moi. Ça ne peut qu'être la providence. 

Je fais taire mes doutes, traverse la pelouse pour me retrouver sous son balcon, heureux qu'elle ait manifesté sa présence. J'aurais été mal si sa mère s'était pointé à sa place, alors que je ne chantais que pour une personne. Celle à qui je confie l'authenticité de mon être. Quand je préviens Sarah de bien réceptionner ce que je vais lui envoyer, elle fait mine de se préparer, d'être attentive pendant que je compresse mon mot, paniqué à l'idée de faire ce que je vais faire. Mais je me dégonfle pas. Je lui jette le papier, Sarah l'intercepte. À merveille. Le silence plane au-dessus de nos têtes, il est léger, contient plus de douceur et de compréhension qu'aucune parole. Je l'observe méticuleusement poser ses yeux sur mes mots, ceux que je connais par cœur, ceux qui lui sont destinés.

Sarah, te lire, c'était comme regarder mon reflet sans artifices dans le miroir de ton âme.
Sarah, ta douleur m'a semblé identique aux maux qui me tordaient les tripes, et te voir à nu, c'était comme me retrouver. Retrouver celui que j'étais avant de lâcher mes rêves
Sarah, il n'y a plus de croyance à l'heure où la vérité me consume et me révèle à moi-même. Je veux te dire combien je t'aime. Comme on aime jusqu'à n'en plus pouvoir, lorsqu'on réalise que la seule chose qui nous maintient en vie est celle qu'on a choisi de taire.

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Bien le booon jouur mes ptits loups !! 

Alors ce chapitre, mon dieu, j'avais imaginé cette scène je sais pas combien de fois de je ne sais combien de façon, mais je voulais absolument qu'il y ai ce truc avec la musique et franchement j'espère que vous ressentez ce qui saisit Théo, parce que j'avais vraiment peur de foirer ce côté "émotion" en écrivant ce chapitre, mais bon, je suis contente, il est écrit maintenant huhu ^^ 

SOOOO DITES MOI TOUT !! (vous êtes tombées sous le charme hein?) :') 

💛💛

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