chapitre 42

Musique : Agnes Obel -Riverside


PDV Octobre: 

Si au début, le Virginity Game menaçait mon espace vital et mon temps, j'ai inconsciemment fini par m'y faire. Le jeu s'est, en quelque sorte, mis à rythmer mon quotidien, alors quand Nils nous a annoncé qu'il n'y avait rien de prévu ce week-end à cause de la pluie, je me suis sentie incroyablement libre, mais en rentrant, j'ai surtout réalisé à quel point j'étais seule. Après une heure de conversation téléphonique avec Solange à parler de tout et de rien, je m'affale en travers du canapé et mon esprit choisi de se focaliser sur l'image d'Owen. Cette semaine, nous n'avons pas échangé un mot et notre courte entrevue dans la chambre d'Aaron me hante, comme si un terrible mois d'agonie s'était écoulé depuis. Owen. 

J'ai essayé de me le sortir de la tête en descendant la moitié d'une bouteille de vin, ça n'a fait qu'empirer les choses. Je me sens vaseuse, complètement vidée. Mon corps se liquéfie sur le canapé pendant que je ressasse mes idées noires en me demandant ce que je pourrais bien faire pour tuer le temps. Penser à Owen s'est avéré la seule activité potentiellement faisable, mais en contrepartie, je suis rongée de l'intérieur par mes envies. J'aimerais envoyer bouler tous mes principes pour me précipiter dans ses bras, lui dire ce que je crois ressentir, mais ce serait la pire des choses à faire. J'y vois pas clair dans cette histoire, ni dans ma tête, et l'alcool dans mon sang n'arrange rien. Mes jambes sont en train de glisser du canapé. J'ai envie de fondre sur place avec mes pensées incessamment tournées vers Owen. Qu'il aille se faire foutre avec toutes les belles paroles que je l'imagine me dire. Owen. Voilà que ça recommence. Je nous revois deux ans plus tôt, à l'époque où rien n'était joué, tout restait possible. Aujourd'hui, le garçon que j'ai aimé n'existe plus, mais le joueur qu'il est devenu ne me laisse pas indifférente. 

Aurais-je le cran, à l'instar d'Alaska, de trouver en moi la force pour taire mes sentiments et ma rancune à son égard ? Ou est-ce préférable de nourrir de la colère pour ne plus laisser la douceur que j'éprouve me mettre au pied du mur ? Crucial dilemme, je n'arrive pas à trancher. Le vin me donne le tournis, mes fantasmes redoublent. Les deux extrêmes entre lesquels j'oscille ne font pas bon ménage et les nuances qui s'offrent à moi sont trop complexes. Si je veux soutenir les filles, il faudra que je mette de côté mes tourments et si j'y parviens, je finirai tôt ou tard par m'entailler avec mes propres brisures. Quand le jeu sera détruit, je le serai à son égal et Owen aussi. Nous le serons tous, ce n'est pas possible autrement, alors quitte à souffrir autant ne pas le faire qu'à moitié. Je souris dans le vide à cette pensée qui me lacère, puis me redresse au moment où mes fesses touchent le sol. J'envisage de changer de position pour continuer ma dépression, mais la lumière qui clignote sur mon téléphone attire mon attention. 

Évidemment, mon cœur effectue quelques roulés-boulés à l'idée que ce soit Owen. Je m'empare de mon portable pour couper court à toutes projections farfelues. C'est un message d'Estelle, elle veut que je vienne. Sans y réfléchir à deux fois, je cours dans ma chambre, récupère la bouteille de vin, quelques affaires, puis pars sur la route. Quand j'arrive devant chez elle, une main prête à pousser la sonnette, ma joie et mes appréhensions s'entremêlent. Si je n'avais pas bu autant avant de venir, j'aurais certainement craqué sous la pression qui s'exerce à l'idée que je puisse me retrouver en face d'Owen. Mais c'est Estelle qui m'ouvre.

— Waw, c'est quoi cette tronche ? On dirait que t'as pas dormi depuis des jours.

Je hausse les épaules, grimace, elle sait y faire en accueils chaleureux. Pour éviter sa question, je tends la bouteille,

— Waw, c'est quoi cette tronche ? On dirait que t'as pas dormi depuis des jours.

Je hausse les épaules, grimace, elle sait y faire en accueils chaleureux. Pour éviter sa question, je tends la bouteille, elle y jette un regard intéressé et renifle le contenu avant de s'en enfiler une gorgée. Estelle fait un petit commentaire sur l'odeur raffinée du vin, plus pour me voir sourire que pour véritablement s'en extasier. À l'intérieur, tout est calme, un peu comme chez moi, mais il n'y a pas cette ambiance morbide derrière.

— Owen n'est pas là ? 

Estelle va dans la cuisine et sort deux verres à pied dans lesquels elle vide le reste de vin.

— Non, quand je lui ai dit que tu venais, il est sorti. 

— Oh.. Tu penses qu'il m'évite ?

Je coule un regard curieux dans sa direction en espérant ne pas éveiller des soupçons. Elle arque un sourcil, j'ai la sensation d'être un poisson pris à l'hameçon.

— Pour être franche avec toi, oui. Il avait pas l'air de vouloir te voir. 

— Tant mieux, j'en mourais pas d'envie non plus. 

— Tu lui as parlé de ce qui s'est passé vendredi dernier ? 

— Tu dois sûrement déjà le savoir non ?

À mes yeux, c'est évident, Estelle en sait plus que je ne l'imagine.

— Ouais, Owen m'a raconté récemment ce qui s'est passé chez Aaron. 

Elle s'assoit sur la table, croise ses jambes et mène son verre à ses lèvres sans me lâcher une seule fois du regard. C'est déstabilisant. Parce qu'habituellement, Estelle parle beaucoup et n'hésite pas à me tirer les vers du nez, là, elle attend visiblement que je me lance.

— Et alors ? Je souffle avec cette avidité qu'elle a sûrement perçue.

— Et alors quoi ? Tu pensais qu'il était tombé amoureux de toi ?

Ses paroles me prennent de court. Owen lui aurait-il vraiment conté les détails, ou est-ce encore une de ses suppositions affreusement justes ?

— Non ! Enfin... Pas amoureux, mais pendant un instant, j'ai cru que c'était possible qu'on ressente la même chose, ça n'a rien à voir. Je lui rappelais juste quelqu'un et voilà que c'est censé justifier tous ses actes.

Un bref silence s'ensuit, Estelle pose son verre, atterrit d'un bond sur ses pieds. Elle me fixe de travers, pendant quelques secondes, je perçois la faille qui se creuse dans son regard.

— Mélodie ? Laisse-t-elle échapper, le visage blême.

— Mélodie ? C'est qui Mélodie ?

— C'était la copine d'Owen avant qu'on vienne ici.

Mes muscles se relâchent, je souffle bruyamment, finis mon verre d'un trait. Il m'en faudrait plus.

— Donc en fait, si je suis bien, Owen s'est démené pour que je comprenne qu'on s'était connus y a deux ans et qu'en fait je lui rappelle son ex. Waw. C'est plutôt cool, mais je suis pas sûre d'être plus avancée. Je comprends même rien du tout.

L'ironie dans ma voix ne lui échappe pas, Estelle s'approche, une fossette se creuse au coin de sa joue, similaire à celle de son frère. Au premier abord leur ressemblance n'est pas frappante, ce sont les détails qui jouent, avec le temps, on réalise qu'ils sont nombreux.

— Je vois ce que tu peux ressentir et d'un côté, il y a une logique au raisonnement d'Owen, mais c'est bien plus personnel que tu ne le penses.

— Putain, mais au diable les non-dits, je vais devenir folle Estelle si tu m'en dis pas plus ! Il s'est passé quoi avec Mélodie ? Et c'est quoi le rapport avec moi ?!

Je suis complètement dépassée par les questions qui me boxent le crâne et les cases qui me manquent pour y voir plus clair. Estelle se recule et rit pour détendre l'ambiance. Ça me laisse perplexe, elle recouvre son sérieux, son regard s'accroche au mien et voilà que j'ai la désagréable sensation d'être enveloppée par les ombres qui dansent dans ses yeux.

— T'es sûre de vouloir t'aventurer sur ce terrain-là ?

— Au point où j'en suis, je suis prête à tout si ça peut mettre un minimum d'ordre dans mes idées. Et puis, je suis curieuse de savoir ce qui amène ton frère à agir comme ça.

Je contourne la table, pose mon verre dans l'évier, Estelle farfouille dans un petit placard à côté du frigo et sort un sachet de weed.

— Mouais, viens, on va dans le salon se rouler un joint. Ce que je vais te raconter Octobre, c'est loin d'être à prendre à la légère.

Je hausse les épaules, avec l'ambiance qui se dégage maintenant dans la pièce, j'ai conscience que nous ne sommes pas parties pour une soirée folichonne.

— Je risque d'être traumatisée ? Non, parce que si c'est une sale histoire, on peut la reporter...

Ses yeux me scrutent sans l'ombre d'un sourire. Elle attrape ma main et m'entraîne jusqu'au canapé.

— Écoute, c'est toi qui veux comprendre Owen pour te mettre au clair avec toi-même. Si tu connais pas l'histoire, tu risques de patauger dans la merde encore longtemps et crois-moi, t'en tireras jamais un mot à mon frère de tout ça.

— Ok, alors t'as toute mon attention.

— J'espère bien, parce qu'on reviendra pas là-dessus de sitôt.

Estelle me passe de quoi rouler un buzz le temps de se rafraîchir la mémoire. Elle souffle longuement, me signale qu'elle est prête et dès lors, je n'ai d'yeux que pour elle.

— Bon, à l'époque où on vivait encore chez nos parents à Cleveland, Owen fréquentait un mec qui s'appelait James. En soi, c'était pas vraiment un gentil gars. Son père gérait un trafic de drogue, et quand il s'y est joint, sa relation avec Owen s'est détériorée, c'est là qu'il a rencontré Mélodie. C'était sûrement la plus belle chose qui pouvait lui arriver à ce moment-là, seulement, moi à côté je fréquentais James, et quand ça a dérapé, il a forcément mal digéré la nouvelle.

Estelle s'interrompt, je fronce légèrement les sourcils, lui passe le joint. Dans ma tête, je ne réalise pas encore qu'elle me fait part de leur passé, qu'enfin, j'ai la possibilité de découvrir pleinement qui ils étaient avant que je ne les rencontre pour la première fois.

— James, le pote de ton frère ? Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— Bah, tu sais, j'étais gamine. Mes parents n'étaient jamais là, je connaissais James depuis longtemps et dans le fond, j'aimais bien ce côté dangereux qu'il avait, mais ça n'a pas duré. Il a commencé à me faire vendre de la came, ça a été la goutte de trop. J'ai fini par avoir peur de lui et un jour, il s'est pointé à la maison. Lui et Owen se sont... violemment disputés. On était tous là. Mélodie, Owen, James et moi. Quand elle a voulu s'interposer, Mélodie s'est pris un coup...

Estelle se tait, tire longuement sur le joint et laisse le silence envahir l'espace. Je tente d'assembler les pièces du puzzle et laisse mon esprit imaginer chacune des scènes qu'elle évoque. Mais quand son regard se voile et qu'elle reprend la parole, je me retrouve témoin d'un passé dont j'ignorais tout.

— Au début, Owen a à peine remarqué que c'était lui qui le lui avait foutu. J'ai accompagné Mélodie dans la salle de bains, puis je suis redescendue, James était plus là, les choses allaient se calmer. Du moins... c'est ce que j'ai cru.

Elle sourit amèrement. La douleur qui rugit dans ses yeux m'enserre. Ma cage thoracique se compresse, je suis pendue à ses lèvres comme si tout en dépendait.

— Il s'est passé quoi... ?

— De la merde, voilà ce qui s'est passé. Je me suis occupée d'Owen, je pensais que Mélodie se douchait, y avait l'eau qui coulait, sauf que quand je suis retournée dans la salle de bains... Elle se douchait pas. Elle était juste morte.

— Quoi ?

Estelle serre les dents, j'ignore ce qu'elle ressent, ce que cet événement fait remonter en elle et ce sentiment d'impuissance me brise. Elle me regarde à peine, comme happée par le passé, elle continue à débiter avec amertume.

— J'ai gueulé comme un putois, Owen a rappliqué et on est resté plantés comme des incapables devant son corps. Tu l'aurais vue... Elle avait l'air si paisible dans la baignoire, mais toute cette eau rouge et ce sang sur le sol... Elle venait de se buter et c'était tellement...impensable, tellement.. bref. Vingt minutes plus tôt je lui tenais la main, on montait l'escalier, et là, là c'était juste fini.

Silence. Cette révélation m'écrase. Le visage d'Owen qui me hantait quelques heures plus tôt sans que je parvienne à m'en débarrasser s'impose à moi, mais cette fois, je ne veux pas le voir disparaître. Tout prend un sens maintenant, un sens bien plus profond que je ne l'aurais imaginé.

— Du coup, après ça Owen voulait plus rester et j'allais pas le quitter, donc on a convenu qu'on partirait tous les deux. C'est comme ça qu'on a atterri ici, complètement cassés et que je t'ai rencontrée. Ça m'a permis d'alléger un peu mon sac.

Son sourire refait surface. Elle se penche en avant, s'empare du briquet sur la table pour rallumer le joint qui pend au bout de ses lèvres.

— Et Owen ? Il faisait quoi lui ?

— Il se foutait davantage en l'air. Toute la journée il était dans la maison, il fumait trop, il buvait trop, puis il a fait la rencontre de Nils. Et après celle des joueurs. Y en avait un dont les parents déménageaient, alors ils lui ont proposé de le remplacer. Je crois que c'est à ce moment précis que j'ai perdu le frère avec qui j'avais grandi à Cleveland.

J'esquisse un maigre sourire pour redonner de l'éclat au sien, même si Owen a changé, ils sont restés proches. À présent, j'ai l'impression de mieux comprendre la situation. J'inspire profondément, Estelle me tend le buzz, s'affale davantage sur le canapé et se tourne vers moi.

— Enfin bref, c'est pas une jolie histoire comme tu peux le voir.

— Ouais mais j'étais vraiment loin, très loin, d'imaginer que vous aviez vécu ça. Je peux plus détester Owen, c'est impossible.

Devant ma mine déconfite, Estelle esquisse une moue moqueuse.

— Je te l'ai déjà dit. C'est la même pour tous les joueurs. C'est le rôle qu'ils se sont façonnés qui fait d'eux des connards, dans le fond, c'est juste des putain de mômes qui ont vu leurs rêves se briser.

Dans un sens je sais qu'elle n'a pas tort, mais si je me mets à raisonner de cette façon, on est mal barrées pour mener notre victoire avec les filles.

— Alors ils se permettent de briser ceux des autres. Je réplique avec un petit sourire pour ménager mes propos.

— Je sais que ça justifie pas ce qu'ils font, mais c'est à prendre en compte.

Je me décale sur le rebord du canapé, prends le sachet d'herbes et l'agite sous son nez.

— T'as raison et je tâcherai d'y penser, mais en attendant j'ai besoin d'un autre joint pour digérer tout ça. T'en dis quoi ?

— J'en dis que putain de merde, il nous en faut bien plus qu'un autre !

Je ris, roule le buzz tandis qu'Estelle met un fond musical apaisant sur les enceintes. Je ferme les yeux, repense à Mélodie, à Owen. Et j'ai l'impression de le comprendre. En fin de compte, c'est bien parce que son cœur est brisé qu'il n'éprouve pas de gêne à massacrer celui des autres.

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Holaaaa mes ptits loups  !!

Bon big révélations sur le passé d'Owen, je suis sûre que vous vous attendiez pas à ça, sooo I'm very curious, vous en pensez quoi ?

Je vous embrasse fort et je vous envoie des tonnes de belles énergies pour vibrer avec la viiiiie !!! AMOUR AMOUR AMOUUUUUUUR SUR VOUS !!

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