Chapitre 40

Musique : Alt-J- Matilda.


PDV Jade :

Les filles ont certains avantages contrairement à moi, comme Alaska et son passé avec Aaron qui lui permet de se rapprocher de lui ou encore Sarah qui, pour se venger, n'arrête pas de chercher Théo au point qu'il soit déjà fou d'elle. Si Octobre fait une pause, faute de ne pas savoir comme s'y prendre, de mon côté je suis déterminée, j'en ai envie, pourtant je suis la seule à ne pas avoir fait un pas. C'est limite si je n'en fais pas deux en arrière chaque fois que je jette un regard désespéré vers Matthew, qu'il n'intercepte même pas. Je m'apprête à le regarder, encore. Il est en face de moi, avec son assiette débordante de frites. Même après l'avoir reluqué un an à distance, je ne me lasse toujours pas de la délicatesse de ses traits. Matthew, le souverain de mes fantasmes les plus insensés, pourquoi faut-il qu'il soit comme un mur contre lequel je bute ? D'autant que, plus je m'y cogne, plus j'en deviens folle.

 Il n'y a aucune satanée logique aux sentiments qui m'imprègnent, mais j'aimerais bien qu'il me regarde un peu, juste une fois. Nourrir le rêve fou d'être sa sauveuse est trop ambitieux et pour exemple, j'ai Mathilde qui a cru en cette idylle avec Théo, ne reste qu'à voir où ça l'a menée. Matthew ne se montre pas le moins du monde réceptif alors que je m'arrache presque les yeux à force de le regarder. Pour me remonter le moral même si l'efficacité n'est pas approuvée, je plonge mon attention sur Sarah qui prend des spaghettis avec sa fourchette et les dépose sur le crâne de Théo. Je ris devant son acharnement journalier, sauf que cette fois, il est loin d'être amusé, ses cheveux sont sûrement ce qu'il aime le plus après le jeu.

— Sarah t'abuse ! Putain tu peux pas t'arrêter deux minutes ?!

Le silence s'installe à table comme si nous étions tous attentifs à cette soi-disant dispute. Théo fait mine d'être outré, Sarah le remet à sa place et tout revient à la normale, enfin, à la norme bancale qu'est devenu le normal pour nous.

— Pardon ? C'est moi qui abuse, mais on parle de toi et de ma meilleure amie que t'as menée en bateau ? Et tu voudrais pas, toi, arrêter un peu de jouer la victime dans un jeu où t'incarnes le bourreau ? 

Le plus drôle dans leurs disputes, c'est de voir que Théo finit par fermer sa gueule et se rasseoir, alors que Sarah pourrait cracher comme ça encore longtemps. Il n'y a pas à dire, elle s'en sort drôlement bien. Et puis, elle a jeté son dévolu sur le bon gars, Théo réagit plutôt bien, je n'imagine même pas la réaction de Matthew si je me mettais à lui faire un cirque pareil. J'aurais peut-être dû choisir Owen, il n'a pas l'air d'être trop compliqué à amadouer quand je vois le nombre de fois où il croit mater discrètement Octobre, sans qu'elle daigne le regarder. Elle tourne la tête de droite à gauche, entretient des conversations de tous côtés, mais pas une fois elle n'arrête son regard sur lui. La sonnerie me prend de court, je regarde mon assiette jonchée de quelques cadavres de pâtes, sans que mon estomac puisse en accepter une de plus. Que faire ?

— Je peux finir ? Me demande Nils avec un petit peu de sauce tomate au coin des lèvres, la bouche encore pleine.

J'esquisse un sourire, ravie qu'il se manifeste pendant que les autres débarrassent leur plateau et quittent la table pour retourner en cours. Pour la première fois depuis longtemps, Nils et moi nous retrouvons tous les deux, ce qui me rappelle avec une once de malaise, notre année de seconde avant qu'il ne devienne l'arbitre du Virginity Game. C'était peut-être la dernière année où je pouvais encore sentir le lien qui nous unissait tous les deux depuis l'époque où nos mamans s'étaient mises en tête de nous caser ensemble alors qu'on n'avait même pas dix ans. Un brin de nostalgie vient balayer mon cœur, l'enveloppe avec le parfum des souvenirs d'antan, ceux qui marquent à jamais le premier baiser que j'ai accordé à un garçon. 

— Jadine ? Tu viens ? 

Nils se lève, son plateau dans les mains. Je me redresse, prends mon sac et lui coule un regard embêté.

— Arrête de m'appeler comme ça, tu sais très bien que je préfère Jade.

— Ouais, c'est pour ça que je continuerai de t'appeler Jadine jusqu'à la fin de ma vie. 

Je roule des yeux et lui emboîte le pas, un peu distraite par les pensées qui me viennent. Quand nous quittons le self, je ne trouve toujours rien à dire, alors je fais mine de prendre la direction de mon casier pour me séparer de lui, mais Nils ne me lâche pas.

— Je peux savoir pourquoi tu me suis à la trace ? 

— On a sport ensemble, quitte à être en retard, au moins l'être avec toi.

Un léger sourire le gagne, une fossette se crée sur sa peau chocolat, une ribambelle de souvenirs m'assaille. Dans le cocon de mon silence, je récupère mon sac de sport, puis m'engage dans le couloir en direction du gymnase. Puisque Nils ne dit rien, j'en profite pour le regarder du coin de l'œil, admirer la merveilleuse courbe de son visage et la pulpe de ses lèvres que je ne regrette pas d'avoir effleurée un jour. Avant qu'il ne devienne arbitre, il avait du temps à m'accorder, on était proches depuis longtemps, puis du jour au lendemain, on a cessé tout contact. Enfin, Il a cessé tout contact, à cause d'un simple baiser, du regard des autres et bien sûr, à cause de nous. 

— Tu penses à quoi ? 

Pendant une seconde, j' hésite à lui sortir un mensonge, comme ça on passerait à autre chose, seulement, les mensonges sont de sa trempe, j'ai toujours penché pour l'honnêteté.

— Je pensais à toi, à ce qui s'est passé en seconde...

Il s'arrête de marcher, sa main attrape la mienne. Bref silence entre nous qui accentue mon malaise.

— Tu sais que j'en suis désolé. Tu m'en veux toujours ? 

— Bien sûr que non et tu le sais. Je souffle en reprenant de la distance malgré moi. Je t'en ai voulu sur le coup parce que j'étais pas capable de voir plus loin que mes sentiments, mais Nils, j'allais pas t'en vouloir éternellement d'être ce que tu es. 

Le fait que je ne place pas un mot précis sur, justement, ce que Nils est, semble creuser en lui un gouffre plus grand encore, dans lequel toutes ses peurs viennent se jeter. Il détourne un instant son visage, puis fait volte-face comme si, cette fois, non, il n'allait pas fuir.

— Je le sais bien ça Jade, mais je te parle de ce que j'ai fait. T'avoir embrassée comme ça, j'aurais pas dû, s'excuse-t-il, chose que j'aurais rêvé de l'entendre dire ce jour-là.

Dans mon corps, les sentiments du passé et du présent viennent se mélanger maladroitement, l'agacement prend le dessus. Je n'ai pas envie de rester planter dans ce couloir des heures pour des broutilles sur lesquelles nous sommes déjà revenus maintes fois, seulement, comme toutes ces fois, je me dis que c'est le moment de voir si les choses avancent pour lui et aujourd'hui, je me demande grandement où il en est.

— Écoute, on va pas converser dix ans sur ce qui s'est passé, tu m'as embrassée, je pensais que c'était pour les mêmes raisons que moi, mais au final, je ne regrette pas. Comment aurais-je pu être ton amie si je ne savais même pas la nature de tes sentiments ? Tu vois, ce que je comprends pas, c'est pourquoi tu t'es réfugié dans ce jeu à la con qui ne t'apportera jamais rien, pourquoi tu as choisi ce cul-de-sac plutôt que notre amitié et la possibilité de pouvoir enfin t'assumer tel que tu es ?

Quand j'ai cru être amoureuse de lui en seconde et que les gens autour de nous l'ont su, ils ont commencé à le tanner pour savoir ce qu'il ressentait, à ce moment-là, moi aussi je voulais connaître le fond de sa pensée, seulement quand il m'a embrassé, ce n'était pas pour répondre à mes sentiments, c'était pour faire taire le regard des autres. 

— Je sais que ça n'a aucun sens Jade, du moins je sais de quoi ça a l'air, mais toi la première tu sais bien que je ne fais jamais les choses au hasard. 

Nils esquisse un petit sourire pour me faire saisir le sous-entendu, si je n'ai pas été fichue d'en comprendre un seul en dix ans ça n'a pas changé.

— Ça veut dire quoi ça ? Je suis désolée, mais pour le moment te voir soutenir un jeu cent pour cent hétéro, machiste, et à la limite du viol, je ne vois pas en quoi ça rentre dans tes principes. 

Je commence à m'énerver, il le sent, le sait. Alors que son visage ne reflète aucune émotion, le mien se masque d'incompréhension, je m'apprête à tourner les talons pour entrer dans mon vestiaire, mais ses yeux me demandent d'attendre, juste un peu.

— Justement, ça n'y rentrera jamais. Je veux pas voir ce jeu perdurer encore des années après nous, tu comprends ça Jade ? Je suis prêt à me mettre entre parenthèses pour un temps si ça peut m'aider à en trouver les failles afin de m'insérer dedans. Je veux le voir disparaître autant que toi. 

Soudain, alors que ces mots franchissent le seuil de sa bouche, j'ai l'impression que rien de tout ça n'est arrivé par hasard, comme si Nils projetait cette conversation depuis longtemps, comme s'il s'était contenté d'attendre une occasion pour la saisir. Il a toujours été comme ça, réservé mais entreprenant, discret et pourtant bien trop au courant. Nils a toujours deux longueurs d'avance, mais en le réalisant, j'ai l'impression de le rattraper plus vite qu'il n'imagine.

— Ok. Alors admettons que, comme nous, tu sois contre les joueurs, je peux savoir pourquoi de ton côté ça nécessite justement que tu bafoues tes valeurs ? Dis-moi franchement, tu te caches toujours derrière ta petite amie imaginaire ? C'est ça, te mettre entre parenthèses ? Ne pas t'investir dans ta propre vie et continuer de mentir ?

Je croise les bras devant mon abdomen, analyse sereinement sa réaction, mais il l'encaisse à la légère, il sourit, comme un enfant.

— Je te rappelle que l'idée de la copine à distance, c'est toi qui me l'as trouvée et j'ai bien aimé le principe donc je l'ai gardé. Après Jadine, je te demande pas d'approuver ce que je fais, je t'ai dit, j'ai mes raisons, ne cherche pas plus loin.

Je souffle, me masse les tempes du bout des doigts avant de me jeter à nouveau dans son regard noir qui reflète mon désarroi. 

— Tu vois, c'est à ça que je peux pas me faire Nils. Tu caches tellement de choses. En plus de dix ans d'amitié, tu ne m'as jamais dit que tu aimais les gars, mais si tu avais pensé à me le préciser, ça m'aurait peut-être évité de me prendre la tête les deux dernières années avec des sentiments que tu n'aurais de toute évidence, jamais partagés.

— Je sais tout ça Jade, je le sais et j'en suis désolé, mais comme tu dis, on peut pas revenir sur ce qui s'est passé, alors pourquoi continuer d'en parler encore et encore ?

Ses propos me sidèrent, n'est-ce pas lui qui a amené la conversation à se répéter ? En fin de compte, peut-être qu'il a raison et que rien de tout ça n'a de sens, on devrait juste... On devrait juste poser à terre ce qui nous encombre et repartir à zéro, mais je ne suis pas d'humeur à lui proposer un nouveau départ, je préfère célébrer ouvertement la fin d'une amitié préméditée.

— Je veux m'assurer que tu répéteras pas les mêmes erreurs. Qu'au moins, notre amitié n'ait pas servi à rien. 

Je rejoins mon vestiaire, il ne cherche pas à me retenir cette fois. Quand je suis enfin seule, je me laisse glisser le long de la porte, trop d'informations font la java dans mon cerveau, je suis perdue et pas un poil motivée à rejoindre le gymnase. Cependant, je m'efforce de passer à autre chose, sors de mon sac ma tenue et l'enfile, l'esprit ailleurs. En sortant, je croise le regard de Nils qui ferme la porte de son vestiaire. Un sourire voit le jour sur ses lèvres, je passe devant lui pour atteindre le gymnase et concentre mes pensées sur l'excuse que je donnerai au prof pour mon retard.

— Jade ! Attends-moi. 

Nils me rejoint en deux petites foulées, son regard est à la fois si doux, si sombre que je pourrais oublier tout ce qui s'est passé.

— J'ai une question, votre plan avec les filles... Il s'agit de quoi ? 

Petite étincelle avide qui embrase ses pupilles, alors comme ça il est curieux de savoir ? Je souris délicieusement, puis hausse les épaules l'air de rien.

— Nils, j'ai une question moi aussi. Pourquoi tu fais partie du Virginity Game ? Et je parle de la vraie raison, celle que tu caches derrière toutes tes excuses. 

Il lève les yeux vers le plafond comme pour éviter l'intransigeance de mon regard, puis finit par me faire face, avec une petite moue à laquelle je n'ai jamais su résister. Mais s'il pense que je vais me désister, il fait fausse route. Quand je veux quelque chose, je suis prête à tout.

— C'est l'ultime compromis. Si tu veux ta réponse, il m'en faut une d'abord.

Contre toute attente, il laisse tomber ses remparts rapidement, comme si pour atteindre son but, il était, lui aussi, prêt à tout.

— Je suis amoureux Jade. Complètement fou d'amour, mais pour sauver celui que j'aime, j'ai besoin de toi. J'ai besoin de connaître vos plans, vos stratagèmes.

Ses paroles ont l'effet d'une bombe lâchée sur mon cœur. Nils aime quelqu'un et ce quelqu'un n'est pas moi. C'est un joueur, mais lequel ?

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Et une révélation de plus alala !!! 

Bon, très franchement, selon vous, c'est qui que Nils peut bien aimer ? ;)

Et Jade, peuchère, comment vous la trouver ?

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