Chapitre 39
Musique : Son Lux - Easy
PDV Théo :
Le film commence, je me sens comme un coq en pâte avec Jade à mes côtés. Enfin, si on pouvait omettre la présence de Sarah, qui me suit à la trace et se perche sur l'accoudoir comme un perroquet fidèle à son corsaire. Il me faut redouble d'effort pour ne pas céder à mes bas-instincts qui m'incitent à la pousser par-dessus bord. À cause d'elle et de ses yeux alertent, toujours prêts à guetter le moindre de mes gestes, je ne peux pas tenter les approches que j'envisage avec Jade depuis quelques jours. Mais puisque j'ai déjà couché avec Mathilde, je prends sur moi, après tout, j'ai jusqu'à la fin de l'année pour me la faire. C'est peut-être pour ça qu'en réalité, les railleries de Sarah et sa présence à longueur de temps ne me déplaisent pas tant.
Je la regarde du coin de l'œil, elle est mignonne avec sa bouille d'enfant, le sourire qui se dessine sur ses lèvres pulpeuses devant le film me fait plus d'effet que prévu. C'est peut-être elle que j'aurais dû choisir, le jeu n'en aurait été que plus pimenté. Elle est si proche, son bras frôle le mien et cette proximité me met dans un état d'excitation improbable. Je pourrais essayer de toucher sa main, juste pour voir sa réaction, pour sentir la douceur de sa peau, mais le fait qu'on soit entouré de part et d'autre m'en empêche. Et puis, je risquerais de me faire assaillir d'insultes, Sarah me déteste pour ce que j'ai fait à sa pote. Moi je regrette pas, j'ai pris du plaisir, et je continue à en prendre maintenant qu'elle passe son temps à me chercher. Peut-être qu'un jour, ses piques et ses conneries finiront par me lasser, mais en attendant, je m'y mêle avec plaisir. Ses mimiques m'amusent, elle tressaille devant l'écran, les yeux grands ouverts. Je jette un regard plus intéressé au film pour voir ce qui suscite de telles réactions chez elle, mais même en faisant un effort, je m'avoue bien plus réceptif à son épaule qui touche soudain la mienne.
C'en est presque une torture de l'avoir si proche, de la voir me narguer à tout bout de champ dès qu'elle en a l'occasion sans pouvoir, ne serait-ce qu'une fois, m'approprier ses lèvres, son regard, son corps. Sa présence a fâcheusement tendance à m'obnubiler. Sarah stimule en moi quelque chose de nouveau, comme un jouet dernier cri plus fascinant que les autres. Elle se penche en avant, attrape une poignée de chips tacos et la place dans une assiette avec une bonne dose de guacamole. C'est la seule qui parvient à se détacher du film pour se servir à manger, les autres pourraient crever la bouche ouverte, les yeux exorbités devant l'écran. Qu'est-ce que ce film a de si palpitant ? On n'y voit pas le malicieux regard de Sarah, ni sa délicatesse quand elle s'empiffre en mettant des miettes partout sur son pull et sur le mien au passage.
— C'est quoi ton problème ? T'as la dalle et t'ose pas te servir de peur de grossir barbie ? La bouche à moitié pleine, elle coule un regard blasé dans ma direction.
J'esquisse un sourire en coin, sa réticence profonde envers moi ne lui permet pas de soupçonner un instant toutes les positions dans lesquelles j'ai pu l'imaginer. Je chasse les dernières images qui flottent dans mon esprit et plonge mon doigt dans son guacamole.
— Disons que t'es tellement charmante quand tu manges, même un goret fait pas le poids.
Elle rougit, son regard se détourne du mien, trop vite à mon goût, pour se focaliser à nouveau sur ce putain de film qui me vole la vedette.
Quand Sarah a fini son grignotage, je jette un regard supplémentaire à l'écran, la fin approche. Je commence à réfléchir au moment le plus adéquat pour la faire tomber du canapé et me taper une bonne barre au passage, mais quand je me tourne vers elle, je surprends une larme coulée le long de sa joue. Ses cils légèrement humides papillonnent devant ses yeux pour chasser l'eau qui s'y accumule et je réalise que mon corps réagit de façon étrange à cette scène. Pour la première fois, je me sens embarrassé et complètement intrigué par l'énergumène devant moi qui n'a pas honte d'afficher sa sensibilité. Ça me rappelle quand j'étais gosse, que je pleurais devant des jolies choses qui provoquaient en moi une sensation dont je ne parviens même plus à me souvenir. Je me souviens par contre des baffes que mon père me foutait dans ces moments-là. «J'ai pas engendré une mauviette» qu'il disait. Sur le coup, je comprends pas pourquoi ça émeut une part de moi de voir Sarah comme ça, si c'est une mauviette, c'est sûrement la plus jolie que j'ai vue.
— C'est quoi cette tête de con ?
Elle a troqué ses larmes pour un sourire railleur que je prends plaisir à lui faire ravaler en la poussant sèchement du canapé, timing parfait. C'est fini la séance émotions. Quand Sarah refait surface, sous les regards étonnés et plutôt hilares des autres, je l'entends chuchoter une vulgaire menace qui promet vengeance, comme la plupart du temps. Chose positive maintenant, c'est qu'avec la fin du film, je peux enfin lever mon cul engourdi du canapé pour attraper une assiette. Alaska a pris soin de poser la pile à côté d'elle, bien à portée de personne, histoire de casser les couilles. Avant ça, elle s'est tout de même assurée d'en filer une à chaque fille. J'en attrape une, puis parcours du regard les plats présents sur la table.
Le seul qui n'a pas été touché, c'est le bol de biscuits chinois, pour cause, avec Nils, on a eu l'idée de mettre sur le papier à l'intérieur de chaque gâteau, le nom de quelqu'un pour faire un petit jeu. Chaque prénom est inscrit deux fois, et selon la personne sur qui l'on tombe, on doit se plier à sa volonté. Les filles n'étaient pas très emballées, surtout quand on a précisé que ça ne fonctionnait pas avec deux personnes du même sexe. À priori notre plan est diaboliquement merveilleux, seulement personne ne s'est servi, alors quand je vois une main s'approcher du bol, je ne peux m'empêcher de sourire, de remettre à plus tard les lamentations de mon estomac pour voir de qui il s'agit. Sarah. Je jubile en la voyant prendre ce risque, puis fais mine de m'être levé uniquement pour me dégourdir les jambes et regagne ma place à son plus grand dam.
— Alors sur qui t'es tombée ?!
Mon excitation la fait rouler des yeux.
— Je te rappelle qu'il y en a dix qui ne comportent pas de prénom, alors qui te dit qu'il y en aura un dans celui-là ?
— Je te rappelle que c'est Nils et moi qui avons fait ces gâteaux, donc on a très bien pu mentir.
Elle fait mine de tendre sa main vers le bol pour le reposer, mais j'attrape son bras et le ramène vers nous. Je ne lui laisse même pas le temps de gaspiller sa salive en revendication et encadre sa main de la mienne pour l'aider à faire pression sur le biscuit.
— Mais arrête ! S'il est en miettes je pourrai pas le manger !
Sarah s'agite, je lâche prise en espérant qu'il y ait un bout de papier avec mon prénom dedans. Elle place sa main au-dessus de son assiette, laisse quelques miettes tomber en pluie et m'assassine du regard. J'esquisse un large sourire pour la narguer, puis l'observe attentivement déroulant le papier.
— Alors ? À qui devras-tu te dévouer ce soir ?
J'ai beau en jouer et me moquer d'elle, dans le fond, j'aurais les boules que ce soit quelqu'un d'autre que moi.
— Owen ! Me lance-t-elle avec une fierté qui dégouline de son sourire narquois.
Merde. Je cache ma déception derrière un sourire joueur, même si j'ai triché en inscrivant mon prénom plus de fois que les autres, la chance n'a pas tourné à mon avantage.
— Bah alors qu'est-ce que t'attends pour aller lui lécher les boules ? Je lui lance avec une once de méchanceté que je ne parviens pas à contrôler, mais bon, Sarah a l'habitude qu'on s'envoie des piques.
C'est notre truc non ? Du moins, je pensais que ça l'était, mais son regard noir m'incite à penser le contraire cette fois.
— Pardon ?!
Le rictus qui se dessine sur mes lèvres s'éteint rapidement devant l'outrance de son regard que j'ai soudain envie de dissiper.
— C'est une façon de parler, le prends pas mal...
J'essaie de me justifier sans comprendre pourquoi j'en ressens autant le besoin. C'est comme si je ne voulais pas qu'elle ait de moi l'image d'un vulgaire connard qui la dégoûte, même si c'est déjà le cas. J'ai soudain envie d'être quelqu'un que je ne suis pas, quelqu'un qui pourrait, je ne sais pas, lui sembler appréciable. Alors que j'attends, le cœur prêt à rompre devant son regard transi, Sarah me donne un petit coup de poing inoffensif contre le torse et esquisse une moue à croquer.
— C'est bon, je sais bien, abruti.
Elle sourit dangereusement, froisse le petit bout de papier entre ses doigts, puis le pointe devant mon nez entre son index et son pouce. Je m'en empare, cherche à le déplier en le triturant comme je peux, Sarah en profite pour rejoindre ses copines assisses par terre et leur pique à chacune un petit extrait de leurs plats. Quand je parviens enfin à déchiffrer le prénom écrit, je manque d'avaler ma salive de travers en constatant qu'il ne s'agit pas d'Owen, mais de moi. Je ne sais pas ce qui l'emporte sur le moment, le soulagement ou la colère d'avoir été pris pour un con. Je relève la tête vers Sarah, croise son regard alors qu'elle fourre un cracker dans sa bouche avec un brin de sensualité maîtrisé. Qu'est-ce qu'elle me fait là ?
— Bah Théo, c'est qui que tu regardes comme ça ? Me demande Aaron, son épaule donnant un coup contre la mienne.
Heureusement que les filles sont à peu près toutes agglutinées au même endroit, pour rien au monde je ne voudrais qu'un des gars se mette dans la tête que Sarah me plaît. Déjà qu'elle arrête pas de me sauter dessus ou de me faire des crasses qu'elle trouve «amusantes» au lycée, si en plus j'y mets du mien plus que nécessaire, ça va forcément éveiller des soupçons. Entre Sarah et moi, il n'y a rien. Elle passe ses nerfs sur moi et moi, je me distrais comme je peux en attendant de trouver une ouverture avec Jade.
— Je me disais qu'Alaska est super bonne quand même. Si j'avais trouvé le moyen de l'approcher à la rentrée, c'est pas Owen qui l'aurait pris dans son équipe crois-moi.
Ma réponse n'a pas l'air de l'amuser, je sais qu'il s'est passé quelques broutilles entre eux, déjà en première, Aaron voulait pas qu'on la touche, mais cette année, Owen s'est bien foutu de ses mises en garde.
— Va vraiment falloir que vous vous calmiez avec elle.
Il me jette un regard menaçant. Je hausse les épaules, esquisse un petit sourire, s'il est prêt à se froisser avec nous juste pour des remarques qui touchent à cette fille, c'est qu'un truc lui échappe. Aaron rejoint Nils devant l'ordinateur pour mettre un autre film. Pour moi c'est pas la joie, mais peut-être que pour d'autres il y a des avancées bien cachées dans le noir. Sarah vient reprendre sa place sur l'accoudoir, à croire qu'elle y est bien.
— Alors comme ça c'est pas sur Owen que t'es tombée.
— Mais c'est que tu sais lire en fait.
Son sourire en coin vient littéralement me tordre les tripes et nous voilà repartis comme avant, de façon légère et emmerdante. J'ai déjà du mal à me passer de ses remarques cyniques.
— Ouais bah au lieu de faire la maligne, maintenant je voudrais que tu m'appelles maître à chaque fois que tu me parles, peut-être que ça te calmera.
— Heu, je crois pas non.
— Moi je crois que si, ça fait partie du jeu ma belle.
— Va te faire foutre, maître !
— C'est si bon d'entendre ce mot dans ta bouche.
Sarah plisse légèrement les yeux, fait danser son majeur entre nous deux pour me provoquer.
— Tu sais maître, ça ne m'empêche pas de t'insulter... Petite merde ! Ajoute-t-elle trop près de mon oreille, manquant de m'arracher le tympan.
Cette nana est affreuse. Je ne peux même pas savourer le pouvoir que me confère ce jeu, peu importe ce que je déciderai, elle parviendra à le retourner contre moi, et paradoxalement, c'est ce que j'aime avec elle.
— En fin de compte, je préférerais que tu la fermes un peu, donc tiens si tu arrêtais tout simplement de parler pour le reste de la soirée ?
Sa joie sadique se fait la malle. J'esquisse un immense sourire en bon salaud que je suis et me place plus confortablement sur le canapé.
— Dis-moi Sarah, tu aimes faire des commentaires pendant les films ?
Elle hausse un sourcil avec un air suspicieux, puis décroise ses bras et comme un petit animal farouche, elle laisse quelques secondes s'écouler avant d'ouvrir la bouche.
— Parce que tu...
— Attends, je t'avais pas dit de la fermer ?
Je pose mon doigt sur ses lèvres, Sarah rumine, puis louche dessus et se met à baver sans modération. Je me retire précipitamment, dégoûté par sa salive qui coule le long de mon majeur tandis qu'elle affiche un sourire rayonnant. Je m'efforce de le lui renvoyer, tant que je n'aurai pas une victoire suffisante sur nos provocations minables, je lâcherai pas.
— Bon, c'est pas que je voudrais abuser de ta gentillesse, mais tu pourrais me servir une assiette complète de tout ce qu'il y a sur la table ?
Son visage se décompose, néanmoins, si je l'agaçais autant qu'elle pense me détester, je suis certain qu'elle ne jouerait pas à ce petit jeu avec moi. Contrairement à ce qu'elle peut croire, j'ai plus d'un tour dans mon sac et maintenant qu'elle a pris le risque de danser au milieu de mes filets pour voir ce qu'il en retournait, je ne vais pas la laisser partir.
— Bah allez, j'ai faim.
Quand elle comprend qu'il ne s'agit pas d'une blague, elle tend ses deux mains vers moi et s'acharne à me faire des doigts d'honneur. J'arque un sourcil, souris de plus belle et désigne l'assiette vide que je m'apprêtais à remplir tout à l'heure. Je la regarde se redresser méticuleusement, disposer de la purée de carottes et un peu de taboulé d'un côté de l'assiette, puis de l'autre, une part de gâteau au chocolat avec une touche de chantilly et... un biscuit chinois. Je croise les doigts pour qu'il soit vide, Sarah me tend gentiment mon assiette, mais un truc cloche, elle est trop docile pour ne pas avoir une idée derrière la tête, seulement je le comprends trop tard. Alors que j'attrape l'assiette, elle me la reprend et écrase le biscuit. Un sourire vicieux vient éclairer son visage quand elle prend le bout de papier à l'intérieur.
— Oh... Mais voyez-vous ça.
Elle le tend fièrement devant mes yeux qui n'y croient pas. Bordel, si ça c'est pas le karma !
— Alors, maintenant que nous sommes sur un pied d'égalité et que j'ai comme toi, le droit de t'assaillir de la moindre de mes volontés, je voudrais...
Sarah mène un doigt sous son menton, fait mine de réfléchir. Elle aime faire durer le supplice de l'attente qui me fige dans le canapé en attendant son châtiment.
— Je voudrais que tu manges.
Sur le coup, je laisse échapper un rire mesquin, mais en la voyant fourrer ses doigts dans le gâteau au chocolat et mélanger tous les aliments les uns avec les autres, je m'abstiens de la provoquer.
— Tu veux que je gerbe ? Je l'interroge, partagé entre l'ironie et la répulsion.
— Attends, j'ai pas fini.
En la voyant cracher dans le plat, je réalise que ce jeu est sûrement la pire idée que je pouvais avoir. La prochaine fois, je garderai en tête que les choses peuvent se retourner contre moi et peut-être que je ferai moins le malin. Toute souriante, Sarah reprend place à côté de moi, mais au lieu de s'installer sur l'accoudoir, elle vient déborder de mon côté, une fesse sur ma cuisse, l'autre sur le canapé. Et franchement, je serais très heureux de prêter attention à ce changement sûrement involontaire si la perspective de manger son plat ne prenait pas tant de place dans mon esprit.
— Je peux au moins avoir une fourchette ?
— Non barbie, ce genre de délices, ça se mange avec les mains.
— Très bien, dans ce cas-là...
Je mène une main à la nourriture sous le regard jubilatoire de Sarah et la laisse en suspens, rattrapé par une pensée. Elle a du pouvoir sur moi, mais j'en ai tout autant. Soulagé par ce constat, je crache aussitôt dans le plat et admire la délicieuse grimace qui déforme à présent ses traits.
— Tiens, toi qui parlais d'égalité tout à l'heure, je suppose que tu prendras plaisir à partager ce plat avec moi.
J'esquisse un sourire diablement réjoui qu'elle ne partage pas, mais Sarah est bonne joueuse et je suis bon joueur, c'est peut-être pour ça qu'on fait la paire dans tous ces défis crasseux.
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Holà mes ptits loups !
Héhéhé ne sont-ils pas charmants tous les deux ?
J'attends vos avis sur cette nouveauté avec grand plaisir et grande impatience héhé ! ;)
Plein d'amouuur pour vous, des bisous, de la joie, de la bonne humeur à n'en plus pouvoir pour le début des fêtes qui se préparent !
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