Chapitre 38

Musique : Jose Gonzalez - Stay Alive.


PDV Alaska : 

Alors que les autres s'amusent dans la cuisine et préparent le repas, je suis la seule à devoir me coltiner le choix des films pour ce soir. Je dois en sélectionner au moins cinq pour qu'on puisse voter tous ensemble, sauf qu'après avoir lu neuf résumés différents, j'en ai déjà marre. Je souffle, me réinstalle plus confortablement sur le canapé, puis m'apprête à continuer mes recherches quand je vois Octobre dévaler l'escalier en courant. Elle continue tout droit vers la cuisine, je la perds de vue, puis bien vite, c'est Aaron et Owen qui débarquent dans le salon. Aaron n'hésite pas, quand il marche d'un pas raide, c'est qu'il est bien déterminé à aller vers son but, quant à Owen, il reste planté en bas de l'escalier, comme s'il ne savait pas où se mettre.

— Owen, ramène-toi j'en ai marre de chercher des films toute seule.

Il fait volte-face, surpris de ne me remarquer que maintenant, dans le fond de la pièce, enfoncée dans un canapé surdimensionné.

— Une seconde, je vais me chercher une bière.

Je roule des yeux, suis-je si désespérée pour faire appel à lui ? Quand j'entends du bruit vers la deuxième ouverture de la cuisine, je m'attends à le voir revenir avec sa bière en main en espérant qu'il m'en prenne une au passage, mais je m'abstiens de tout commentaire quand je réalise qu'il s'agit d'Octobre et d'Aaron. Ils échangent des messes basses, avec la pénombre, j'ai l'impression qu'ils sont collés l'un à l'autre. Je me penche sur le côté, abandonnant avec indifférence mes recherches et tends l'oreille dans leur direction sans rien entendre. Alors que je me décourage, Octobre élève la voix.

— Il ne s'est rien passé je t'ai dit, tu vas arrêter avec tes questions ?!

Elle commence à être agacée, seulement ses multiples contacts avec Aaron et sa docilité donnent un étrange contraste à la scène. Quand c'est au tour d'Aaron de répliquer, je ne parviens pas à focaliser mon attention sur sa réponse, pour cause, les bruits de pas d'Owen sont nettement plus prononcés. Je me mords l'intérieur de la joue quand il se laisse lourdement tomber sur le canapé, trop près de moi, et me retiens de ne pas le renvoyer illico dans la cuisine. Si on fait trop de bruit, Octobre et Aaron risquent de nous remarquer, ce n'est pas souhaitable, pour le moment ils sont la seule distraction que j'aie.

— Surtout fais pas de bruit. Je chuchote à l'intention d'Owen qui s'apprêtait à ouvrir grand sa gueule.

Avec la lumière que dégage l'ordinateur, je vois les traits de son visage se contracter. J'encadre ses joues avec nonchalance entre mon pouce et mon index et le fais dériver vers Octobre et Aaron. Seulement, si j'avais su, je crois que j'aurais continué mes recherches bidons pour le film et surtout, je me serais assurée qu'Owen fasse de même.

— Mais je rêve... Laisse-t-il échapper, son souffle venant chatouiller mon oreille.

Je le relâche aussitôt et fixe, médusée, le baiser qu'ils échangent. Mes yeux s'habituent à l'obscurité, je les distingue clairement en train de se bécoter et de nous prendre pour des cons au passage. Sur le coup, je suis tellement irradiée par le sentiment de dégoût qui monte en moi que je ne parviens plus à penser. Quand ils se détachent enfin l'un de l'autre, je reprends mon souffle et je me souviens. Ce n'est pas qu'Octobre tombe sous son charme, ce n'est pas qu'Aaron a une possibilité de la baiser, c'est le marché qu'ils ont passé. Mon attention se reporte sur Owen derrière moi qui vient de s'affaisser contre le dossier du canapé, visiblement atterré. Ce con doit être en train de se faire je ne sais combien de scénarios pour trouver une explication à l'échange auquel on vient d'assister, il me ferait presque pitié avec sa mine assombrie. Aaron passe devant nous, traverse le salon tandis qu'Octobre reste au fond de la pièce, à ruminer des paroles inaudibles, puis elle pivote sur ses talons et gagne la cuisine. À cet instant, c'est comme si Owen et moi étions dans une bulle coupée du monde, je ne tiens certainement pas à rester une seconde de plus avec cette sensation.

— Tu m'as pas pris de bière ?

— Tu m'as pas demandé.
  
— Ouais, bah file-moi ça alors.

Je m'empare de la canette qu'il tient dans sa main, ça le sort de sa pseudo-transe, il se redresse à son tour, plante son regard noir dans le mien comme s'il espérait m'intimider.

— Tu fais quoi là ? Je l'interroge, un sourcil arqué. Je te rappelle que t'as du boulot devant toi, il nous faut trouver cinq films pour faire un vote après.

Je garde mon regard rivé dans le sien sans ciller une seule fois, pas même quand j'amène la canette à ma bouche. La bière coule dans ma gorge, je ferme les yeux, me prépare à descendre le contenu d'un trait.

— Alaska, arrête-toi tout de suite, si tu veux une bière va t'en chercher une.

Owen arbore un ton de voix menaçant, j'ai presque fini le breuvage, mais par gentillesse, je lui laisse l'équivalent d'une gorgée. Je détache la canette de mes lèvres, esquisse un sourire en coin et lui tend avant de lâcher un énorme rot.

— Merci pour la bière et bonne chance pour le reste.

— Comment ça ?

Sur le coup il a l'air perplexe, je me délecterais presque de ce sentiment de domination qui m'étreint. Owen est si petit.

— J'ai d'autres trucs à faire.

Je hausse les épaules, me lève du canapé et m'éloigne de lui malgré ses quelques lamentations. Si j'étais une tierce personne, je pourrais comprendre qu'Owen soit impressionnant avec ses airs d'indifférence remarquables ou ses sourires en coin de séducteur accompli, seulement, si je me mettais entièrement dans la peau de mon personnage, il ne m'arriverait pas à la cheville. Quand je pénètre dans la cuisine, avec les trois quarts de notre groupe accumulé dedans, l'espace est grandement réduit.

— Tu viens mettre la main à la pâte ? M'aborde Sarah qui n'a pas lâché une seconde son sourire depuis qu'on est là.

Elle malaxe une pâte dans un saladier, ses doigts en sont complètement recouverts. J'esquisse une petite grimace, lui fait signe que non. Elle hausse les épaules, puis se tourne vers Lara pour un peu d'aide. De mon côté je me faufile parmi les autres jusqu'à atteindre Octobre qui fait la vaisselle.

— Octobre, t'as une minute ?

Elle se tourne vers moi, semble surprise, puis reporte son attention sur une assiette sale.

— Non, là c'est vraiment pas possible.

— Ok. Tu sais où est Aaron alors ?

Elle coupe l'eau, se mord doucement la lèvre avec un air un peu gêné.

— Est-ce que... Est-ce que tu nous as vus ?

— Oui. Je réponds, plus sèchement que voulu. On en parlera plus tard, je t'avoue que pour une raison qui m'échappe, ça me reste un peu en travers.

— C'est la même pour moi, donc bon. Je suis clairement en train de jongler de merde en merde... Enfin, si tu cherches Aaron, il est dehors.

J'esquisse un sourire pour lui remonter un peu le moral et la serre un bref instant dans mes bras.

— Merci et t'inquiète, la roue finit toujours par tourner.

Quand je me détache d'elle, un éclat ravive la flamme dans son regard, elle sourit à son tour, hoche la tête. Avant qu'une autre personne comme Sarah ne me propose d'aider en cuisine, je pars rapidement. Dehors, le froid me saisit brutalement, j'aurais peut-être dû récupérer ma veste, mais maintenant que je suis là, qu'Aaron est adossé contre le mur à ma droite, je ne veux pas avoir à me défiler.

— Alaska ?

— En chair et en os !

Le silence de la nuit vient nous recouvrir, je réalise combien il est étrange de n'être qu'en sa présence. Peut-être que je pourrais repousser à plus tard finalement...

— Tu veux une clope ? Me demande-t-il en laissant un nuage de fumée s'échapper d'entre ses lèvres.

— Carrément.

Cette proposition m'amène à franchir la limite invisible que je m'étais imposée. Aaron me tend son paquet, je l'attrape, frôle son doigt gelé au passage qui m'irradie d'un frisson.

— Dis-moi... Je pensais ces derniers jours qu'avec le jeu, enfin qu'avec toutes ces contraintes, ce serait peut-être bien qu'on...

Je m'interromps, le reste ne veut pas sortir. Les mots que je m'apprête à prononcer arrachent sur leur passage, des lambeaux de chair. Aaron m'invite à continuer d'un regard, j'esquisse un petit sourire, décidément c'est plus complexe qu'il n'y paraît.

— T'as du feu ?

Il ricane, sors son briquet et exerce une légère pression sur le cran pour faire jaillir une flamme. J'ai toujours eu horreur d'allumer une clope de cette façon, mais je ravale mon cynisme et me penche en avant pour consumer le bout de ma cigarette. Après une brève minute de silence pendant laquelle je n'arrive toujours pas à reprendre là où j'en étais, Aaron a fini sa clope. Petit moment de panique dans ma tête à l'idée qu'il me laisse seule. Il marque un temps d'hésitation, sort une deuxième cigarette de son paquet. Je suppose que c'est positif, dans un sens, peut-être qu'il s'en grille une deuxième pour rester... avec moi. Cette possibilité m'angoisse. Cependant, comme par miracle, les effets de la bière se propagent, la descendre cul sec était très bien pensé. Une certaine montée d'adrénaline se met à circuler dans mon corps, je regarde Aaron du coin de l'œil, tente de me remémorer la dernière fois que nous avons été tous les deux, mais rien ne me vient. Allez Alaska, c'est pas la mer à boire tu peux le faire ! Je souris bêtement dans le vide.

— Qu'est-ce qui te fait sourire comme ça ?

— Rien, c'est juste que d'être là, avec toi, ça me rappelle des souvenirs.

— Des bons souvenirs ? Minaude-t-il, avec cette petite lueur dans le regard, comme s'il craignait d'un instant à l'autre que je me referme.

Je tire longuement sur la clope, prends appui contre le mur.

— Je sais pas...Tu sais, dès fois je me dis que c'est con de laisser ce jeu ou même le passé nous faire obstacle. On pourrait essayer de redevenir amis, si j'ai bonne mémoire, dans le temps on s'entendait bien non ?

Et voilà que ma langue me brûle, ces mensonges que je m'efforce d'envelopper de sincérité m'arrachent la gorge. Mais le dé est lancé, mon masque bien ficelé, je ne laisse transparaître qu'un sourire en coin et une étincelle fiévreuse dans le regard. Mes paroles ont l'air de le mettre mal à l'aise. Il y a de quoi. À moins d'être idiot, Aaron sait bien que je n'ai exprimé à son égard, que de la haine et du mépris pendant plus de deux ans. Ce changement doit lui paraître un tantinet suspect. Mais si je veux mettre le plan en marche de mon côté, il faut que j'efface tous les doutes qui peuvent l'envahir, peu importe le prix à payer.

— Waw. Écoute Alaska, franchement je sais pas... C'est plutôt bizarre que tu me demandes ça maintenant et je suis pas sûr que ce soit une bonne idée dans le fond.

Aaron se détache du mur, s'avance de quelques pas sans but précis, néanmoins je sens que si je ne trouve pas rapidement de quoi faire pencher la balance, je vais le perdre pour de bon. Dans le fond, je n'ai aucune envie de me rapprocher de lui, je devrais être rassurée qu'il soit du même avis, seulement, je ne peux pas perdre de cette façon et finalement, l'avoir connu par le passé m'est utile, qu'il ait changé ou non, je connais ses points faibles.

— Pourquoi ? Est-ce que t'aurais peur de retomber amoureux ?

J'affiche un sourire provocant, cette carte-là conserve visiblement son succès, Aaron pivote d'office dans ma direction. Il revient sur ses pas, s'approche jusqu'à ce que son buste frôle le mien. Je crois qu'on est parti pour un échange électrique comme je les aime.

— Dis pas des conneries comme ça, qu'est-ce que tu cherches au juste ? C'est quoi qui t'intéresse en vrai Alaska ?

Regard intransigeant. Picotement dans la poitrine quand mon nom roule sur sa langue. J'avais oublié à quel point il était bon de sentir cette chaleur dans le corps, cette tension palpable qui me donne envie de laisser mon personnage prendre les commandes et de jouer comme Aaron et moi aimions tant le faire autrefois.

— Je te l'ai déjà dit, je susurre du bout des lèvres, mon regard imbriqué dans le sien comme ça n'a pas été le cas depuis longtemps. Aaron, je veux seulement qu'on reparte sur de nouvelles bases.

— Et si je ne veux pas ?

— Dans ce cas-là que dirais-tu d'un petit pari pour pimenter les choses ?

Étant donné qu'il a passé un marché avec Octobre, je sais qu'il aime toujours autant jouer en dehors des règles. Il a toujours été comme ça, prêt à relever tous les défis, c'est pourquoi je savoure d'avance ma victoire en accentuant la tension dans mon regard pour qu'il détourne le sien.

— Quel genre de pari ?

Cette fois, je le tiens. Il me suffit de placer les bons enjeux et je peux être sûre que notre plan avec les filles fonctionnera. Ce ne sera pas sans conséquence, mais je suis prête à me brûler les doigts, parce que je ne joue plus solo et il est hors de question que je reste cachée plus longtemps derrière ma carapace à encaisser des coups sans riposter.

— Disons que nous allons tous les deux tirer une croix sur le passé pour se concentrer sur ce qui a lieu maintenant. À savoir un défi qui nous amène à redevenir amis, seulement, si tu retombes amoureux de moi, je veux que tu quittes le jeu...

Je laisse le temps à mes paroles de faire leur effet. Quand elles semblent percuter Aaron, il part d'un rire amer, se recule d'un pas.

— Mais qu'est-ce que tu t'imagines Alaska ? Arrête-toi tout de suite de rêver, les choses ne se passent...

— J'ai pas terminé. Je le coupe aussi sec, avec un regard tranchant. Si c'est moi qui perds Aaron et que je retombe amoureuse de toi, je te donnerai ma première fois.

Bref silence qui laisse passer un éclair de contraire ô combien exaltant dans son regard. Je cerne tout le désir qui l'imprègne à cet instant, le trouble qui le saisit et les questionnements qui lui viennent. Mais mon côté sadique n'est pas prêt à lui laisser une once de répit. Je suis trop avide de jouer maintenant que je mène la danse. Sensation et tentation que j'aurais cru laisser derrière moi pour le restant de ma vie.

— Alors Aaron ? On a un deal ?

Ce dernier retrouve pied assez rapidement, c'est à son tour de me montrer son véritable visage. Ses lèvres viennent dessiner ce sourire si parfait que j'aurais voulu garder auprès de moi chaque jour de ma vie, mais je fais abstraction à mes fantasmes traîtres et enfonce mon regard dans le sien où flamboie cette étincelle joueuse qui me fascine et me terrifie à la fois. Cocktail de sensations qui manquerait presque de faire lâcher mon cœur si je ne l'avais pas enseveli dans du ciment pour ne plus jamais sentir sa présence.

— On a un deal.

Puis avec une douceur contrôlée, il pose sa main sur ma joue. Le contact de sa peau contre la mienne m'inonde de souvenirs et de cauchemars dangereusement entremêlés. Quand son visage se rapproche du mien, que ses lèvres effleurent les miennes pour sceller notre pacte, c'est comme si je pouvais à nouveau sentir mon cœur battre, et le monde semble soudain se remettre à tourner.

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BOUM BADABOUM un autre chapitre huhu ! 

Bon, personnellement, j'adooore Alaska et Aaron ! Vous aimez bien leur pari ? ;)

C'est qui vos personnages préférés ?

Je vous embrasse fort mes petits loups avec amouuur, tendresse et joooie ! 

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