Chapitre 27
La sentence est tombée. Lourdement. Je profite du trajet en bus pour remettre mes idées au clair, mais la conversation que j'ai eue avec le principal ne cesse de tournoyer dans mon esprit. Virée. Je suis virée. Pour quatre jours, certes, mais cela ne change rien au fait. À cause des conneries de Sarah dont je ne saisis toujours pas le sens, nous sommes exclues toutes les deux jusqu'à jeudi prochain. Jusque-là, c'est une chose qui ne m'était jamais arrivée. Et en étant sous la garde de ma mère, je ne peux imaginer comment les choses vont se dérouler. C'est avec une boule au ventre impossible à dissiper que je rentre à la maison, angoissée à l'idée de la trouver dans le salon, prévenue par le lycée. Avant d'ouvrir la porte d'entrée, je lève les yeux au ciel, inspire profondément. Je le sens mal. Le doute m'assaille, mon mental en profite pour m'inonder d'émotions négatives.
— Maman ?
J'espère ne pas recevoir de réponse, mais après un bref silence, je l'entends m'appeler depuis l'étage. Des bruits de pas précipités se font entendre, elle débarque devant moi, le visage fermé. Je soupire, me prépare à recevoir un sermon, mais rien ne se passe. Je m'aventure dans le salon, pose mes affaires au sol.
— J'ai reçu un appel de ton lycée dans l'après-midi.
— Et ?
— Et alors ton principal m'a dit que tu étais exclue jusqu'à jeudi prochain. Tu te rends compte des conséquences ?
Je reste physiquement de marbre, presque transparente. Même si elle pose une question, je sais que mon avis et mes pensées lui importent peu. Si seulement elle pouvait voir à quel point cette sanction me semble minime à côté de l'horreur que me réserve le Virginity Game sur la durée d'une année complète, mais si j'énonçais ne serait-ce qu'un mot à ce sujet, je fondrais très certainement en larmes.
— Octobre, j'espère que tu réalises ce qui se passe. Je ne sais pas quelle idée t'a traversé l'esprit, je ne veux même pas le savoir. Bavarder en classe avec une amie ou encore être légèrement distraite pendant un cours c'est une chose, mais le perturber en lançant des boules de papier en feu, c'est grave ! Tu réalises ce qui aurait pu se passer si quelqu'un avait été blessé ? Ce n'est pas une simple sanction que tu aurais eue !
Elle commence à s'énerver, je ferme les yeux, fais abstraction de la colère qui monte peu à peu. Si je m'emporte, cette conversation risque de dégénérer pour rien, je ne tiens pas à voir perdurer cette leçon de morale déjà bien inutile.
— Je sais tout ça, mais personne n'a été blessé, donc évoquer le pire n'est pas nécessaire. Je sais pertinemment que j'ai fait une connerie, maintenant c'est passé alors je vois pas l'utilité de retourner le couteau dans la plaie.
Au fur et à mesure que je m'exprime, je prends conscience que ma jambe tremble et qu'au fond, peu importe la sincérité de mes réponses, ce n'est pas ce que ma mère veut entendre. Je pourrais lui faire part de la vraie version à laquelle j'ai assisté, à savoir, être à moitié victime et complice de l'idée de Sarah, mais on y serait encore jusqu'à minuit.
— Tu ne vois pas l'utilité ? Commence-t-elle, avec sa voix qui monte en crescendo, m'amenant à m'enfoncer les ongles dans la paume pour refréner les sentiments qui me dévorent. Moi je la vois parfaitement, parce que si tu continues sur cette longueur-là il est hors de question que je te garde sous mon toit. J'estime que jusque-là j'ai été plutôt gentille avec toi, je te laisse faire ta vie, je te donne de la liberté et voilà le résultat ? Alors que tu es en cours depuis seulement trois semaines ? J'appelle clairement ça de l'abus de confiance...
Les mots sortent de sa bouche les uns à la suite des autres comme du vomi acide dont les éclaboussures brûlent ma peau à vif. Je fais mine de la regarder, mais mes yeux fixent le vide, je me focalise sur le silence qui règne à l'intérieur de moi, tandis que sa voix s'élève comme pour transpercer les couches de protection sonore que j'établis entre nous. La rage me consume, j'ai tellement de douleur à lui cracher au visage, elle qui a passé toute sa vie à commettre des erreurs avec moi, il a suffi que j'en fasse une seule pour qu'elle sorte de ses gonds et m'afflige de tous les maux. À croire que je suis à l'origine du bordel qu'il y a dans le monde.
Quand je me reconnecte à la réalité, son discours a bien avancé. À présent, elle en est aux menaces de me renvoyer chez mon père si je lui donne du fil à retordre comme aujourd'hui, alors qu'en soi, ce problème ne la concerne pas vraiment. Dans le désordre de ses éclats de voix, je comprends que je serai punie tout le week-end, afin de prendre mes responsabilités. Quelle connerie. Au moins cela m'évite la prise de tête continue et la lutte que mènent mes émotions pour les beaux yeux d'Owen. Ça aussi, quelle belle connerie, aussi obsolète que les reproches de ma mère qui s'entassent les uns sur les autres avec pour but de me faire ployer. Mais je ne flanche pas. Faire abstraction est ma meilleure défense.
— Octobre ! Octobre ! Tu as bien compris ?!
De quoi parlait-elle déjà ? La fin de son sermon m'a totalement échappé. Remarque, si je me contente de hocher la tête, peut-être qu'elle me laissera tranquille.
— Arrête de hocher la tête comme une idiote ! T'as perdu ta langue ? Tu n'es pas capable d'articuler la moindre excuse ?
— J'ai compris ! Je m'exclame avec espoir qu'elle s'arrête immédiatement d'énoncer le genre de propos qu'elle tient.
Est-elle capable de voir à quel point ses mots me blessent ? Elle me bouscule verbalement, si fort, que je ne regrette pas d'avoir passé sous silence les trois quarts de ses remontrances.
— J'ai compris... Et je peux t'assurer que ça n'arrivera plus.
— Ça j'y compte bien ! Maintenant va dans ta chambre, je t'ai assez vue.
Sur ces paroles, je ne me fais pas prier, même si dans le fond, je crie à l'hypocrisie, elle qui n'est jamais présente, sauf pour m'engueuler et encore, je la trouve sacrément culottée d'oser dire qu'elle m'a «assez vue». Je récupère mon sac, monte l'escalier en courant, tandis que dans ma tête, tous les reproches que je nourris à son égard, toute ma colère, mon mépris, absolument tout vient se bousculer, s'emmêler et l'envie de hurler mon incompréhension ronge chaque parcelle de mon corps. Je hais ma mère du plus profond de mon être. C'est si facile de prétendre être un parent responsable, alors qu'elle n'a même pas su m'assumer à la naissance. Je la déteste, je la déteste, je la déteste, mais surtout, je me déteste de ne pas pouvoir penser réellement ce que je dis. Peu importe à quel point je le souhaite, ce n'est pas ma haine envers ma mère qui m'attriste, mais bien l'absence de cet amour et de cette complicité que je voudrais et dont chaque parole nous éloigne.
PDV Alaska :
Depuis vendredi, il n'a pas arrêté de pleuvoir et les joueurs, étant en manque crucial d'originalité, nous ont fait venir au domicile de Théo. Ses parents étant au match de son frère, nous nous retrouvons seuls. Pour une raison qui m'échappe et dont je me fous un peu bien sûr, Théo a refusé de nous faire visiter la maison. Cependant, mes yeux ne me trompent pas. Alors qu'on doit attendre sagement dans le salon que tout le monde arrive, il monte à l'étage avec une main bien ancrée dans celle de Mathilde. Le comportement de cette fille me dépasse et je reste intransigeante sur ce niveau-là, si elle choisit de céder aux avances de son joueur, c'est qu'au fond, ses convictions sont fondées sur du vent. Avec ce que la vie m'a envoyé comme point d'appui, s'il y a une chose que j'ai retenue, c'est que la confiance ne s'accorde pas à n'importe qui, Mathilde finira tôt ou tard par en faire l'expérience d'elle-même.
— Bon, je viens d'apprendre que Sarah et Octobre ne pourraient pas venir, elles sont punies par leurs parents. Déclare Nils après son coup de fil.
— Y en a qui sont chanceuses, souffle Jade à côté de moi, suffisamment fort pour que les joueurs l'entendent.
Je souris à sa remarque. Si elle n'était pas là, je serais bien plus tendue. Entre la bande de Lissa qui a le feu au cul et la nôtre dont les membres manquent cruellement aujourd'hui, j'ai besoin de temps pour me mettre à l'aise. Jade l'a compris et j'aime le détachement dont elle fait preuve. Si en apparence je suis capable d'être glaciale et distante avec le reste du monde, ce n'est qu'une vulgaire protection, un masque dont je ne peux me séparer. Enfin, je pourrais peut-être, si j'avais la force de me pencher sur mes blessures.
— Al, ça va ? On dirait que t'as vu un fantôme.
Aaron se penche vers moi, il est trop près, son souffle empiète sur mon espace vital.
— Mêle-toi de ton cul.
— Calme-toi, j'ai rien fait de mal.
Il me lance un regard fugace comme s'il réalisait que le silence aurait été une meilleure réponse. Jusqu'à présent, c'est ce qu'il faisait. M'ignorer, m'éviter, ne pas relever mes remarques, c'était une très bonne initiative de sa part. Si seulement il était capable de s'y tenir.
— Te mentir à toi-même c'est une chose Aaron, mais avec moi, abstiens-toi. Sur ce, je pense qu'on a échangé assez de mots tous les deux pour le restant de l'année.
Il soupire, mais hoche la tête. Si par le passé j'ai pu tolérer de le croiser dans les couloirs ou même en classe parce que nous n'étions pas contraints de nous faire réellement face, aujourd'hui, je réalise combien je déteste mon implication dans ce jeu. Et la sienne par la même occasion. Aaron s'éloigne, je respire enfin. Théo et Mathilde sont revenus, ils sont assis par terre, côte à côte, leurs épaules collées. Jade m'échange un regard entendu quant au spectacle qui a lieu sous nos yeux, puis Nils nous invite à prendre place sur le tapis. Aujourd'hui, c'est jeux de société.
Habituellement, j'adore en faire avec ma sœur et ma mère, mais pour le coup, je cache ma joie. Si je laissais transparaître ne serait-ce qu'un rayon de chaleur, les joueurs y verraient immédiatement une faille par laquelle se faufiler. Comme Aaron a pu le faire par le passé. J'étouffe cette pensée de peur que mes tourments prennent le dessus sur la situation. Je suis chez Théo, nous allons jouer au loup-garou, tout va bien. Je me répète ce constat plusieurs fois de suite, les souvenirs se diluent dans ma mémoire. Jade pose sa main sur la mienne, elle me couve d'un regard affectueux, comme si elle pressentait mon malaise. Si, en temps normal, ce geste n'aurait fait qu'accroître mon angoisse, je suis surprise de l'apaisement qu'il suscite en moi à cet instant.
— ... Doucement, le village s'endort. Murmure Nils, debout au milieu de notre cercle.
Alors qu'il énonce le réveil des personnages au fur et à mesure de la partie, quand nous sommes en droit de rouvrir les yeux pour apprendre que Lara a été tuée par les loups-garous, je coule un regard blasé vers le gloussement qui s'échappe de la gorge de Lissa. Le dégoût me gagne quand je la vois s'abandonner avec facilité aux bras d'Owen, comme si elle aimait se laisser faire. Est-elle en si grand manque d'affection qu'elle trouve rassurant de se blottir dans les bras d'un gars qui n'a que faire de ce qu'elle représente vraiment ? La voir appuyer sa joue sur son épaule avec un sourire béat comme si auprès de lui elle pensait ressentir l'amour me laisse incrédule. Impuissante, je contemple l'étincelle avide d'un désir pourtant vide et creux dans les yeux d'Owen, qui la cajole, caresse son bras avec une attention fausse qui m'irradie de l'intérieur. Ce n'est pourtant pas moi qu'il touche, mais c'est tout comme. Imaginer que je suis son pion, que lorsqu'il en aura fini avec elle il se jettera sur moi me donne envie de vomir, là, maintenant.
Cependant, le jeu continue, les votes se préparent afin de définir qui sera tué et une grande majorité me pointe du doigt le moment venu. Je révèle mon identité, finalement soulagée de ne pas être de la partie plus longtemps. Nils met en route le prochain tour, tout le monde ferme les yeux. Owen et Lissa sont collés l'un à l'autre, quand je vois qu'ils sont tous deux loups-garous, je comprends que le contact ne gêne pas leur rôle. Que ce soit dans le jeu ou dans celui de la vraie vie d'ailleurs. Ensuite, bien que Mathilde cherche à se montrer plus discrète avec Théo, le bras de ce dernier derrière son dos ne m'échappe pas. Après les avoir observés plus que nécessaire, mon regard en vient inévitablement à se poser sur Aaron.
Sa complicité avec Charlie est plus subtile, mais le béguin qu'elle a pour lui me saute aux yeux. Fidèle à lui-même, Aaron ne le voit pas, il s'en fout bien, tout comme il se fout de tout depuis quelques années. Mon cœur se serre aussitôt quand je conçois à quel point il est complexe de nier ou même de repousser les pensées qui m'assaillent dès que je le regarde. C'est comme si ma volonté n'était plus. Je suis envahie par les sentiments du passé, par les remords et l'amertume. Aaron. Son prénom suffit à éveiller en moi de douloureusement sensations. Il faudrait que j'accepte ce qui s'est produit. Il faudrait que j'accepte qu'Aaron ait laissé une trace sur les plaies béantes qui strient mon cœur. Mais je n'y parviens pas.
— ... Le jour se lève, vous pouvez ouvrir les yeux.
La voix de Nils atteint tout juste mes tympans, mais lorsque le regard d'Aaron surprend le mien et ne le lâche pas, je comprends que je ne pourrai pas le fuir indéfiniment. Peu importe combien je serai froide, intransigeante, amère, il saura toujours ce que je cache au fond. Il sait. Et cette pensée me tue parce qu'à présent, je ne peux plus m'en éloigner. Je suis coincée entre les murs invisibles que le Virginity Game bâtis autour de moi et il n'y a plus aucune échappatoire.
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Bieeeeen le bonjour mes ptits louups !
Ouhouh, on se rapproche doucement des pensées qu'abrite notre téméraire Alaska !
Vous en pensez quoi ?
Et Octobre avec sa mère ? La pauvre chou !^^
Avec tout mon amour, je vous envoie des milliers de bisouuus !
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