Chapitre 26
Musique: Odezenne- Au Baccara
PDV Sarah :
Cette semaine est jusque-là, un véritable désastre. Mathilde ne cesse de m'éviter. Si à chaque repas on s'asseyait à côté pour se plaindre des joueurs, aujourd'hui, ce souvenir se mélange aux autres jusqu'à s'y perdre. Elle est différente depuis quelque temps, et ça, en plus des sentiments qui suintent entre elle et Théo, je n'arrive pas à l'accepter. je les regarde, sans lâcher un mot, mais rien à faire, je ne me résous pas à les voir côte à côte, tantôt riant, tantôt se faisant des messes basses pathétiques qui n'ont rien de vrai. Il est possible que je me fasse des idées. Je voudrais y croire, désespérément, pourtant, cette complicité feinte me saute aux yeux. Et comme si mes soucis ne suffisaient pas, Matthew à côté de moi gesticule sur sa chaise, se joint aux rires d'une conversation dont il profite pour passer un bras autour de mes épaules.
Je lui coule un regard sombre, comme un tentacule lourd et collant, son bras se déroule et revient à sa place le long de son corps. Je laisse quelques secondes s'épancher avant de revenir à ma précédente préoccupation. La proximité entre Théo et Mathilde est flagrante, je crains qu'une chose entre eux ne se passe à la dérobée de nos regards. Pour en avoir le cœur net, je fais discrètement tomber ma fourchette par terre, enfin, pas si discrètement, puisque Matthew se tourne vers moi, esquisse un sourire qui en dit long sur sa pensée. Avant qu'il ne songe à ramasser mon couvert en signe de galanterie pour que je le gratifie d'une quelconque gentillesse, je m'abaisse plus que nécessaire sous la table et jette un coup d'œil sur ce qui se trame entre Mathilde et Théo. Je suis presque déçue de constater que mon imagination ne me joue pas des tours.
Il se passe quelque chose entre eux. Quelque chose qui amène mon amie à le fréquenter lui plutôt que moi. Quand je me redresse sur ma chaise, j'ai encore dans la tête, l'image de leurs doigts entrelacés. Je ne comprends pas. Je n'arrive pas à me souvenir du moment où tout a dérapé entre nous. Du moins, celui où elle a décidé de ne plus me faire part des événements de sa vie. Si je savais, ne serait-ce qu'une petite chose de ce qu'elle a vécu avec Théo, je pourrais la soutenir, l'aider à porter ces sentiments tumultueux qui la contraignent au silence. Pendant un court laps de temps, mes réflexions prennent le dessus et je ne vois plus le monde grouillant autour de moi. Il n'y a que du vide, puis un grincement de chaises et l'instant d'après, Mathilde s'éloigne, accompagnée de Théo. Ils ne se quittent plus depuis lundi, avant ce fameux week-end au lac, elle n'aurait jamais toléré ça. Je laisse dériver mon regard vers Alaska, assise le plus à l'écart. Elle semble plongée dans ses pensées sans grand enthousiasme.
Je ne suis pas la seule à ressentir la présence des joueurs comme un poids dans nos vies et ça me rassure, mais l'espoir qui m'illumine perd de son éclat quand mes yeux dévient vers Lissa, Charlie et Lara qui se marrent comme des hystériques pour je ne sais quelle raison avec Aaron et Owen. Matthew se joint de temps à autre à leur échange quand il n'est pas occupé à parler avec Nils. Pour le final, je garde Octobre. Contrairement à Mathilde, son rapprochement avec Owen ne semble pas obstruer tous ses sens. En même temps, il vaut mieux pour elle puisqu'elle n'est pas son pion. Mais je discerne dans les regards qu'elle lui jette, l'étincelle avide dans ses yeux. Elle le veut. Constater cela me remonte davantage contre les joueurs. Nous n'allons pas tomber comme des mouches les unes après les autres pour leurs beaux yeux. J'esquisse un sourire quand Jade lui fait la réflexion qu'elle a de la bave au coin des lèvres. Elle aussi a remarqué la façon dont Octobre reluque Owen.
— Je vais aller fumer avant que ça sonne, quelqu'un vient avec moi ?
Owen coince une clope entre ses lèvres, Octobre est la première à réagir.
— Moi je viens, j'attendais justement que quelqu'un se manifeste.
Et en moins d'une minute, les voilà partis avec leur plateau. Alors qu'ils atteignent la queue pour poser les déchets et le reste, Owen et Octobre se cherchent des noises comme deux gosses. Finalement, leur complicité ne passe pas inaperçue, dès que mon regard revient sur la table, je croise celui de Lissa, empli de mépris et de froideur. D'un mouvement de tête elle me fait signe qu'il faut qu'on parle. Je sais d'ores et déjà de quoi il s'agit. En la croisant lundi, j'ai eu l'idée d'élaborer un petit stratagème afin qu'elle se rapproche d'Owen pour qu'il lâche Octobre, mais la situation avec Mathilde m'a complètement accaparée jusque-là. Cependant, il faut que je me rende à l'évidence, si je veux éviter un concubinage supplémentaire, je dois m'activer maintenant. Avant qu'Owen n'ait complètement pris Octobre au piège de ses viles griffes séductrices. D'ailleurs, j'ai déjà une petite idée en tête qui ne va certainement pas lui plaire, mais bientôt, si les choses se mettent en place comme prévu, Octobre verra d'elle-même le mensonge dans lequel elle s'enlise.
PDV Octobre :
Ma cigarette est finie, Owen tire toujours sur la sienne quand la sonnerie retentit. Je l'entends à peine, trop perdue dans mes pensées. Malgré tous les doutes, j'ai l'impression qu'il m'apprécie, pas seulement pour les échanges intenses qu'on peut avoir à la bibliothèque ou dans le gymnase. Sous son regard brûlant d'attente, je sens que je ne suis pas simplement une pièce de collection, du moins, je ne peux pas croire que la sincérité de ses gestes, de ses paroles, ne soit que du vent. Et je suis plutôt mal barrée si mes sentiments sont responsables de la vision que j'ai de lui à présent. Enfin, les minutes filent, je n'ai pas bougé d'un cil, je suis là à contempler Owen comme une midinette incapable d'émettre un jugement sensé à son égard. Fatiguée de mon comportement, j'entreprends de m'éloigner, consciente du cours auquel je devrais déjà être.
— Octobre ?
Je fais volte-face, trop vite à mon goût, quand mon prénom sort de sa bouche avec une délicatesse troublante.
— On se voit ce soir ?
Je souffle. Il n'y a rien à faire, le cercle vicieux dans lequel je m'enlise avec lui finira par avoir ma peau. Je hoche la tête, que je refuse ou que j'accepte, il viendra quand même, pour mon plus grand bonheur, comme pour mon plus grand malheur. Je lui tourne le dos, trottine jusqu'au deuxième étage où je vois Lissa et Sarah discuter avant qu'elles s'engouffrent dans la salle. Intriguée, je me dépêche de prendre place au fond de la classe à côté de Sarah. Une fois appuyée confortablement contre le mur, je lui jette un regard en biais qu'elle grille aussitôt.
— Qu'est-ce qui t'arrive ?
S'il y a une chose que j'apprécie particulièrement avec elle, c'est sa façon de comprendre rapidement quand quelque chose cloche.
— Il se passe un truc avec Lissa ? Tu l'as convaincue de se joindre à nous ?
— Hein ? Non, pas du tout, elle compte bien rester sur ses positions.
Je souris, le pourquoi du comment elle parlait avec Lissa m'importe peu. Je regarde cette dernière assise deux rangs devant nous, puis dévie vers la fenêtre, plutôt que de m'imaginer dehors, libre de mes mouvements, mon esprit dérive, me plonge dans les tréfonds de ma mémoire, là où je peux voir, encore et encore, à ma guise, tous les instants passés avec Owen. Du début jusqu'à la fin, de la fin au début, dans n'importe quel ordre, les souvenirs remontent, m'enveloppent délicieusement, sublimés par les idéalisations que je nourris secrètement. Mon fantasme est de courte durée. La bouche de Sarah émet des sons que je ne perçois pas.
— Pardon ?
— Je me demandais à quoi tu peux bien penser.
— Ah heu... Tu sais, enfin, je pensais à rien de spécial... Je suis juste un peu à l'ouest quoi.
Je transpire le mensonge, Sarah n'est pas dupe une seconde. C'est certain, elle sait. Elle sait plus de choses que je ne peux imaginer même si elle fait mine du contraire. Par la suite, il m'est impossible de retourner dans la chaleur des quelques souvenirs éparpillés dans ma tête. Je me sens épiée, que ce soit par Sarah ou par ma conscience qui ne cesse de désapprouver mes actions. J'essaie de suivre le cours, M. Muller est barbant, à peine capable de stimuler l'intérêt d'une mouche. Ce n'est pas surprenant que mon esprit cherche une nouvelle distraction, quelque chose de plus intéressant, comme le grabuge que Sarah fait à côté de moi. D'un regard inquisiteur, j'observe l'activité à laquelle elle s'adonne, puis la curiosité me pique au vif, je lui demande ce qu'elle trafique.
— Ahah, je nous prépare un jeu marrant tu vas voir. Enfin, ça va dépendre pour qui bien sûr.
Elle arque un sourcil, puis d'un haussement d'épaules elle se convainc que ce ne sera pas non plus dramatique. Je ne suis pas sûre de tout comprendre, mais vu que je n'ai rien à faire, je prends plaisir à lui proposer mon aide, ça l'amuse. Je commence par former des boules de papier et les dispose sur la table. Une fois que la quantité lui paraît suffisante, Sarah m'annonce que c'est prêt. J'attends qu'elle m'explique la suite, mais la voyant sortir un briquet, l'angoisse émerge dans mon ventre.
— Je peux savoir en quoi consiste vraiment ton jeu là ?
— T'inquiète, il n'y a rien de compliqué. T'as juste à tenir ça, chuchote-t-elle en me tendant une boule de papier, et tu la lances à mon signal.
Le sens de ses paroles ne me percute qu'au moment où je la vois mettre le feu à nos boulettes. À partir de là, tout se déroule très vite, Sarah me donne un coup de coude, jette son papier en flammes la première et crie.
— PLUUUIE DE FEU !
Je me joins à son mouvement, seulement parce que la crainte qu'engendre cette action inattendue prend le dessus et je ne tiens pas à me brûler les doigts. Devant les regards médusés de la classe, l'une des boules de papier atterrit sur le bureau de Lissa qui se lève brusquement en criant. Cette dernière fait volte-face, en moins d'une seconde je reçois une averse d'insultes et des accusations diverses de sa part certifiant que mon geste était volontairement programmé pour la blesser. Sur le coup, toutes les informations concernant la situation m'empêchent de raisonner correctement. Paniquée, je tourne la tête vers Sarah qui reste étrangement calme, comme si en soi, comme elle me l'avait dit, son jeu était drôle, mais pas pour tous. Et à cet instant, certainement pas pour moi. M. Muller ordonne immédiatement le silence, dans son regard passe une étincelle de rage. D'une démarche sèche et rapide, il arrive à notre niveau, nous dévisage avec mépris.
— Mesdemoiselles, vous êtes priées de sortir immédiatement de ce cours.
— Monsieur...
Je m'apprête à nous justifier quand son doigt se pointe dans ma direction.
— Mademoiselle Dellman, je me fous des explications que vous pouvez me fournir. Vous en ferez part au proviseur quand vous serez dans son bureau, pour le moment la seule chose que je vous demande c'est de prendre vos affaires sur le champ et de sortir en silence.
Chacun des mots qu'il prononce est craché avec dédain, pourtant, il joue sur la forme et parvient à maintenir un discours droit. Quelques bruits de fond se manifestent, des chuchotements, tandis que Sarah et moi rangeons nos affaires. Elle s'engage la première vers le bureau du prof, il lui donne un petit bout de papier sur lequel il griffonne un justificatif d'exclusion. Quand il nous le tend, il se plaît à ajouter une petite remarque dont on se serait passée :
— Celui-là, prenez soin de ne pas le brûler.
Quelques rires nerveux fusent au travers de la classe, des rires qui comblent le vide de notre départ. Les joues rouges, je me dirige vers la sortie, dès que Sarah et moi sommes seules dans le couloir, je l'entends longuement soupirer.
— Bordel, j'ai cru pendant un instant que ce serait pire, mais finalement ça s'est plutôt bien passé.
— Pardon ? Qu'est-ce qui s'est bien passé au juste ? On vient d'être virées de cours et le pire est devant nous ! Putain ! J'ai déjà assez de problèmes comme ça, qu'est-ce que t'avais besoin qu'on se rajoute une merde pareille ?!
Pourquoi Sarah ne m'a pas dit plus tôt en quoi consistait son jeu à la con ? Mes paroles ne semblent pas l'ébranler un poil. Elle reste parfaitement sereine, à croire que c'est une chose banale qui nous arrive, du moins, la routine quoi. Je n'imagine même pas la réaction de ma mère quand elle saura.
— Désolée Octobre, j'aurais bien aimé te prévenir de ce qu'il en coûtait, mais tu n'aurais pas voulu qu'on le fasse. Or, sans toi, ça n'aurait pas eu le même intérêt. Je sais que c'est pas évident à saisir ce qui se passe, mais je l'ai fait pour te sauver la mise, après, que tu m'en veuilles ou que tu me détestes, je peux l'encaisser, mais j'espère que quand ce sera fini, tu verras par toi-même l'intérêt que cette action suscitait réellement.
Sarah me déballe tout d'une traite comme si elle s'y était préparée. Ce qui signifie que je n'ai été qu'un pion dans cette manœuvre, à l'instar de ce que je suis dans le jeu. Cette pensée m'aveugle, je n'arrive à prêter attention qu'au sentiment de trahison qui monte en moi et dont je ne parviens pas à me justifier. Sans adresser un regard à Sarah, puisque de toute évidence je n'ai rien à répondre, je m'enfonce dans le couloir, en direction du bureau du principal, là où notre sort sera décidé.
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Saaaaalut mes ptits loups !!!
Alors le plan de Sarah, malin selon vous ? ;)
Avec amouuuur, tendresse, foliie, gratitude, je vous embrasse fort fort fort et je vous dis à très vite pour la suite !
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