Chapitre 13

Musique : Sigala, Paloma Faith- Lullaby


                                                                                        Octobre :


Estelle pousse un petit cri de joie, à croire qu'elle a fait ça toute sa vie et mon rire finit par se joindre au sien.

— Franchement, la gymnastique dès le lever du lit a toujours été de loin l'un de mes réveils préférés ! S'enthousiasme-t-elle avec une exagération hilarante.

Elle paraît tellement détendue que j'en oublie presque le pourquoi du comment nous sommes dans cette situation, mais maintenant que j'y pense, je m'interroge sur la suite.

— Heu... Et maintenant, t'as une idée de ce qu'on fait ?

— Moi j'aurais été partante pour faire un petit tour, mais ce serait pas mal que tu trouves quelque chose à te mettre sur le dos.

Estelle masque difficilement son sourire, je dois dire en regardant mes jambes nues, que cette non-tenue était complètement passée au second plan dans ma tête. J'esquisse une moue gênée, ses sourcils se froncent légèrement comme si elle réfléchissait de manière plus approfondie. Alors que je m'attends sincèrement à ce qu'elle prenne la parole ou que, comme moi, elle pense m'avoir déjà rencontrée auparavant, elle commence à retirer son tee-shirt, puis me le tend avec un grand sourire.

— Tu peux le mettre, comme ça je porte le bas, tu portes le haut.

Je ris, l'enfile, puis la gratifie d'un sourire, on a l'air malignes comme ça.

— Bon, je connais pas du tout le coin alors j'espère que t'aimes l'exploration.

— Bien sûr que oui !

Estelle s'engage en direction du lac, je lui emboîte le pas, à présent peu soucieuse des problèmes qui m'attendent au retour. Mes yeux suivent l'ondulation de ses cheveux aux couleurs multiples qui évoquent l'arc-en-ciel, c'est original, c'est beau. Et je suis certaine de l'avoir déjà vue quelque part. Les traits de son visage me sont bien trop familiers pour que ce ne soit qu'une impression.


Après un début de balade plutôt silencieux au cours duquel j'ai bien compris qu'Estelle n'avait pas complètement dessoûlé, nous arrivons à la lisière de la forêt. La lumière qui borde les arbres manque de m'éblouir, mais sa chaleur après l'humidité du bois me réconforte. D'un commun accord, sans qu'un mot n'ait besoin d'être échangé, Estelle et moi nous dirigeons d'office vers la falaise. La vue me coupe le souffle. Je n'aurais pas cru que le paysage ici soit si diversifié, c'est comme si l'on passait d'un milieu perdu au fin fond des montagnes, à un lieu plus escarpé avec une vue imprenable sur un ensemble de vallées. Je lève les bras, inspire profondément quand le vent souffle, puis voyant que je m'approche du bord comme attirée par le vide, Estelle m'attrape par le poignet et me fait reculer.

— Fais gaffe, si tu tombes, je suis pas sûre d'être en état de te rattraper.

Je lui souris, m'assieds au bord des rochers et elle ne tarde pas à en faire de même. Estelle se tourne dans ma direction avec un regard enjoué, plein de vivacité. Le vert jade de ses yeux m'enlise, se fond en moi et je ne peux m'empêcher de la trouver saisissante à cet instant.

— C'est vraiment magnifique. Finit-elle par dire.

Je hoche la tête, ris de la sensation d'aise que j'ai en sa présence, puis prends le morceau de biscuit qu'elle me tend. Le contexte de notre rencontre ce matin me revient en tête, je tente d'engager la conversation de ce côté-là, mais tourne autour du pot de peur que son côté trop détendu refuse de passer dans une phase plus sérieuse. Bien évidemment, elle le remarque, me le signale d'un regard désinvolte et m'engage à vraiment aborder le sujet dont je m'éloigne.

— Pourquoi tu me regardes comme ça ? Je m'entête tout de même à demander, souhaitant intimement que ce soit elle qui me lance.

— Parce que je vois bien que tu racontes de la merde, mais que tu veux dire quelque chose, alors vas-y je t'écoute.

— Et bien, tu sais, par rapport à ce matin, si, admettons, tu as, je ne sais pas, couché avec Aaron, à tout hasard bien évidemment, enfin bref, si c'est le cas, je me demandais si tu le connaissais un peu ou quoi...

Je m'arrête aussitôt devant tant de confusion. Dans ma tête, les mots coulaient plus aisément, mon discours ressemblait à quelque chose de plus construit, mais bon, Estelle semble pensive, j'attends qu'elle parle, l'élan viendra de lui-même.

— Je comprends ta déroute. Au collier que tu portes et au vue de tes réactions, tu connais le Virginity Game. Et donc, Aaron. Mais je n'ai pas besoin que tu me décrives de long en large ta vision des choses. Je le connais, très bien même, et peu importe l'image que tu peux avoir de lui, la manière dont tu as été amenée à le connaître fausse tout. J'en suis d'ailleurs désolée. Sauf si t'es heureuse d'être dans le jeu.

À son petit haussement de sourcil et au ton de sa voix, je sens toute son ironie, seulement, je ne pense qu'au regard qu'elle porte sur Aaron. À mes yeux, c'est un joueur, un gars qui ne mérite pas plus de respect qu'il n'en accorde.

— J'en suis pas heureuse non et je ne vois pas en quoi le Aaron que tu connais est différent de celui que je fréquente. Même s'il peut être sympa, voire plus, dans le contexte où je suis, tu te doutes que ce n'est pas arrangeant pour moi de le voir sous cet angle. Par contre, j'aimerais savoir comment tu le connais.

Estelle me fixe de manière indéchiffrable et un tantinet surprenante, puis laisse traîner un silence avant de prendre la parole.

— C'est compliqué... Disons que je connais les joueurs depuis quelques années, donc les liens que j'ai avec eux sont forcément différents des tiens et c'est la même pour la façon dont on les voit. Certes, ils sont loin d'être parfaits, mais ne leur colle pas une étiquette, tu risquerais de le regretter. Et pour ce qui est d'Aaron, on a un peu dérapé hier soir, mais toi, qu'est-ce que tu veux faire de cette information ?

— Bah déjà, je comprends pas, si tu les connais si bien, pourquoi maintenant ? Pourquoi coucher avec Aaron quand tu sais ce qu'il fait ?

Estelle me regarde dans le blanc des yeux, je pousse un bref soupir, la fixe à mon tour, puis réfléchis aux conséquences de tout ça.

— Franchement je sais pas ce que je vais faire, je m'attendais pas à ce que ça puisse arriver... Enfin je veux dire, Aaron a enfreint les règles, si j'en parle avec Nils, il pourra m'aider à trouver une solution qui m'avantage.

À mes yeux, c'est clairement l'occasion rêvée pour que le jeu prenne un virage inattendu et l'aubaine qui se présente pour les filles et pour moi devient en quelque sorte, le revers de la médaille que les joueurs vont se prendre dans les dents. Sauf qu'en croisant le regard d'Estelle, mes certitudes s'écroulent subitement. Le doute me saisit quand je perçois à l'étincelle qui vacille dans son regard que je n'ai pas intérêt à faire ce à quoi je pense si ardemment.

— Octobre, tu peux pas faire ça. Tu sais encore rien. Aaron et moi, on se tourne autour depuis le début de l'été, mais la rentrée chamboule un peu les choses. J'ai une certaine attirance envers lui et ne va pas croire que c'est pour ça que je m'oppose à ton idée, mais tu ne ferais qu'empirer les choses...

— Justement, c'est tout mon but. Je la coupe avant de le regretter en constatant qu'en fait, je ferais mieux de l'écouter, de chercher à vraiment comprendre ce qui se passe.

J'esquisse une petite moue, puis lui fais signe de poursuivre ses explications.

— Écoute, je sais que la situation dans laquelle tu es t'empêche d'être complètement objective, mais que tu puisses le saisir ou non, j'aime beaucoup les garçons. Peu importe comment tu les appelles, joueurs, connards ou autres, pour moi, ils sont bien plus que ça. Et je ne veux pas détruire les liens qu'ils ont. Même si la fin du jeu compte à tes yeux, aux miens, se sont eux qui comptent le plus...

La force qui émane d'elle me laisse coite, mais les questions fusent aussitôt, je voudrais comprendre ce qui l'attache autant à ces cons en effet, comment peut-elle les apprécier ainsi ? Au point de préférer les protéger eux, plutôt qu'une bande de filles innocentes qu'ils s'amusent à manipuler.

— Tu sais, quitte à parler de ça, autant se dire sincèrement les choses. Qu'est-ce qui m'empêcherait vraiment de balancer Aaron ? Si ça peut arrêter le jeu ou le perturber, tu peux comprendre ce que ça représente pour nous, alors qu'est-ce que moi je dois comprendre par rapport à ta position ?

Estelle me fixe avec attention, le vent vient balayer ses cheveux, dégage son visage dont la douceur me frappe de plein fouet. Le souvenir qui remonte me surprend moi-même. Sauf qu'au même moment, Estelle me devance, avoue, et tout s'assemble.

— Owen est mon frère. S'il apprend que j'ai couché avec son meilleur ami, ça risquerait de vraiment dégénérer. Tu captes maintenant ?

Il n'y a pas besoin de mots pour qu'Estelle voie mon approbation à cet instant. Pour deux raisons d'ailleurs. Il a suffi qu'elle prononce le prénom d'Owen pour que mes convictions se transforment et prennent moins d'ardeur et puis, son visage, son sourire, je les connais, de toute évidence, je lui suis redevable depuis longtemps.


Le silence s'est réinstallé entre nous après notre échange. De mon côté, j'ai besoin de réfléchir, ses paroles tournent encore dans ma tête et j'aimerais que les choses soient plus claires. J'aimerais la regarder et lui dire qu'on se connaît. Qu'il m'a fallu un moment pour en être certaine, mais à présent, je sais que c'est elle, la fille avec qui j'ai passé tout mon été la dernière fois que je suis venue, il y a deux ans. Depuis, elle a changé. Ses traits ne reflètent plus la tristesse que je la voyais trimbaler jour après jour à l'époque, elle m'a l'air plus forte, plus sûre d'elle. Je profite qu'elle soit distraite par ses pensées pour me perdre dans les miennes et tente de me souvenir comment j'ai pu l'oublier. Deux ans sans nouvelles. Je me demande pourquoi, mais rapidement le visage de ma mère s'impose dans mon esprit et les disputes qu'on avait remontent à la surface. Finalement, je sais peut-être ce qui s'est passé, seulement, ce n'est pas le moment d'y songer.

 Et alors que je tente d'inscrire mes pensées dans le moment présent, je suis happée par d'autres curiosités, car en effet, si Estelle est la sœur d'Owen, comment se fait-il que je n'aie aucun souvenir de lui ? L'ai-je déjà rencontré ? J'ai beau me creuser la tête, rien ne vient, j'ai même l'impression que mon imagination me joue des tours, d'autant qu'avec toutes ces informations à digérer et l'impasse dans laquelle je suis avec Aaron, je me sens dépassée. Du coin de l'œil, je surprends Estelle en train de me regarder, elle ne dit rien, j'en viens à me demander si elle a fini par comprendre. Est-ce que mon visage lui revient ? Se souvient-elle de nos excursions dans le quartier, de ma mère qui ne voulait pas que je la fréquente, mais dont on se foutait bien ? Je me souviens des prises de tête continues avec elle d'ailleurs, des échappatoires que je trouvais avec Estelle pour qu'on fuie toutes les deux nos problèmes, mais rien concernant Owen. Le contraire serait drôlement surprenant, après tout, peut-être était-il différent par le passé.


— Je pense qu'on devrait rentrer, histoire de voir ce qui se passe au chalet.

Même si je n'en ai pas envie, je hoche la tête, attrape sa main et me relève. À peine faisons-nous quelques pas que j'envisage de prendre la parole.

— J'étais en train de penser, qu'est-ce que je peux faire à ton avis par rapport à toi et Aaron ?

Estelle me scrute droit dans les yeux pendant quelques secondes avant de recommencer à marcher. Je crois que cette histoire la travaille autant que moi.

— J'en sais rien. Ils ont des règles et des conneries dans le genre, tu peux toujours tenter de voir avec lui si une solution est envisageable pour que les choses tournent en ta faveur.

— Oui, c'est ce que j'ai déjà en tête de faire, mais admettons qu'il se foute d'avoir couché avec toi et qu'il soit capable de l'assumer... C'est possible ?

— T'es dingue ! S'exclame-t-elle brusquement. Il n'osera jamais le dire aux gars et pour ça, il a ses raisons. Je sais ce que notre relation représente à ses yeux. Si tu veux le faire chanter, t'as toutes tes chances.

Je prends en compte ce qu'elle me dit et laisse mijoter tout ça dans un coin de mon esprit. Après tout, selon la façon dont je m'y prends, je pourrai peut-être envisager de passer un marché avec Aaron.

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