8 - Taïna

Tous les vols sont annulés, pour au moins trois semaines, mesure effective dès aujourd'hui. On ne parle pas clairement de "fermeture des frontières", mais c'est tout pareil. J'espère que nous serons tout de même toujours ravitaillé. Trop de produits viendront à manquer dans le cas contraire, et certains rayons de magasins sont déjà vides.

En tout cas, plus d'avions. La voisine est directement venue se lamenter chez nous dès qu'elle a appris la nouvelle : son mari et ses enfants sont bloqués à Roissy. Ça fait une semaine qu'elle subit des montagnes russes émotionnelles, la pauvre. Nous, on a laissé tomber au moment où les Etats Unis ont fermé les frontières, on a cru que c'était foutu. Ensuite, Air France, puis Air Tahiti Nui ont réussi à rallier Papeete en vol direct, mais mes parents n'ont pas cherché à prendre de billet pour Nino. C'était trop galère, et mieux valait que mon frère reste dans son appartement à Bordeaux plutôt que lui faire prendre le risque d'être bloqué à Paris, dans l'hypothèse où les vols seraient annulés (ce qui est arrivé, d'ailleurs).

Aujourd'hui, j'ai passé la journée entière à la plage avec Teva, mon copain. Histoire de profiter une dernière fois de eux deux ( la plage et Teva ) avant une période indéterminée : demain, toute la Polynésie aussi sera confinée, une semaine après la France hexagonale et la plupart des autres DOM. C'était génial comme journée ; on a pique niquer puis fait un tournoi de volley avec une bande d'amis de mon lycée, et on a passé l'après midi tous les deux.

C'était assez étrange, aussi. Comme si, parce que l'on savait que les jours prochains nous priveraient les uns des autres, nous avons aussi pris conscience d'à quel point notre lien, à tous, est éphémère. Mes amis et moi, nous sommes en terminale, et on sait que la fin de l'année approche et finira par nous séparer. En septembre, certains auront fait le choix de rester étudier ou travailler ici, comme l'a fait Teva, mais la plupart se seront éparpillés. Les possibilités d'études ne sont pas nombreuses à Tahiti, et beaucoup doivent partir s'ils veulent poursuivre dans le supérieur. C'est ce qu'a fait mon frère, et c'est à cause de ça qu'il est loin de nous, bloqué à Bordeaux.

Cette période de l'année, on devait s'en servir pour profiter à fond les uns des autres, faire un max de soirée, de journées plages, et puis réviser notre bac aussi (un peu). Mais bon, le confinement ne nous en laisse pas trop l'opportunité, alors tant pis. À la place, je vais faire du jardinage avec mon père, travailler un peu mes cours, regarder les séries que Nino me conseille depuis des mois et enfin réparer la gouttière, comme me le demande ma mère depuis début février. Ce qui n'est pas un programme si affreux, finalement. Ici, hormis l'histoire des vols annulés, le virus ne fait pas encore de trop énormes dégâts ( même si on a quand même une vingtaine de cas déjà ) et je crois qu'on oublie vite l'horreur mondiale. En tout cas, c'est comme ça que je le vis.

Je suis juste dégoûtée de ne plus pouvoir sortir ( Nino dit toujours que je suis hyperactive, et tout à l'heure il m'a demandé si j'étais sûre d'être capable de survivre à l'enferment ), et de ne plus pouvoir voir les gens. Tout à l'heure, on l'a joué dramatique avec Teva : je lui ai agité mon mouchoir en guise d'adieu pendant qu'il s'éloignait en essayant de pleurer des fausses larmes ( sauf qu'il n'y arrivait pas, et qu'on était tous les deux morts de rire ).

Je prie pour conserver mon droit au footing. S'il nous devient interdit de prendre l'air pour d'autre raisons que les courses, je crois que j'irai arpenter les rayons d'alimentations tous les matins rien que pour sortir. Ou bien je tournerai dans le jardin comme un lion en cage jusqu'à ce que mes parents n'en puissent plus.

Nino a peut être raison, j'ai un sérieux problème avec l'inactivité.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top