Chapitre 6

Alexandre, aussi loin que remontaient ses souvenirs, avait toujours été dérangeant. De l'obscur Moyen-Age où il était né jusqu'à ce 21èmes siècles pleins de poison, il était en décalage. Fils de sorciers brulés par l'Eglise, vampire renié par le conseil, il entrainait où qu'il se trouve mort et désolation.

Talent inné ou simple malchance, Alexandre n'en savait rien mais il comptait bien en faire profiter les malheurs qui s'approchaient de lui aujourd'hui.

Vêtu de noir, cliché parmi les mortels, le vampire se glisse dans les ombres, écoutant les murmures de San Francisco en cette nuit glacée. Il ne pleuvait plus mais la chaleur oubliait, une fois de plus, la ville de la baie. Dans les quartiers cossus, les hommes avaient déserté la vie nocturne pour retrouver leurs lits. Ils étaient trop tard pour les fêtards, trop tôt pour les sorties de club. Heure à mi-chemin entre le jour et la nuit, chargée d'émotion et de magie.

Alexandre s'arrête devant un immeuble trop haut, semblant chercher à toucher le ciel. Autrefois, les hommes offraient des cathédrales immenses pour se rapprocher de Dieu. Aujourd'hui, ils s'agglutinent dans des villes trop petites pour eux, à la recherche de liens et de travail. Le monde avait décidément bien trop changé.

Le vampire entre le code de l'immeuble sans frémir, sans même un regard pour les environs. Seules les ombres le fixent de leurs refuges obscurs. La ville dort, les lumières se sont tuent et les étoiles se font lampadaires bien trop faibles pour éclairer Russian Hill.

Il remonte les escaliers, sans un bruit. Pattes de velours contre le béton coloré, œil avide fixant les ténèbres. Elisabeth, la si belle vampire qu'il va voir ce soir, n'a pas même pris la peine de protéger son domicile. Elle n'est de retour que depuis peu, certainement là pour traquer l'amour de sa vie, immortel l'ayant oublié avec une facilité déconcertante. Rien d'autre, pas même le Bloody Sky qu'elle dirige depuis des années, n'était assez digne de son attention.

Mais William, le beau William, méritait tous ses regards. Depuis qu'il avait eu l'outrecuidance de s'afficher dans quelques tabloïds aux côtés d'une mannequin tout ce qu'il y avait de plus mortelle, Alexandre savait qu'Elisabeth allait rappliquée... Elle l'avait fait bien plus tôt que ce qu'il aurait pensé.

Il ouvre la porte, faisant exploser entre ses doigts la serrure. L'appartement est vide, empli d'obscurité.

D'un pas certain, maitre dans un lieu qui ne lui appartient pas, il se diriger jusqu'au frigo. Les tableaux, tous griffés d'une patte de maître, lui arrachent un sourire. Elisabeth avait décidément toujours d'aussi bon goût artistique.

Celle qui avait autrefois été comtesse avait rappelé à elle des œuvres appartement à la famille des Bathory, couplée à d'autres, tant volées qu'achetées. Alexandre n'avait jamais mis les pieds dans le château de la sanglante à l'époque mais il avait suivi son parcours sur les livres. Certains vampires avaient laissé des traces écarlates de leur passage dans l'Histoire. Elisabeth plus qu'aucun avant elle.

Il ouvre le frigo et récupère une poche de sang. La déchirant de ses dents, il laisse l'hémoglobine cascader dans un verre à pied.

Le vampire se laisse tomber sur le canapé, appréciant le sang qui frémit contre ses papilles. La comtesse ne s'est jamais nourrit des mêmes mortels qu'Alexandre, refusant les junkies et les clochards pour d'autre, bien nourrit, en parfaite santé. Dans les souvenirs d'Alexandre, Elisabeth avait ce teint de pèche et ces sourires éblouissants que personne n'oubliait. Et que seule une alimentation contrôlée à la perfection pouvait offrir.

Il s'enfonce dans les souvenirs, rappelant à lui les premières rencontres et les jeux de pouvoirs auxquels ils se prêtaient tous deux. Lui, fils parfait du grand Salazar. Elle, infante d'un ainé, à la recherche de ce que le monde lui avait arraché.

Ils auraient pu s'apprécier, se compléter. C'était sans compter sur la présence de deux autres immortelles, de cette sœur jalouse et de ce fils ingrat.

C'est le bruit des pas d'Elisabeth qui arrachent Alexandre à ses pensées. Il lève un verre, trinquant à la présence de la vampire dans le silence. Il peut la voir sans même la discerné, les bras croisés, les sourcils foncés, les yeux qui se lèvent au ciel. Elle n'a pas envie de le voir. Personne n'a jamais envie de le voir. Trop théâtralisé, trop bouffé de suffisance et de folie.

— Ma chère comtesse. Tu m'aurais presque manquée.

— Alexandre ... quel plaisir, lance la nouvelle venue, sa voix trahissant ses pensées et son déplaisir.

Il se lève, sourire accroché au babine et s'accoude au bar, gros pacha feignant.

— Pourquoi es-tu là ? souffle-t-elle, à peine surprise qu'il se soit frayé un passage aussi facile jusqu'à son domicile.

— Je ne suis pas venu pour le plaisir de ta compagnie et j'en suis bien navrée. Non, mieux que ma présence, j'ai de grande nouvelle pour toi.

Alexandre se tend d'un immense sourire avant de jeter devant lui un dossier empli de photos et d'articles de journaux.

— Tu te rappelles ta sorcière préférée ? La vieille peau qui doit surement avoir crevé dans un coin. Eh bien j'ai retrouvé sa descendante et devine quoi ? Notre loulou préféré s'intéresse déjà à elle.

Le vampire ouvre alors la pochette. Fier de ses mises en scènes, comme à son habitude d'acteur raté, il en sort une photo d'une blondinette au visage plus que banal. Justine Hansen, 26 ans, dernière héritière du pouvoir des sorcières. Des photos privées, son dossier d'entré à l'orphelinat et ses résultats scolaires, plus que mauvais.

Elisabeth le fixe, croisant ses longues jambes en s'asseyant. Fier comme un paon, Alexandre se redresse un peu plus, immense sourire collé aux lèvres.

— Mais j'te donnerai pas pour tes beaux yeux. Je veux du sang, et pas la piquette humaine.

Leurs sourires disparaissent. Il veut qu'elle se saigne pour lui, qu'elle ouvre ses veines et lui offre les merveilles contenues dans ces dernières. Et il n'a pas besoin d'en dire plus qu'elle a déjà compris.

Pourtant, à sa grande surprise, Elisabeth se fend d'un rire, à peine feutré.

— Ow... je suis profondément blessée Alexandre. Je pensais que tu avais plus d'estime pour moi. Crois-tu réellement que je troquerai ne serais ce qu'une petite fiole de mon sang contre de vulgaires bouts de papiers ? Je ne m'intéresse pas à la petite sorcière, du moins pas encore. Comment crois-tu que le fils du loup gris ait survécu ? Surtout après ce que je lui ai fait... Et pourquoi crois-tu qu'il soit de retour en ville ? La grande sorcière n'est pas morte et elle est avec lui, il n'y a aucun doute, susurre la comtesse avant de se servir un verre.

Élisabeth lève ce dernier et sans se démonter, Alexandre dresse le sien à son tour, trinquant avec plaisir. Il aurait presque oublié le bonheur des difficultés à traiter avec une telle créature. L'immortalité rends certain vampire si mou qu'ils ne peuvent répondre aux mots du prince du chaos.

Un peu de piquant, voilà ce qui manquait dans la monotonie de son quotidien, seulement troublé par la présence de la petite orpheline devenu chasseuse pour le plus grand plaisir des yeux. Une Abigaël qui doit certainement bouder dans son coin maintenant que le soleil s'est levé.

Élisabeth lui offre ce piquant, avec ses aiguilles qui s'enfoncent dans les chairs pour mieux faire souffrir. La comtesse se penche sur le bar, accentuant son décolleté dans lequel Alexandre refuse de se perdre, qu'importe le galbe parfait de sa poitrine.

— Mmmmh... J'ai quelque chose à te proposer mon très cher Alexandre. Si tu trouves le moyen de faire sortir la vieille peau de son trou, je t'offrirai un peu de mon sang... et si tu me la ramènes vivante, ce sera à volonté. Où tu veux, quand tu veux.

— Pourquoi pas..., répond le vampire, un sourire joueur sur les lèvres.

— Je suppose qu'elle se terre sur l'île des petits loups, là où vous avez attaqué la dernière fois... Stupides sorcières.

— De toute évidence, oui, elle se trouve toujours là-bas. Toutefois... poursuit Elisabeth, j'ai envoyé il y a peu trois éclaireurs. Un seul est revenu. Il n'a pas su me dire pourquoi, ni comment, mais ils n'ont pas fait deux pas sur la plage. Je pense que la sorcière a rassemblé son pouvoir pour protéger l'île, ce qui la rend d'autant plus vulnérable... si seulement on arrive à l'atteindre, ou à concentrer son pouvoir en dehors de l'île.

Prenant son verre sur le plan de travail, Alexandre s'éloigne, faisant craquer sa nuque. Ses pensées se font de plus en plus confuses, reprenant les mots de la comtesse qui raisonnent dans son esprit et il n'essaye pas de les rationaliser. Son regard se porte sur l'immense baie vitrée et sur les lumières de la ville qui clignotent au loin. Toutes ses vies, toutes ses veines qui se gonflent dans les corps d'autant d'encas. San Francisco est un immense terrain de jeu que le vampire arpente comme un prince.

— J'ai d'autres informations pour toi ma belle et cruelle immortelle. Ton chiot, ton William est en ville. A San Francisco. Avec une demoiselle à la beauté qui dépasserait presque la tienne pour des yeux aveugles de jeune vampire.

C'est sans même regarder Elisabeth que l'immortel a jeté ses mots qu'il la sait saisir au vol. La comtesse n'a qu'un point faible, bien dangereux pour ceux qui le connaissent.

Malheureusement pour elle, Alexandre est au courant. De toute manière, le vampire de l'ombre sait bien trop de chose, fier de cette immortalité qui lui a offert un monde d'une immensité sans nom. Le français a étendu sa toile, comme une araignée. William est passé et a fait bouger les mauvais fils. Un mannequin. Voilà un choix bien étrange pour un homme qui devrait se cacher. L'imprudence des jeunes.

— Je suis sûr que le petit Manners a une folle envie d'une petite visite improvisée. Après tout, qui pourrait résister en te voyant dans les parages ?

Le silence s'installe suite aux paroles d'Alexandre. Ce dernier aurait tout donné juste pour voir ce qui est passé dans les yeux de la comtesse. Voir cette créature faite de glace se fendre quelques secondes aurait été pour lui le plus beau des spectacles et ses lèvres se tendent sur un sourire en coin alors qu'il reporte son attention sur la ville, buvant une nouvelle gorgée du liquide carmin. Élisabeth a ses faiblesses, comme presque tous les immortels qui se sont encombrés d'Infant.

Le silence de la vampire est éloquent.

— A croire que San Francisco est la ville de toutes les surprises... réplique-t-elle, et de toutes les retrouvailles.

Il se retourne vers elle, son sourire goguenard visé aux lèvres. Un de ses sourcils se soulève, interrogatif.

La comtesse ne s'assoit pas, rejoignant le vieux vampire près de la baie vitrée et laissant à son tour son regard s'attarder sur les vies en contrebas. Alexandre la regarde, un sourire sur les lèvres, un éclat rieur dans ses yeux bleus.

— Je pensais sincèrement que tu étais venu ici pour me parler de lui mais sans doute n'es-tu pas au courant. Salazar est de retour en ville et il bien vivant... enfin façon de parler, ajoute-t-elle.

Alexandre manque d'étouffer aux paroles d'Elisabeth et pour la première fois depuis une éternité, la peur se lit au plus profond de ses yeux.

Salazar... Son créateur, bouffie de suffisance et d'orgueil. Son créateur, qu'il avait achevé d'une dague en plein cœur, qu'il avait vu s'effondrer devant lui.

Non, c'était impossible. Le monstre l'aurait traqué s'il avait réellement été en vie.

Mais l'inquiétude grandit dans le cœur gelé du prince des ténèbres. Lui qui a si bien juré qu'il refusait de laisser la glace fondre pour n'importe qui s'est vu prit à son propre piège. Abigaël... Abigaël a disparu, Abigaël ne revient pas. La sorcière qu'il a vue emporter la chasseuse après son accident lui était inconnue mais il aurait dû se méfier, il aurait dû suivre la magie qu'il sentait s'emparer du lieu. Qui était cette sorcière ? Vers qui avait-elle amené sa chasseuse ? Où était Abigaël par tous les dieux qu'il connaissait ?!

Le verre entre les mains du vampire explose alors qu'il se retourne vivement, croisant le regard d'Elisabeth.

Elle sait des choses. Elle aura des réponses, elle est la fille d'un ancien qui ne connait que trop bien son Sire.

La rage passe dans les yeux d'Alexandre alors qu'il la sent se jouer de lui et, bien plus vite que ce que la comtesse ne pourra jamais faire, il attrape sa gorge, serrant avec violence, la plaquant contre la fenêtre. Le meurtre de vampire, il a déjà tant donné alors qu'il expliquait dans le sang et les cris à Abigaël la chasse. Mais maintenant, cette dernière est surement entre les mains de Salazar, volée, enchainée. Jamais elle n'est restée si longtemps sans lui donner de nouvelles. Jamais elle n'a disparu pour de bon, quand bien même il la corrigeait pour ce qu'elle faisait. Jamais elle n'est partie, trop attachée à lui.

Sa main autour de la gorge serre un peu plus, jusqu'à arracher un cri à Elisabeth. La comtesse sait des choses, la comtesse sait toujours ce qu'il se passe.

— Qu'est-ce qu'il fout ici ?! gronde Alexandre.

La flamme de la folie s'allume dans ses prunelles, et il appuie un peu plus sur la gorge blessée, presque à entendre les os craquer.

— Dis-moi tout ce que tu sais Elisabeth, ordonne-t-il. Le moindre mot. Comment sais-tu que ce monstre est encore en vie ?! Où est-il ?!

La fureur se mêle à la folie, emplie de cette peur sourde qui le prend aux tripes et qui refuse de le lâcher.

Alexandre n'a jamais fui. Il a tué, dès que l'occasion s'est présentée. Cette fois, ce n'est pourtant plus un, mais deux vampires qu'il a à ses trousses. Cette fois, il ne pourra s'aider de l'amour d'une sœur trop jeune pour voir la vérité derrière les prunelles bleutées de l'immortel. Non, Eve doit suivre leur Sire comme son ombre. C'est surement elle qui l'a sauvé. Elle qui l'a arraché des griffes de la mort.

Le piège s'est refermé autour de lui et il ne l'a même pas sentit venir, il n'a pas vu le filet de l'araignée l'entourer.

Il relève un peu plus Elisabeth, plantant son regard dans celui de la comtesse. Il sent son pouvoir qu'elle tente d'appeler, mais la force qu'il met dans sa poigne est bien plus efficace que tous les dons sombres qu'il connait.

— Comment sais-tu ça Elisabeth ?!

Le cou de l'immortelle craque, sous le regard de feu d'Alexandre. La comtesse ne semble pas prête à parler et un sourire étire ses lèvres pleines. Juste au moment où une nouvelle présence attire l'attention d'Alexandre. Juste alors qu'il sent sur sa nuque le souffle glacé d'un autre immortel.

—Eh bien, Alexandre, voilà une façon  bien étrange de poser des questions. Lâche là,veux-tu.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top