Chapitre 5

Tout est allé bien trop vite.

Les yeux fermés, Justine a senti la magie s'emparer d'elle. Puis la mort, tout autour, hurlant à ses oreilles comme une faucheuse terriblement violente. Elle a senti la mort sans la vie. Tel un pouvoir à moitié plein, comme s'il manquait quelque chose.

Et, devant ses yeux remplis de larme, le corps de Jonathan sur le sol. La peur s'est emparée d'elle alors que les ombres se sont détachées de ses bras. Ses mains s'entourent autour de ses épaules, cherchant du réconfort.

La jeune femme refuse de voir ce qu'il se passe mais elle sent pourtant autour d'elle une présence, déjà ressentie dans le passé, rassurante. Comme si on la berçait, comme si on la prenait sous une aile apaisante. Ici, elle est en sécurité. Du moins, c'était ce que lui souffle le vent qui caresse sa peau, faisant partir les ombres dangereuses.

Son regard se pose sur Elijah et elle ne peut détacher ses prunelles du loup. Il doit la soutenir. Il doit trouver une solution.

— Aide moi Catherine, cri le loup, répétant plusieurs fois ce prénom inconnu.

Seul le silence lui répond.

Justine s'enferme dans ses larmes, accrochant la main de Jonathan, essayant de le faire bouger. Elle a tué quelqu'un, même sans le faire exprès. Elle le supplie de revenir, de lui répondre.

D'une litanie que seule une légère brise parvient à apaiser.

— Ça ne marchera pas Elijah, souffle le silence. Tu n'es pas...

— Je sais ! ... Mais j'aurai au moins essayé, coupe le loup, le visage grave.

Il sort un couteau suisse de sa veste, le dépliant avant de le faire glisser dans sa paume. Justine étouffe un glapissement en voyant le liquide carmin couler de sa plaie et le regard déterminé d'Elijah. Ce dernier laisse son pouce récupérer du sang sur la plaie et, qu'elle se referme à une vitesse étonnante, il trace un signe étrange sur le corps sans vie de Jonathan.

La sorcière le fixe, sans comprendre alors que des mots aux sens étranges s'échappent de ses lèvres.

— Voici la loi de notre vie, aussi vieille que le ciel et aussi éternelle. Le loup qui la respecte devient prospère, mais le loup qui l'enfreint devient poussière. Comme l'écorce sur l'arbre qu'elle enlace, la loi traverse le temps et l'espace. Protégeant ceux et celle qui le mérite, à leurs services sont les pouvoirs dont on hérite...

Elijah pose son pouce au centre du dessin, fermant les yeux.

Il se passe ici quelque chose d'intense et de captivant qu'elle ne peut rompre. Justine sent la magie dans l'air, une magie aussi puissante que celles des ombres qui sévissent dans son sein. Elijah n'est plus l'homme qu'elle a rencontré quelques heures plus tôt. Il semble différent. Elle le dévisage, essayant de lire dans ses yeux et dans ses traits crispés par la concentration.

— ... car la force de la meute est dans le loup, et la force du loup est dans la meute, ajoute le loup, paroles reprises par le souffle du vent.

L'élément joue dans les cheveux de Justine quelques secondes, comme un ami perdu de vue depuis des années, avant de s'entourer autour du corps de Jonathan.

Du sable, soulevé par les bourrasques, masque le cadavre et les larmes de la jeune femme se tarissent. Elle s'accroche au regard concentré d'Elijah. Elle s'accroche à l'espoir futile que lui aussi maîtrise la magie, qu'il soit capable de réparer ses erreurs. Et que la voix qu'elle a entendue veuille la même chose, offrant les pouvoirs qui flottent dans l'air à ce loup dont elle ne sait rien.

La vie s'empare de Jonathan alors que le vent se tait, retombant en entraînant dans sa chute les grains de sable.

Justine veut se précipiter à ses côtés mais quelque chose l'en empêche. Un regard, provenant de la forêt, qui la perfore et lui interdit de bouger. Un regard qui réveille les sorcières enfouies dans la noirceur de son cœur. Elle les entend rire en elle, murmurer des paroles dans une langue qu'elle ne connaît pas. Elles ont vu des choses, des choses qui leur plaisent. Des choses que Justine ne peut pas percevoir, tapies dans l'obscurité. Les sorcières sont mécontentes. Elles veulent la mort et le chaos. Elles sont pleines d'une vengeance que Justine ne comprend pas.

— Ça va aller pour lui. Il sera pris en charge et soigné sur l'île. Suis-moi maintenant, ordonne le loup.

Justine est perdue, incapable de savoir ce qu'elle doit faire. Son instinct lui hurle de suivre cet inconnu qu'elle a déjà vu dans des rêves oubliés et sa raison lui ordonne de partir d'ici, de ne pas écouter les ombres dans son cœur.

Elle se redresse pourtant un dernier regard pour Jonathan qui tousse sur le sable de la plage. Son regard accroche celui d'Elijah, qui a déjà perdu tout de son air compatissant.

— Qu'est-ce que c'était ? questionne-t-elle alors qu'elle se met en marche, C'est qui cette Catherine ? On est où là ?

— Tu es sur l'île de l'Aurore, l'île des loups, répond Elijah après quelques secondes de silence. Si tu n'as jamais croisé un seul des membres de mon espèce en ville c'est qu'ils sont ici. En sécurité.

Il ouvre la marche, l'entrainant à sa suite.

Justine le suit, s'engouffrant dans la forêt. Le loup semble arpenter un chemin que lui seul connait, se frayant un passage entre les épais troncs d'arbre et leurs feuillages qui les empêchent de voir à plus de quelques mètres. Il marche d'un bon rythme que Justine peine à suivre, citadine peu habituée à crapahuter en pleine forêt. Elle a toujours vécu entre de hauts murs de béton et les seuls arbres qu'elle a vus sont ceux des parcs, plantés par des jardiniers méthodiques. La nature sauvage est un mystère et elle sent son cœur s'emballer sous l'effort que lui demande le terrain inégal qu'elle foule.

— As-tu déjà entendu parler de la légende d'Isolda ? demande Elijah, marquant une pause avant de se tourner vers Justine.

Cette dernière lui jette un regard interrogatif, lui offrant une réponse plus que claire.

— Avant même que la civilisation qu'on connait n'existe, Isolda, notre déesse mère, vivait avec ses enfants dans un coin reculé des montagnes. Son compagnon ayant disparu, elle était la seule à pouvoir protéger sa famille des clans ennemis qui se formaient non loin de ses terres.

Un jour, durant une attaque, elle a perdu l'un de ses fils. Le cœur déchiré, la sorcière n'a pas pu se résoudre à laisser partir son enfant et a fait appel à ses plus sombres pouvoirs pour le ramener à la vie. Elle ne voulait le faire qu'une seule fois mais le premier attaqua ses frères...

C'est ainsi que les vampires sont nés. Ils ne craignaient ainsi plus les attaques des clans ennemis, qui disparaissaient d'ailleurs de manière inquiétante. Les primordiaux, cinq enfants aux pouvoirs hors du commun.

Isolda pensait pouvoir contrôler les créatures qu'elle avait créé mais, sans nourriture, ils sont devenus imprévisibles et ont fini par perdre leur humanité. Ils se sont alors irrémédiablement retournés contre elle et, alors qu'elle les fuyait en se réfugiant dans la forêt, aux portes de la mort, une meute de loups s'est approchée. Ont dit que les bêtes sauvages n'avaient pas l'intention de la dévorer et, qu'avant de rendre l'âme, Isolda a partagé son pouvoir et l'a distribué à sept de ces loups. Sept alphas. Sept meutes. Leur donnant l'ordre de protéger l'humanité et de défaire les monstres qu'elle avait créés, conte-t-il sous le regard attentif de Justine.

Les créatures existent. Elle n'a pas eu besoin de ce conte pour le savoir. Elle en est une elle-même. Vampire, loup-garou, sorcière. Y a-t-il d'autre ombres, tapies dans l'obscurité, à l'abri du regard des mortels ?

— L'un des descendants de ces loups vivaient ici. Il était l'un des seuls à croire en cette histoire et il a lutté pour la transmettre à travers le monde. Jusqu'à ce qu'il rencontre une sorcière, aux pouvoirs étranges. Catherine. Descendante d'Isolda. Ensemble, ils ont redonné vie à cette légende et ont unifié leurs forces. Sorcières et loups. Ils ont inspiré de nombreuses meutes, limitant la progression de la domination des vampires... jusqu'à ce que...

La voix du loup s'interrompt brusquement et le cœur de Justine se serre. Elle sait parfaitement ce qu'il s'est passé. Voilà donc les images qui se sont imposées à sa vision. Voilà donc d'où provenait tout ce sang.

— Catherine est ta grand-mère...

Justine reste silencieuse à la nouvelle.

Elle hurle de rage dans son cœur mais n'en montre rien.
Elle frémit de haine dans son esprit mais n'en montre rien.

Son regard s'accroche à Elijah, suivant ses mouvements qui semblent si contrôlés et si vifs. Il n'est pas humain, elle l'a su à l'instant même où leurs peaux se sont touchées. Justine ne sait pas si tous les loups sont pareils. Mais Elijah la fascine. Il y a quelque chose qui hurle dans l'air entre eux.

La forêt se fait moins dense alors qu'ils avancent et ils finissent par la quitter.

Le lieu sur lequel ils débouchent est tout bonnement paradisiaque. Un chalet de bois clair, perdu au milieu de nulle part, offre sa beauté insolente aux iris avides de la sorcière. Elle a l'impression d'être à des milliards de kilomètres de San Francisco, loin de son quotidien banal. Cette île de l'Aurore semble hors du temps et de l'espace, dans un lieu qu'elle ne connaît pas.

— On est arrivés, murmure le loup, rompant le silence qui s'est installé après son long discours.

Sans un mot, Justine entre dans le chalet. L'odeur du bois et de l'eau si proches font naître en elle une vague de nostalgie. Elle revoit des baisers volés échangés sur des plages bien plus chaudes dans une même maison en bois. Des mains qui s'étaient glissées sur son corps. Puis son prénom, mêlé à une voix glaciale et deux éclats rouges.

Elle était rapidement partie, retournant à San Francisco. Mais ses vieux démons revenaient la hanter. Les vampires, les loups, les sorciers. Ils existaient tant de créatures si différentes, tant de vies étranges. Et de vies brisées par ces créatures surnaturelles. Les vampires semblaient des monstres dans les paroles d'Elijah mais les loups tuaient certainement à leurs tours. Et les sorcières ? N'étaient-elles que bien ? Alors qu'elles pouvaient donner la mort si facilement, au travers même de ses mains teintées d'ombres violettes.

Justine était perdue, tentant de comprendre un monde dans lequel elle tombait.

— Fais comme chez toi. Je vais appeler quelqu'un pour qu'on nous emmène des affaires et de quoi remplir le frigo, énonce Elijah.

La sorcière hoche la tête, ne l'écoutant qu'à moitié. Elle détaille l'intérieur du chalet. Il n'a rien à voir avec la demeure qu'elle imaginait pour un homme seul. Impeccablement rangé, l'intérieur ressemble à une page de Wayfair, presque impersonnel, comme un appartement de présentation.

— Justine... tu comprendras bien assez tôt ce qui t'arrive. Mais sache que dorénavant, tu n'es plus seule.

Les mots d'Elijah la font sursauter alors qu'elle croyait qu'il l'avait déjà laissée seul. Elle le voit sortir son téléphone et lui jeter un regard compatissant.

Justine baisse la tête, incapable de lui adresser un mot. Le trop plein d'informations la fait frissonner. Voilà deux ans, elle n'en aurait pas cru un mot et l'aurait traité de fou. Mais depuis, ses pouvoirs ont fait leur apparition.

Et pourtant, la jeune femme prie pour que tout ne soit qu'une hallucination. Les gens l'écoutaient, la croyaient pour les plus crédules mais elle savait parfaitement qu'ils la jugeaient étrange dès qu'elle avait tourné les talons.

La jeune femme a besoin de calme, de faire le point. Elle veut être seule et pourtant, au creux de sa poitrine, son cœur s'emballe. Elle doit prévenir Jane, lui dire de ne pas s'inquiéter... Et surtout, elle doit retrouver sa meilleure amie. L'étudiante ne doit être laissée seule, pas avec les démons qui enfoncent ces seringues mortelles dans ses veines et l'addiction qu'elle a.

Alors Justine se lève, maladroitement. Elle connaît le numéro de sa colocataire par cœur mais n'a pas son téléphone sous la main. Il est surement tombé dans la panique et le smartphone doit être entre les mains d'un clochard agréablement surpris de trouver un téléphone sans verrouillage.

Elle ouvre la baie vitrée et s'approche d'Elijah. Durant un instant, elle aimerait s'emplir de l'air pur, regarder l'horizon dans un silence religieux. Elle ne peut pas penser qu'à elle. Qu'importe tout ce qu'elle vient d'apprendre sur sa véritable nature.

— Euh... Elijah. Il faudrait que je prévienne ma colocataire. Et... Je ne peux pas rester ici. J'ai un métier où je dois aller tous les jours si je ne veux pas le perdre. J'ai une amie qui ne peut... Enfin que je dois voir, souvent, pour éviter qu'elle ne sombre un peu plus

La sorcière n'ajoute rien.

La rage et la fureur dont elle a fait preuve voilà des heures ont disparue. Elle est là, enfant dans un monde trop vieux et trop complexe. Il n'y a pas de place pour la magie dans sa vie. Elle n'est pas une héroïne. Et ne le sera jamais.

Elijah s'approche d'elle et elle tend la main, forçant ses lèvres à arborer un sourire qu'elle sait sonner faux. Il ne glisse aucun téléphone dans sa paume. Son regard est froid et la sorcière voit dans les yeux du loup qu'il ne semble pas prêt d'accéder à sa requête.

— Accorde-moi trois jours, s'il te plait. Appelle ton boulot et dis-leur que tu es malade, ils comprendront. Quant à ta coloc, je pense qu'elle peut survivre jusque-là, non ? demande-t-il, d'une question purement rhétorique.

Elijah sort son téléphone de sa poche et le glisse dans la main de Justine, sachant parfaitement qu'elle ne désobéira pas à l'ordre contenu à demi-mot dans ses paroles.

— Nous avons beaucoup à nous dire, Justine, ajoute-t-il

Les doigts du loup sont brûlants.

Elle aurait dû tempêter, lui ordonner de la ramener chez elle mais son caractère se fait bien trop doux, mû par quelque chose au plus profond d'elle-même. Elle reste muette, incapable de mettre fin au contact de leurs mains. Ce qu'elle lit dans le regard du loup la fait frémir.

Le charme est rapidement rompu alors qu'il lâche ses paumes. Justine ne comprend pas l'homme qu'elle a en face d'elle, aussi lunatique qu'imprévisible.

Il s'éloigne finalement, offrant ces derniers mots comme un au revoir.

— Dans trois jours je te ramènerai chez toi.


Equivalant d'Ikea américain

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