Chapitre 3

Le loup est parti, laissant Justine seule avec ses pensées et les images morbides qui lui ont sauté aux yeux. La sorcière a pris une pause, calmant les battements frénétiques de son cœur en fumant une cigarette. Le regard sur l'horizon, elle se perd dans les lumières des nombreux bâtiments qui lui cachent la vue de la baie. Elle souffle, une buée blanche s'enroulant autour de son visage.

— Justine. Une pause de vingt minutes, c'est pas trop possible avec le monde qu'on a ! hurle la voix de la serveuse qui l'a remplacée durant sa courte sortie.

La sorcière écrase alors sa cigarette et jette un dernier regard au mur tagué en face du bar. Un profond soupir s'échappe de sa gorge, calmant sa colère. Il y a quelques mois, elle aurait envoyé paître sa collègue. Mais elle doit aujourd'hui payer un véritable loyer et s'occuper de Jane, trop jeune et trop enfoncée dans les ténèbres. Elle ne peut se permettre de perdre son emploi par la faute de son mauvais caractère. Sa meilleure amie a besoin de ce salaire qu'elles partagent.

Le vent caresse sa joue d'une morsure froide et elle tourne les talons, retournant dans l'ambiance étouffante du Blue Sparrow. Les images se sont tues dans son esprit. Malgré elle, ses pensées s'envolent jusqu'au loup. Il l'a troublé et surprise.

Elle aura pourtant des réponses, il lui suffit d'attendre encore trois heures qui lui semblent une éternité.

Jonathan a disparu du comptoir où il était accoudé lorsqu'elle est sortie et Justine sent son cœur se serrer légèrement.

Le peintre a mal pris le regard sombre qu'elle lui a envoyé et il doit bouder sur une banquette ou avoir disparu en compagnie de la blonde qu'elle lui avait montré des yeux.

La sorcière retourne à son travail, servant des hommes et des femmes déjà bien trop éméchés. Elle trépigne, jetant des regards incessants à sa montre. Les aiguilles semblent figées, avançant au ralentis et Justine finit par pester en silence.

La première cloche, de fin de service, lui arrache un souffle trop heureux. La seconde retentit, une petite demie heure après, signal de la fin de journée pour les employés et du départ pour les clients trop ivres qui hantent encore les lieux telles des parodies de fantômes.

Ils ne garderont personne pour la fermeture cette nuit.

Justine s'affaire. Echappant à la corvée de toilette, elle s'en prend aux verres encore restant dans la pièce. L'esprit ailleurs, elle est bien moins efficace qu'à son habitude et c'est après son deuxième verre cassé que son patron finit par la mettre dehors, lui ordonnant d'aller dormir.

Elle le remercie avec un immense sourire et ne perd pas une seconde pour retrouver le froid rassurant de San Francisco. Etrangement, malgré la température, il ne pleut pas.

Frottant ses mains l'une contre l'autre, énervée d'avoir été assez stupide pour prendre une petite veste en cuir d'été, Justine cherche des yeux l'inconnu du bar.

S'il ne l'avait pas attendue ?

Son regard parcourt le parking avant de finalement le trouver, accoudé à une moto rutilante. Frimeur.

La sorcière détache ses cheveux, enroulant son élastique autour de son poignet. A l'extérieur, il n'y a personne. Si la moindre chose se passe mal, elle pourra faire appel aux ombres qui sévissent dans son cœur, cruelles et violentes.

Elle traverse la route, un pli stressé sur son front. Instinctivement, son pouce se lève à ses lèvres, et elle attaque l'ongle déjà bien agressé.

— Salut, murmure l'inconnu qui ne s'est toujours pas présenté. On marche un peu ? Tu seras peut-être plus rassurée que si on reste dans la rue.

Rassurée ? Aux côtés d'un homme dont elle ne sait rien, si ce n'est que sa peau est bien trop chaude, qu'il est certainement un loup très garou et qu'il lui a permis de voir des images qu'elle ne comprend pas ? Justine hausse un sourcil et lui répond, agressive :

— La rue est dangereuse, surtout pour une mortelle. Mais je ne bougerais pas d'un pouce tant que tu ne m'auras pas dit qui tu es et ce que tu fais ici. Je ne suis pas stupide et ta présence ne doit rien au hasard.

Justine se cale sur ses appuis, faisant glisser son poids sur une hanche, les bras croisés sur sa poitrine. Elle n'a pas l'intention de bouger et le loup a intérêt de lui donner des réponses très vite. Elle n'est pas connue pour sa patience.

Son regard se plante dans celui de son interlocuteur, attendant une réponse sans possibilité d'échappatoire.

Son petit jeu marche puisque le blond écarquille les yeux, surement surpris par son arrogance.

— Je m'appelle Elijah, et je suis venu te demander ton aide, lance-t-il, le visage sévère.

Pour une fois, le contrôle de son visage échappe à Justine et le regard qu'elle lui renvoi est plein de questions. Son aide ? Pour quoi au juste ?

Justine ne se déride pourtant pas et, passé ce bref instant de stupeur, elle retrouve un visage de marbre. Elle a un nom, c'est déjà un premier pas. Si cet Elijah a besoin de son aide, il va surement parler, encore. Des yeux, elle lui offre sa pleine intension. Elle veut comprendre pourquoi il est venu jusqu'à elle. Leur rencontre ne doit rien au hasard, elle le sent jusqu'au plus profond de ses os.

— Tu sais de toute évidence ce que je suis, et tu sais également que les gens de mon espèce vivent dans la terreur depuis des années, tout comme les sorcières... il est temps que ça change, jette Elijah.

Compris qui il était, très certainement.

Pour le reste.... Elle ne sait rien de ce qui semble si logique pour le loup-garou et pour preuve : elle n'a jamais rencontré la moindre sorcière.

Alors elle reste de marbre et l'entraine à continuer, d'un mouvement du menton vers l'avant.

— Ecoute, je sais pas ce que tu as vu tout à l'heure, quand je t'ai touché la main, mais je peux pas te donner toutes les explications maintenant, et surtout pas ici. Je...

Il souffle, accrochant le regard de Justine.
Dans les yeux bleus du loup flottent tellement d'espoirs, une myriade de sentiments qui surprennent la sorcière.

— Tu auras tes réponses lorsque tu me feras confiance.

Un rire, bref aboiement, échappe des lèvres de la barmaid. Lui faire confiance ? Alors qu'elle l'a vue une fois dans sa vie, qu'elle ne le connait pas et qu'il lui annonce des évènements rocambolesques.

Justine n'a aucune idée d'où il vient mais une chose est certaine : il n'a aucune conscience du monde dans lequel il se trouve.

Les ombres décident pourtant de se rappeler à elle. Dans un souffle au creux de son oreille, elles lui ordonnent d'écouter, de taire sa méfiance, de s'approcher. Que lui, et lui seul, à des réponses aux questions qui peuplent sa vie depuis sa naissance.

Elle n'a pas le temps de prendre une décision que déjà le regard d'Elijah lui échappe. Il gronde, chien sauvage et dangereux.

Justine jette un œil par-dessus son épaule, cherchant à voir ce qui énerve le loup. Le parking est vide à l'exception de Jonathan, nerveux, qui s'approche d'eux telle un animal possessif défendant son territoire.

Et elle est ledit territoire.

La sorcière voit rouge, son sang ne faisant qu'un tour. Elle se retourne, brusquement.

Le monde explose. Les ombres s'emparent de ses bras. Elles remontent, de ses mains jusqu'à la naissance de ses avant-bras. Puis elles fusent, en une gerbe violette qui fonce jusqu'à Jonathan.

Ses yeux s'écarquillent, ses doigts se lèvent. Dans ses yeux, la peur se mêle à la surprise, remplace la rage. Il n'a pas le temps de dire le moindre mot qu'il s'effondre.

Un cri s'échappe des lèvres de la sorcière alors qu'elle se précipite vers le corps qui ne bouge déjà plus. Elle tombe à genoux aux côtés de Jonathan. Sa main se porte à son cou et l'horreur se peint sur son visage.

— Il est mort ! Putain il est mort ! Il est mort ! Je fais quoi ?! Je, je ... putain il est mort ! hurle-t-elle.

La panique s'engouffre dans le cœur de Justine alors qu'elle s'éloigne du corps. Elle ne comprend pas ce qu'il s'est passé, ce qui a bien pu arriver. Les ombres s'entourent autour d'elle, de plus en plus nombreuses, se glissant dans le parking désert et se saisissent de l'esprit paniqué de Justine pour mieux le contrôler. Mais la panique gonfle son cœur. C'est elle qui a tué son meilleur ami, elle qui est à l'origine du corps qu'elle presse contre son cœur.

— Mais bordel aide moi ! supplie-t-elle, sanglotant.

Elijah intervient, attrapant son bras, la forçant à se relever. Justine se tend, sentant contre sa peau la chaleur trop étrange du loup. Il réveille en elle une brûlure qui n'a rien de désagréable, avant-propos des pouvoirs qui pulsent dans son cœur.

Mais la magie n'appartient pas qu'à son âme et des volutes de fumées du même orange que ce qu'elle avait vu dans les images qu'on lui a jeté en plein visage entourent leurs deux corps. Ce n'est pas sa magie. Ce n'est pas son pouvoir.

Il a pourtant quelque chose qui la rassure, qui se glisse sur le derme de Jonathan. Elijah serre un peu plus le bras de la sorcière, les yeux mi-clos.

L'obscurité se fait plus forte et lorsque la lumière des étoiles éclaire de nouveau le parking, elle n'illumine que le vide le plus profond.

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