Chapitre 22.3

Un sourire revient flotter sur son visage. Elle jette sa veste, s'étire en lâchant un bâillement gargantuesque.

Justine n'a pas envie de parler des jours qu'elle a passé loin d'eux. Elle a envie d'oublier, pour une nuit, toutes les ombres qui se sont accrochées à elle. Rire, danser, crier sur de la musique pourrie. Boire jusqu'à en vomir.

Alors elle tourne les yeux jusqu'à Jonathan, une moue joueuse sur les lèvres.

—On pourrait fêter mon retour pas vrai ? demande-t-elle. Histoire de donner une bonne raison à Janette de ne pas aller au travail.

—C'est une proposition qui n'se refuse pas ! tonne Jonathan.

Il se lève, monté sur ressort et se dirige vers la cuisine. Justine le connait par cœur et elle n'est pas étonnée de le voir sortir des bières du frigo. L'indispensable dans une colocation, du moins aux yeux de la sorcière. Jane ne boit pas, ou alors très peu et pourtant, dieu que Justine aimerait que ce soit le cas plutôt que de devoir traiter avec des sachets d'héroïnes, à hurler pour que la jeune femme lâche ses aiguilles, à la retrouver dans des états terribles, à ne pouvoir l'emmener à l'hôpital de peur de ce qui pourrait se passer. Le cœur de Justine se serre mais rapidement, elle glisse un sourire sur ses lèvres. Elle doit accepter les propositions d'Elijah. Pour sa meilleure amie, pour lui assurer quelque chose, pour la sortir des griffes de ses sangsues des glaces qui s'abreuvent à sa gorge tous les soirs.

Elle baisse alors les yeux. Ce qu'elle s'apprête à dire lui arrache la bouche mais le glisser à Jonathan le rendra réel. Elle a pris sa décision et elle dira oui à Elijah.

—Je... je crois que j'ai trouvé quelqu'un qui pourra nous aider avec l'appartement, qui pourrait payer ses études à Jane sans qu'elle ait besoin de... de faire ce qu'elle fait.

—La tempétueuse Justine Hansen se serait-elle réduite à faire l'escort girl pour un p'tit vieux milliardaire ?

Son ton est moqueur et la bière qu'il lui tend se veut réconciliatrice mais elle ne peut s'empêcher de lever son majeur, plissant le nez en un pseudo sourire. Il l'aurait presque vexée si elle était aussi susceptible que ce qu'elle laisse croire. Mais Justine est bien différente dès qu'on ajoute ses amis à l'équation.

—Je t'emmerde bien cordialement Jo'. J'en suis pas à ce point. C'est... C'est hyper compliqué comme histoire mais ça explique en grande partie pourquoi je suis partie pendant aussi longtemps. J'peux pas vraiment en parler pour l'instant. Mais il m'a dit qu'il nous aiderait et j'ai toutes les raisons du monde de le croire. T'me connais. Je suis loin d'être naïve alors tu m'enlève tout de suite ce que je vois sur ton visage. Non, c'est pas un mec sur internet avec une belle gueule qui me propose de l'argent, promis.

Elle ne peut pas les mettre au courant de la vérité. Elle ne peut leur expliquer ce qu'elle essaye elle-même de comprendre. Jane ne posera pas de questions, simplement surprise. Et Jonathan.... Lui doit tout oublier. Il ne peut pas rester dans leur vie, qu'importe combien elle l'aime. C'est leur dernière soirée tous les deux, même si elle brisera le cœur de Jane.

—Tu fais c'que tu veux Justine, et j'sais bien que t'a la tête sur les épaules mais... fais quand même gaffe s'il te plait. Jane et toi vous êtes la seule famille qu'il me reste. J'veux pas que vous vous mettiez dans la merde pour des conneries comme l'argent... J'ai un peu de thune de côté si vous avez besoin.

—C'est pas pour moi Jo' et tu le sais atrès bien. Je veux pas que Jane continue à bosser dans un bar à vampire où elle risque de se faire bouffer à chaque seconde.

Une fois de plus Justine ne souffle pas toute la vérité. Jane ne faisait pas que travailler dans ce bar. Elle y vendait son corps et son sang, contre de l'argent et surtout de la came. Détails que Jonathan ignorait et n'était pas près de savoir. De toute manière, ce n'était pas à la sorcière de le mettre au courant et Jane n'aurait pas le temps avant qu'il n'ait oublié jusqu'à leur identité.

—J'pense très sincèrement que j'ai été virée du travail mais tant pis. J'en trouverais un autre, c'est pas ça qui manque. Je veux pas de tes économies Jonathan. Tu en as besoin.

Et tu en auras besoin, tu ne peux imaginer à quel point.

Elle veut qu'il refasse sa vie, qu'importe tout ce qu'elle doit demander à Elijah pour ça. Il n'a pas l'air de manquer d'argent, conte de fée un peu trop cruel. Il pourra bien faire ça pour celui que Justine a autrefois tué et qu'il a ramené à la vie.

Elle boit alors sa bière, en appréciant le goût comme s'il lui avait manqué. L'habitude de vivre avec Jane et à temps plus que partiel Jonathan. L'habitude de leurs soirées alcoolisées jusqu'à pas d'heure, à rire et raconter des blagues pas toujours drôles. A s'amuser comme le trio infernal qu'ils avaient toujours été et auraient continué à être si rien n'avait changé. Si le monde de Justine n'avait pas brutalement basculé. Elle ne veut pas de cette prophétie qui s'accroche à elle. Elle a accepté les ombres, bon grès mal grès. Mais le reste la terrifie au plus haut point.

La routine a quelque chose de tellement rassurant et agréable. Savoir que lorsqu'on va rentrer le soir, on trouvera quelqu'un contre qui se blottir. Au lieu d'ignorer s'il y aura un lendemain, au lieu de ne pas savoir jusqu'aux noms de ses ennemis. Les vampires, les loups, les sorciers et toutes les autres créatures dont elle n'a même pas conscience. Elle n'a pas envie de vivre avec eux. N'être qu'à la simple frontière de leur vie lui suffisait amplement.

Elle n'a pas le choix, litanie cruelle qu'elle se répète trop souvent.

—Bon, tu veux faire quoi aujourd'hui ? Fais toi plaiz, c'est moi qui régal ! lance Jonathan, la rappelant à l'instant présent.

—Pas besoin de dépenser des sous. Je sais pas c'qui a dans le frigo du coup peut-être qu'il faut all...

Elle n'a pas le temps de finir que déjà une furie brune lui saute dessus, les cheveux emmêlés dans une serviette humide, son visage enfantin éblouit par un sourire. Elle s'agrippe à ses épaules, une jambe à moitié en l'air. La bise sonore qu'elle plante sur sa joue veut tout dire. Jane a retrouvé l'intégralité de sa bonne humeur.

—T'me file une bière s'il te plait Jo' ? demanda-t-elle, comme si rien ne s'était passé avant de se laisser tomber sur le canapé.

Justine lève les yeux au ciel, incapable de contenir son sourire.

—Je disais donc, avant que tu ne me coupes pour la millième fois : est-ce qu'on a quelque chose à manger ?

—Des pâtes, j'crois qu'il y a quelque oeufs, deux trois tranches de bacon. Mais vu que Jojo est à notre service parce qu'il est en infériorité numérique, il va nous faire un merveilleux petit dej pas vrai Jo' ? Juju fera la grande et prendra du thé et moi je veux un bol de lait et des Reese's Puffs. A moins que, dans un sursaut de motivation, tu nous faces des pancakes ?

Le sourire angélique de Jane fait éclater de rire sa meilleure amie alors qu'elle tourne le même visage vers Jonathan. La petite a eu une merveilleuse idée. Il a dit qu'il régalait de toute manière. Alors autant qu'il le fasse en cuisinant comme il sait merveilleusement bien le faire. Ce dernier lève les yeux au ciel avant de leur offrir un grand sourire.

—Vous aurez un jour ma peau les filles...

Seul le rire des jeunes femmes répond aux mots de Jonathan et, alors qu'il disparait derrière le bar où il commence à préparer à manger, Justine sent le regard brulant de Jane sur son cou. La jeune fille n'est pas idiote et elle sait parfaitement que sa meilleure amie lui cache quelque chose.

Alors la sorcière lui demande, des yeux, de commencer à parler, attrapant les mains serrées de la plus jeune.

—T'étais où Ju. Tu m'as fait peur, j'ai essayé de t'appeler une bonne cinquante de fois. Pourquoi t'es partie ?

Un silence, unique. Un regard, qui suffit à tout savoir.

Et, en prenant garde à ce que Jonathan n'entende pas, Justine lui raconte tout. Elle lui parle d'Elijah, de la prophétie. Du médaillon qui pend entre ses seins, si différent des bijoux fins qu'elle avait autrefois portés. Les doigts de Jane le touchent alors que ses sourcils se froncent. Elle murmure qu'il est magnifique mais Justine ne peut s'empêcher de lui enlever et de le remettre à l'abri sous son t-shirt. Elle continue, parlant de son ancêtre, des rêves qu'elle ne comprend pas forcément. Et Jane l'écoute, pendue à ses lèvres, comme écoutant un conteur lui raconter une histoire merveilleuse. Sauf que tout est réel. Tout est bien trop réel.

Justine en a la gorge serrée lorsque Jonathan revient. Elle a prévenu la jeune fille qu'il ne doit pas savoir ce qu'il s'est passé. Que le surnaturel doit rester une simple ombre dans leur vie alors qu'il enserre maintenant Justine de ses doigts de glace. Le sourire du peintre lui fait chaud au cœur.

Son ventre hurle un gargouillis violent. Avec l'enchainement des évènements, elle n'a pas assez mangé durant ses quatre jours. Elle se redresse, pour attraper la théière mais Jonathan ne lui en laisse pas le temps avant de leur glisser, un large sourire sur les lèvres :

—Hop hop hop! Pas si vite. Un bisou chacune avant.

Eclatant de rire, les deux jeunes filles se prêtent au jeu et le cœur de Justine se serre un peu plus lorsqu'elle voit la manière dont Jane embrasse la joue du peintre. Les sentiments de sa colocataire lui explosent au visage mais elle fait semblant de rien, délivrant Jonathan de son plateau. Elle se sert une tasse, avant de la lever.

—A nous mes chéris ! Et à cette journée qui sera mémorable. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top