Chapitre 22,2
Elle tape le code de l'interphone, monte d'une traite les quatre étages sans ascenseur qu'elle maudissait assez régulièrement et rit de plus belle devant le pauvre morceau de papier collé au scotch. Justine Hansen et Jane Melark. Elle ouvre, certaine qu'à cette heure, Jane est encore entre les bras de Morphée. Déposant ses clefs dans le panier auquel elles avaient fini par trouver une utilisation, Justine s'avance dans le salon avec pour objectif la chambre de sa meilleure amie et une surprise de taille.
Son sourire disparait pourtant tout de suite.
Jane est bien là. Mais c'est dans les bras de Jonathan que la jeune fille dort. Elle semble presque heureuse ainsi, ses longs cheveux sombres recouvrant son visage d'ange. Les sourcils de Justine se froncent immédiatement devant la scène. Non par une quelconque jalousie – Jonathan est libre de faire ce qu'il veut, leur relation n'a rien d'un couple – mais simplement car elle a longuement prévenu le peintre. Il n'a pas intérêt de toucher à la fragile Jane, incapable qu'il est de ne pas briser les cœurs.
Vu son humeur immédiatement assombrie, Justine ne prend pas de gants. Elle ferme violement l'écran d'ordinateur devant eux et son pied vient frapper la cuisse du jeune homme. Sa voix est glaciale alors qu'elle le voit ouvrir les yeux et le visage du français veut tout dire : il sait qu'il n'aurait pas dû faire ça.
—T'es sérieux ? Vraiment Jonathan ! Je te laisse seul quelque jour et tu fais quoi ? T'en profite pour... ça ! Putain, j'te croyais pas comme ça abrutit ! Dégage de mon canapé ! Dégage de la merde ! Tu sais parfaitement que t'as le droit de toutes te les faire ! Toutes mais pas Jane bordel ! C'est quoi ton but ? T'crois pas qu'elle souffre assez comme ça !
La sorcière voit rouge. Jane a des problèmes, de graves problèmes et il est hors de question de rajouter Jonathan à la liste trop longue.
—Ju'.... C'est pas ce que tu crois, murmure la voix ensommeillée de la petite humaine.
Elle s'éloigne, comme brûlée par le contact du peintre. Ses grands yeux d'azur se posent sur Justine, la supplient de l'écouter, de ne pas s'énerver.
La sorcière est incapable de rester calme.
—On en parlera plus tard Jane. Jo', dégage ! Ou alors trouve moi une seule excuse qui justifie plus de deux secondes ta présence entre les murs de mon appartement.
—J'en ai une bonne d'excuse... Trois jours Justine. Trois putains de jours qu'on est sans nouvelles ! réplique t-il, comme un grondement.
Puis il se lève, face à elle, plantant ses yeux bleus dans les siens sans aucunes craintes.
—Tu m'crois capable de rester sans rien faire alors que Jane est toute seule chez vous pendant trois jours ?! Ouais, j'suis venu ici mais pas pour ce que tu crois. Uniquement pour prendre soin d'elle et essayer de nous rassurer parce que putain, trois jours ! Je croyais que...
Sa voix se brise avec violence, tandis que son regard s'est empli d'angoisse.
Justine se tait. S'écrase alors qu'elle comprend. Elle, si heureuse de retrouver Jane, a été blessé par la présence du peintre. Et ses nerfs en pelote lui ont échappés. Elle se sent coupable d'avoir abandonné sa meilleure amie aussi longtemps, de lui avoir permis de partir trop loin dans ces mondes imaginaires. Jane n'a qu'elle sur cette planète. Qu'elle pour essayer de contrôler le peu de logique de sa vie.
Alors elle a attaqué avant même de réfléchir. Les bras de Jane, les marques qui boursoufflent sa chair, les cicatrices dans sa gorge. Justine devait être là pour l'aider, pour arrêter les bras glacés, pour l'empêcher d'aller vendre son corps.
Trois jours peuvent sembler anodin. Mais trois jours pour Jane, c'est autant d'occasions de sombrer sans que personne ne lui vient en aide. Autant de possibilité de couler pour de bon dans cette drogue malsaine qu'elle ne parvient à abandonner.
—Pour info, on a juste grignoté en s'matant un film... Jane ne fait pas partie des autres. Je ne jouerais pas avec elle, j'te l'ai promis et j'tiens toujours mes promesses. Mais peut être doutes-tu de ça ?...
Justine se reprends, enterre sa fierté pour mieux encaisser le regard accusateur de Jonathan. Alors elle mord violemment dans sa lèvre inférieure. Et lui en rajoute, lui continue de se défendre. Lui parle, un peu plus. Elle baisse la tête, pour une fois avant de lui glisser, sur le bout des lèvres, comme si elle avait peur de le dire :
—Oui... C'est bon j'ai compris...désolée...
Ce n'est pas grand-chose de plus qu'un murmure mais ils savent tous à quel point c'est énorme pour elle. Justine ne s'excuse jamais. Elle a parfois tort mais refuse de le reconnaitre, son caractère de mulet plus fort que son amour pour les siens. Elle a perdu bon nombre de ses amis ainsi, mais elle joue la solitaire sans cœur et sans attache. Elle se fiche de blesser, de frapper et de mordre lorsqu'elle est acculée... Sauf pour Jane. Sauf pour celle qu'elle considère comme sa petite sœur.
Cette dernière ne lui laisse pas le temps de faire plus. Elle lui saute dans les bras, des larmes pleins les yeux. Elle la sert, fort. Très fort. Justine ne peut que savoir à quel point elle a manqué à la jeune prostituée. Alors elle la sert à son tour, l'entoure de tout son amour et, elle le sait malgré elle, d'un soupçon de magie qui s'est toujours réveillée au contact de la jeune fille.
—Je suis rentrée d'accord ? Je repartirais pas aussi longtemps. Promis, murmure-t-elle à l'oreille de Jane.
Puis un silence, avant qu'elle n'ajoute, un sourire sur les lèvres.
—Janette... Tu pues.
Un éclat de rire la secoue alors que l'étudiante, une moue boudeuse sur les lèvres, enfonce son poing dans ses cotes. Justine étouffe un nouveau rire alors que Jane s'éloigne, levant un majeur nerveux.
—Je vais me doucher si c'est comme ça... On va voir si je pue.
Justine ne répond que par un rire. Elle s'en veut pourtant déjà de faire ça à sa trop naïve amie. Jane ne marche pas. Elle court exactement dans la direction où on veut l'envoyer. Dès que la porte de la salle de bain claque, la sorcière relève ses yeux sur Jonathan, une expression bien plus grave sur le visage.
—Merci... J'ai pas trop eu le choix de partir. Mais merci d'avoir pris soin d'elle.
Car l'addiction de la jeune femme n'est un secret pour aucun de ses deux amis. Jane pense arriver à le cacher mais les marques sur son corps veulent tout dire. Justine aimerait la sauver. Elle ne parvient qu'à la soulever légèrement sans pour autant réussir à la sortir de la toile dans laquelle Jane s'est enfoncée.
—T'as pas à me remercier. J'tiens à Jane autant que tu tiens à elle, et autant que je tiens à toi. Je suis pas ton père, mais préviens moi la prochaine fois que tu décides de foutre le camp d'accord ? Je me suis dit une centaine de fois que j'devais appeler les flics, puis je me suis ravisé en me disant « mais qu'est c'qu'ils vont faire contre ces... contre ces choses »
Justine se bloque, les yeux écarquillés. Comme a-t-elle pu oublier ça ! Elle le revoie tomber, face contre Terre. Elle revoie Eliljah murmurer, elle sent à nouveau la magie.
Mais Justine reste forte, refusant de s'assoir. Elle se contente de plonger ses yeux dans ceux de Jonathan, attendant la fin de ses mots. Car, si elle a levé une main horrifiée devant sa bouche aux souvenirs, il ne lui a pas encore répondu concernant Jane et elle peut dire tout ce qu'elle veut : la petite brune sera toujours devant tout le monde dans l'ordre de ses priorités.
—Elle s'est re piquée ?
—Non. Enfin pas pendant que j'étais là. On est resté ensemble, elle est même pas allée au boulot hier soir. C'est complètement dingue ce qui arrive. J'me souviens parfaitement d'la soirée que j'ai passé avec toi au Blue Sparrow alors qu'tu bossais, mais ensuite plus rien jusqu'au lendemain. J'ai beaucoup bu, non ? demande-t-il, l'inquiétude flamboyant au fond de ces yeux.
Justine déglutit, à nouveau.
Jonathan doit oublier tout ça. Vraiment oublier. Il doit sortir de ce monde où elle l'a entraîné contre sa volonté. Car elle ne connait que trop bien le français et sait parfaitement de quoi il est capable en la voyant en danger. Ce qui est drôle et attachant face à des humains ne l'est plus face à des créatures dangereuses. Les vampires et les loups pourraient lui arracher la tête d'un simple mouvement de poignet, comme on se débarrasse d'un insecte gênant.
Alors, pour l'instant, Justine doit mentir. Et ensuite demander à Catherine de l'aider à manipuler l'esprit de Jonathan pour qu'il oublie tout. Elle devrait faire de même pour Jane mais elle n'en a pas le courage. Elle ne veut pas se retrouver seule, pas encore. Les loups et sa grand-mère ne sont pas là depuis assez longtemps pour qu'elle leur offre la même confiance qu'à sa meilleure amie.
—Oui, répond-elle finalement. T'étais complètement ivre alors on t'a ramené. J'suis désolée Jo'. J'aurais dû vous appeler mais j'ai perdu mon téléphone en essayant de te porter. Je... J'ai rencontré quelqu'un ce soir-là et... On va dire que tu l'as pas très bien pris. T'le sentait pas que tu m'as dit. Jo'.... Je sais que ça va te sembler complètement idiot dit comme ça, surtout après la crise que j'viens de piquer mais... merci pour Jane.
—J'aurais voulu faire plus pour l'aider, Justine, dit-il en enfilant sa veste.
Leurs yeux se croisent mais ne s'accrochent pas. La jeune femme ne détourne pas les siens. Il n'a pas fini, elle le voit à tout ce qui vibre dans son regard. Il a d'autres mots à lui demander, d'autres phrases à lui murmurer. L'esprit de Justine bouillonne, fléchit face à ce qu'elle veut faire. Jonathan a toujours été là pour elles. Et il mérite bien plus que de vivre dans leurs ombres.
—S'il s'était passé quoi que ce soit entre elle et moi, me croirais-tu vraiment capable d'lui faire du mal ? demande-t-il, comme un enfant quémandant une permission .
—T'as fait souffrir toutes les meufs avec qui tu es sorti Jo'. Sans exception. Tu peux comprendre que j'ai des doutes non ? Mais Jane est grande, si elle en a envie et que toi aussi, je suis pas sa mère. Je ne te le pardonnerais juste pas...
La moue préoccupée de Jonathan n'atteint pas la sorcière alors qu'elle finit par se laisser tomber dans son canapé.
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