Chapitre 19, partie 1 : le rêve d'Alexander
Alexander s'était enfuit, sans même laisser le temps aux autres vampires de réagir.
Il avait suivi les trois mortels, s'engouffrant dans les ombres, se servant de son pouvoir pour ne devenir qu'un murmure. Mais il avait rapidement perdu leurs traces.
Le vampire avait tourné quelques heures, cherchant où Abigaël pouvait bien les mener. Ils ne seraient assez fous pour se rendre chez la sorcière blonde où il était trop facile de les dénicher. Non.... ils s'étaient certainement perdu derrière la chasseuse, jusqu'à cet appartement désaffecté où Alexander l'avait autrefois aimé. Où ils avaient échangé leur sang, liant pour l'éternité leurs âmes maudites, créant un lien qui ne pourrait jamais disparaitre.
Le vampire ne s'était pas immédiatement rendu aux côtés de cette femme enfant qui refuserait sa présence. Il s'était perdu dans quelques souvenirs trop beaux, s'oubliant dans des phases de contemplation qui le rendait bien fragile. Il avait volé jusqu'à l'an mille, lorsqu'il était né pour la seconde fois. Jusqu'aux siècles qu'ils avaient passé en compagnie de son créateur. Jusqu'à l'arrivé d'Eve dans leur vie. Jusqu'à sa trahison.
Puis il s'était réveillé. Il avait bondi comme un prédateur et avait commis un massacre. Il avait tué, sans le moindre respect pour le secret. Le Conseil voulait de toute manière déjà sa tête. Il s'était nourri à la gorge des pires déchets de l'humanité, déchirant des nuques, faisant couler une hémoglobine trop lourde et chargée de drogues.
La créature pleine de noblesse qu'il était venait de mourir.
Couvert de sang, il s'était laissé enivré par la trop grande quantité de globules rouge qu'il avait aspirés, presque à s'en donner la nausée. Il s'était couché dans un lit carmin, les yeux fermés alors que des larmes sanglantes roulaient sur ses joues. Alexander s'était plu à danser avec les corps avant de les détruire et d'arracher méticuleusement tous les cœurs de ses proies.
Il a fini par sortir de l'ombre avec laquelle il avait joué pendant toute la nuit.
Le vampire s'est débarrassé de ses vêtements avant de longer les murs. Il évitait ainsi une grande partie des rayons du soleil qui brulaient son derme. Alexander avait vieilli sans même voir les années passées.
Il tue une dernière proie, dans le plus grand silence pour lui voler ses vêtements, prenant soin de l'achever sans effusion de sang. Les cheveux détachés, la peau encore rouge et les yeux fous, le vampire ressemblait à un aliéné, échappé de l'asile.
Son esprit n'a pourtant jamais été aussi clair.
Abigaël a choisi un camp, l'abandonnant pour de bon. Elle a courbé l'échine devant d'autre, sans sang ni coups. Elle a suivi l'Irlandaise, rejoignant les sorcières dans la foulée. Ces mêmes femmes qui haïssaient tout ceux de son rang et ne rêvaient que de leur mort.
Les poings de l'immortel se serent, abîmant la jointure de ses mains. Le constat est facile à faire. Il ne la reverrait jamais. Ou plutôt, il ne la posséderait plus jamais.
Il remonte les rues obscures de San Francisco avant d'arriver jusqu'à Daven. Le quartier ne compte maintenant plus que des rats et des bâtiments en ruines. Il ne croise personne jusqu'à arriver à l'appartement qui l'intéresse. Tout, des fenêtres cassées jusqu'à la porte branlante et les murs tapissés de tag, indique un repère de junky. Il l'était avant l'arrivée du vampire...
Son ouïe s'affine, perçant les murs trop fins, se faufilant à travers les couloirs jusqu'à attraper trois cœurs. L'un d'entre eux pulse bien plus vite que celui d'un mortel, indiquant mieux que tout autre chose la présence d'Abigaël.
Alexander se redresse alors, attirant l'odeur de sa chasseuse. Elle a changé et son parfum si habituel est couvert par un autre, bien plus acre.
Durant une seconde, il hésite. Il sait qu'il se jette dans la gueule d'un loup plus terrible que tout ceux qu'il avait autrefois affronté, plus terrible même que ceux qui avait peuplé les contes de son enfance. L'odeur d'Abigaël lui a été volé. Ce n'est plus sa princesse des ténèbres qu'il sent mais celle d'une autre. Une créature étrange qu'il ne connait pas.
La rage embrume son regard avant qu'il n'entre dans l'appartement.
Le fumet des deux humains l'accueille mais il n'a plus faim. Faith repose dans les bras de son mortel, la gorge dévoilée, paisible dans son sommeil. Le vampire les regarde, quelques secondes, avant de se laisser guider par le lien obscur qui l'uni à Abigaël. Elle est terrée dans la noirceur des sous-sols, dans la cave trop froide où elle entassait ses armes.
Il descend les escaliers sans plus une once de prudence. Ses pas claquent contre la pierre glacée, raisonnant dans le silence.
Penchée sur un microscope, Abigaël est assise, un genou replié sous son corps. Elle semble à des milliards de kilomètre, tout aux travaux qu'elle effectue. Le regard d'Alexander se pose sur les rats qu'elle a enfermé dans des cages et qui glapissent en le voyant arriver. Plusieurs petits corps morts gisent au milieu des autres, sans qu'elle n'ait pris la peine de les sortir.
Elle a fait des expériences sur eux.
-Abi... murmure-t-il, trop doucement pour que des oreilles humaines puisse le percevoir.
Mais elle n'est plus humaine. Son parfum souffle autre chose. Une odeur alléchante qui rompt de secondes en secondes le lien qui les unis. Il la perd. A moins qu'il ne l'ait déjà perdu pour l'éternité.
Alexander n'est pas idiot. Il a senti le brusque sursaut de magie offert par la sorcière s'enrouler autour de la chasseuse. Abigaël est devenue une Protectrice à l'instant même où elle s'est laissé faire. Une créature qui avait pour seul but de détruire tous ceux qui essayeraient de s'en prendre à sa sorcière. Une créature qu'il ne connait que trop bien.
Et pourtant, l'odeur entêtante qui enivre les sens du vampire n'a rien à voir avec un quelconque rôle de bouclier. La jeune femme a fait autre chose, modifié le sang qui coulait dans ses veines, utilisant un pouvoir qu'il ne comprend pas et surtout ne connait pas.
L'atmosphère s'en encore rafraichie.
La chasseuse ne le regarde pas, ne daignant pas même se tourner vers lui alors qu'elle l'a entendu. Il sent la colère et la rage dans le lien qui les unissait et qui se meurt, doucement. Il la sent s'échapper et, pourtant, il tente de la retenir mais elle file comme de l'eau entre ses doigts. Il aimerait s'approcher, la toucher, la faire revenir. Se la réapproprier.
Mais il ne bouge pas.
Le silence se fait plus épais alors que le vampire tente de se concentrer. Il voit des choses qui ne sont pas là, le sang salis des mortels qu'il avait tué faisant resurgir des souvenirs douloureux. Il la voit, si jeune et si prometteuse. Il la voit transformer l'adoration qu'elle lui portait en un amour aussi pur qu'elle aurait dû l'être s'il ne l'avait arraché à son destin. Elle devait savoir. Tout savoir avant de pouvoir pour de bon le haïr.
-T'as rien à faire ici. lance-t-elle, la voix piquée de glace.
-Je suis désolé... murmure-t-il.
Sa voix est un souffle déchiré par sa propre douleur mais il n'en a que faire. Il est une ombre, l'ombre d'un monstre qui supplie de ses iris gonflés de larmes.
Faible. Si faible.
-Je suis venu Abigaël. Je sais pas ce que t'as fait subir Salazar là-bas. Mais j'suis venu te chercher.
Ses mots la font se retourner brutalement. Ses yeux n'ont plus rien à voir avec ceux qu'il connaissait. Le regard qu'elle pose sur lui est dénué de toute lumière, si différent, empli d'une lueur verte qu'Alexander ne lui a jamais vu.
-Oh je t'en prie ! Arrête de me prendre pour une conne... Alexis. T'es qu'un foutu bâtard hypocrite qui pense qu'à sa gueule, pourquoi t'aurai pris le risque de venir me chercher moi hein ? J'suis une putain parmi tant d'autre...
Elle s'approche de lui et ce qu'il lit dans ses yeux fait frémir l'immortel. Elle n'est plus cette enfant ayant grandi trop vite qu'il avait modelé selon ses désirs. C'est une femme adulte à l'odeur enivrante qui se dresse devant lui, brulante de rage et de haine à son égard. Elle veut sa tête. Il ne bouge pas.
-Tu peux croire aux mensonges que Salazar t'a foutu dans la tête Abigaël. Mais les faits sont clairs. J'étais là quand tout a dérapé. J'étais là pour te sauver. J'étais présent. Je suis venu pour toi. J'ai vendu mon âme pour toi. J'ai vendu ma liberté, promettant à des fous mon allégeance. J'ai besoin de toi Abigaël ! Tu n'as aucune idée de la merde dans laquelle on se trouve.
-Croire ? Mais je sais même plus quoi croire, ni qui croire. Je sais même pas qui t'es, Alexander. J'sais rien de ce monde dans lequel tu m'as jeté ! J'sais même plus qui je suis. Je croyais être juste une chasseuse. Je croyais être juste une humaine qu'un putain de vampire avait pris sous son aile. Tu m'as mentit Alex ! T'me ment depuis le début !
-Parce que tu crois que j'avais le choix ! Tu veux quoi Abigaël ?! Tu veux savoir quoi ?! Ma vie ?! Ce que je suis ?! Je pense que Salazar c'est fait une joie de t'expliquer où il a récupéré le petit sorcier que j'étais. Qu'il m'a trouvé dans les ruines d'une France qui se mourait, au plus profond d'un obscurantisme violent. Tu veux quoi Abi ?! Vas-y, dis-moi ! Dis-moi ! Je t'écoute, je suis tout à toi aujourd'hui ! Tu veux savoir qui tu es ? Tu veux savoir où je t'ai trouvé, de quoi je t'ai sorti ?!
La chasseuse ne répondit pas. Les iris d'Alexander brûlent de rage. Il a envie d'attaquer, ses yeux à deux doigts de déverser des torrents de larmes. Son odeur lui hurle qu'il l'a perdu mais plus encore, ses réactions qui lui apprennent avec terreur qu'elle n'est plus à lui.
-J'étais amoureuse de toi, j'étais prête à tout pour toi. Je me fiche de ce que tu es et de ce qui t'as amené à me choisir. Malgré tous ce qu'a dit Salazar, j'ai espéré jusqu'à la dernière seconde de te voir apparaître. Te voir surgir de l'ombre alors qu'il me salissait. Te voir me sauver. Je suis morte pour toi Alex, mais t'es arrivé trop tard, glisse-t-elle, les traits tiraillés entre la rage et la tristesse.
-Salazar a toujours bien réussi à détruire ce qui ne lui plaisait pas, réponds Alexander. Il a construit sa couronne sur les ruines des sentiments. T'étais pour lui si parfaite. Si facile à atteindre pour me détruire moi... J'ai pas su te protéger, j'le pensais mort. Vous avez essayé de partir trop tôt avec ta sorcière. Quelques heures de plus et je te sauvais. Je pouvais pas venir seul. J'aurais pas réussi.
Il relève les yeux, essayant de croiser les prunelles teintées d'émeraudes de la chasseuse. Même ses yeux ont changé.
Un rat glapi dans l'ombre alors qu'un autre l'attaque, détournant l'attention du chasseur. Il s'approche des rongeurs, découvrant les multitudes de corps qui garnissent une table d'opération improvisée.
-Qu'est-ce que tu as fait Abi' ? Qu'est-ce que tu as mis dans tes veines ? T'es pas une magicienne mais t'en a l'aura autour de toi. Qu'est ce que t'as foutu ?
-Ce que j'ai fais ? J'ai fait ce que j'devais faire. Je me suis battu pour survivre, et je me battrais encore.
Alexander n'a pas le temps de réagir qu'Abigaël, mortellement rapide, attrape entre ses doigts une lame qu'elle enfonce violemment dans la paume de sa main. Des perles de sang explosent, se transformant rapidement en une marée carmine qui serpente sur son avant-bras. Elle lève alors sa dextre, lui montrant la plaie profonde.
L'odeur du sang éclate aux narines du vampires, déchaîne ses passions, enivre son cœur et son âme. Il est drogué, détruit jusqu'à la moelle. Pourquoi fait-elle ça ? Elle sait parfaitement qu'il n'a aucun contrôle.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top