Chapitre 14

Eve croise ses longues jambes alors qu'elle s'installe enfin à la terrasse de son bar favori.

Le froid mordant lui offre un extérieur vide et la tranquillité qu'elle désire. Elle allume une cigarette qu'elle laisse se consumer entre ses doigts, s'entourant d'une buée nébuleuse. La française aime vivre dans le spectacle et si elle ne peut pas faire une entrée théâtre alors qu'elle attend, elle veut que Cadavrius ne voie qu'elle lorsqu'il arrivera.

Son téléphone vibre sur des messages de son Sire. Eve ne prend pas même la peine de les lire, les yeux plongés dans la foule. Les mortels sont pressés, comme toujours. Leurs pas rapides accélèrent les pompes qui battent dans leur poitrine, faisant rougir leur pommette. Ils remontent Market Street à toute vitesse, se dirigeant d'un pas certain vers les bâtiments qui entourent l'hôtel de ville. Des politiciens et les morpions qui s'accrochent à leurs pattes, presser de s'enrichir un peu plus. 

Les mortels ont toujours fasciné la vampire. Seul peuple capable de s'autodétruire avec une application toute particulière, prêt à tout pour emporter le reste du monde dans leur chute. Le Conseil avait depuis longtemps réagit pour sauver le bétail, plaçant à quelque endroits stratégiques leurs créatures pour tenter de raisonner les gouvernements avides. Ils n'avaient malheureusement pas changé grand-chose, ouvrant juste les consciences, entraînant les proies à manger mieux, se garantissant un sang plus pur. C'était bien malheureusement trop peu et la nourriture devenait de plus en plus fade. Lorsqu'Eve était encore une nouvelle née, au début du 18ème siècle, se nourrit était si facile et même le clochard étaient presque purs... 

Son téléphone vibre une nouvelle fois, la sortant de ses pensées en lui annonçant l'arrivée imminente de l'Ancien. La première fois que les deux immortels s'étaient vus. Salazar était encore en "vie" dans tout l'officiel de sa condition et Alexis alors un véritable prince à leurs côtés. Son prince. C'était entre les murs secrets du Conseil qu'elle avait pour la première fois croisée celui qui la rejoignait ce soir. Alors qu'ils régnaient, sourire carmin visé aux lèvres. 

Selon Sophia et Salazar, elle était la mieux placée pour parler avec l'étrange immortel dont personne ne parvenait à comprendre les idées. Eve n'en était pourtant pas certaine, mais, fière de ses habitudes, elle gardait la tête haute et attendait. Cadavrius ne l'avait jamais vraiment regardé, son attention concentré sur le danger que représentait déjà Alexis pour le secret.

Elle commande un cocktail alcoolisé, consciente qu'elle n'y touchera pas. La seule boisson qui peut la satisfaire est contenue dans les veines de la malheureuse et pourtant sublime serveuse qui lui servira de repas ce soir. La virginité de la jeune femme brule dans ses prunelles et pulse dans le sang qui fait déjà ronronner l'immortelle.

Eve se reprend rapidement alors qu'elle sent la présence de son invité et un sourire étire ses lèvres. Il s'assoit en face d'elle, le visage de marbre. 

-Cadavrius. C'est un plaisir de te revoir. Comment se porte l'immortalité ? demande-t-elle


Eve s'installe un peu mieux sur sa chaise, gros chat paresseux et écrase sa cigarette dans le cendrier. Ses iris bleues détaillent l'immortel, s'attardent sur les ténèbres qui s'échappent de ses yeux et de ses cheveux. Il est impeccablement mis, comme à son habitude.

Les deux vampires ont l'air de business man en pleine signature de contrat, ressemblant à deux mortels comme on en voit tant dans le quartier qu'Eve a choisi.

Ce ne sont pourtant pas de vulgaires papiers qu'ils vont parler. Des détails bien plus sanglants viennent s'attacher à leurs paroles et déjà, Eve commence à s'amuser. Elle ne lit pas dans ses pensées, pas encore.

-On ne peut mieux. Mais je suppose que tu ne m'as pas fait venir ici pour t'assurer de ma santé Eve, déclare Cadavrius.

Un sourire étire un peu plus les lèvres de la vampire. Il ne veut pas tourner autour du pot, comme d'habitude. En venir au vif du sujet le plus rapidement possible. Elle ne répond pas tout de suite, avisant la serveuse qui s'approche pour prendre la commande du nouvel arrivant. Elle semble intimidée, comme toutes les mortelles croisant la route du vampire.

-La même chose, je vous prie

La serveuse baisse la tête avant de rentrer, frissonnante.

Le froid ne semble pas gêner les immortels alors que le vent commence déjà son manège, charriant avec lui les efflues salins de la mer.

-Salazar aimerait des nouvelles de son ami de toujours. Voilà trop longtemps qu'il ne t'a pas vu et trop longtemps que tu ne réponds à ses messages,  lance Eve.

Elle attaque, trop impatiente pour tourner autour du pot.

-Il veut également connaitre les dessous de tes pensées. Tu as beaucoup trop bougé récemment et tu as touché les ficelles d'araignées qui ne le désiraient pas. Tu sais comme moi que Salazar hait la trahison. La tienne le peinerait grandement.

Eve agrémente ses paroles d'un sourire aussi faux que les promesses des traîtres. Elle porte son verre à ses lèvres, goûtant une gorgée du cocktail. Comme toujours, l'alcool n'a pas le moindre goût et glisse dans sa gorge telle de la cendre liquide.

-J'ai bien l'impression que Salazar s'enferme un peu trop dans son antre. Est-il devenu à ce point feignant pour ne pas se déplacer et t'envoyer à sa place ? lance Cadavrius, sans se départir de son sourire sarcastique.

-C'est que les distractions ne manquent pas et que tout vampire millénaire qu'il soit, il perd rapidement la notion du temps. Je parierai qu'il nous croit toujours au début des années 20. 

Un rire bref franchit ces lèvres, n'illuminant ces yeux que quelques secondes. Cadavrius se penche, comme s'il s'apprêtait un dire un secret, le regard visé à celui de la vampire.

-Tu n'auras qu'à lui dire que je ne trahi que mes ennemis et que, s'il souhaite savoir si il en fait partie, j'attends sa visite avec impatience,  énonce-t-il, trop calmement.

Un sourcil de l'immortelle se soulève, interrogatif.

Elle soutient son regard, tentant de lire entre les lignes en évitant d'utiliser ses pouvoirs. Des années d'expériences ont appris à la vampire à ne plus se laisser porter par les émotions, à ne plus céder à la facilité.

Cadavrius ne lui facilite pas la tâche et elle n'a pas le temps d'en demander plus que la serveuse revient et dépose un Long Island devant l'Ancien.

-Tu sais, Eve, je ne suis pas du genre à dévoiler si facilement ce que je pense. Salazar devrait le savoir depuis le temps. 

-Il ne se déplacera jamais pour une simple discussion si c'est ce que tu attends. Il m'a envoyé. Ne t'attends pas à plus.

Un rire lui réponds, aussi bref qu'un jappement. Cadavrius se joue avec application d'elle et elle se laisse tomber dans sa toile, comme une enfant ayant depuis longtemps oublié les règles du jeu.

Eve retient une grimace.

Elle doit mener la danse, sans cavalier pour la guider. Salazar n'est pas le seul à attendre. Sophia veut des réponses et la vampire ne peut se permettre de décevoir les Dragons.

-Parle-moi un peu de toi Eve, demande l'immortel, rompant le silence trop pesant. Pourquoi t'acharnes-tu à servir alors que tu pourrais si facilement gouverner ?

-Salazar est mon Sire Cadavrius. Je sais que ce terme ne signifie rien pour toi mais je suis femme de tradition et je respecte les lois du Conseil, réplique-t-elle, sans se laisser une seconde pour réfléchir à ses paroles.

Son regard est froid, ayant perdu le peu de chaleur qui avait réussi à s'infiltrer dans les prunelles de glace. Il a touché une corde sensible et il le sait parfaitement, se régalant de son expression.

-Je n'ai aucune envie de gouverner si je ne suis pas aux côtés de Salazar, ajoute la vampire. Tant que je n'aurais pas réglé quelques détails de notre vie, je ne le quitterais pas.

-Quelle loyauté Eve, tu m'épates ! lance-t-il, moqueur.

La vampire lui envoie un énième regard noir avant de le quitter des yeux, ses iris se perdant dans le vide. Elle n'aime pas l'ironie qui entoure chaques paroles de l'Ancien. Eve se croyait puissante dans le maniement des mots mais elle n'a affronté que des mortels, des humains n'ayant pas eu le temps d'apprendre les joies de la manipulatrice rhétorique.

- Ce détail ne serait-il pas le fameux prince des ténèbres ? Alexis fait parler de lui depuis qu'il détient le corps et l'esprit de sa redoutable chasseuse. Je serais curieux de la rencontrer, l'on dit qu'elle est... irrésistible, ajoute Cadavrius, s'amusant du liquide qui tournoie dans le verre qu'il tient désormais entre ses doigts.

Les ongles d'Eve s'enfoncent dans ses paumes aux paroles de l'immortel. L'émail attaque la peau sensible mais la française n'y prête pas la moindre attention., canalisant la douleur pour mieux tenter de l'utiliser.

Mais la colère de la vampire n'est pas feinte et elle parvient difficilement à ôter de son esprit les images qu'elle a perçu d'Abigaël. Cette créature pitoyable qu'Alexis semblait incapable de quitter.  Peu importe ce qu'elle semble être, peu importe la magie protectrice qui flotte dans ses veines. Elle n'est rien. Et...

-Elle n'a rien d'irrésistible.

Les mots lui échappent, perçant ces pensées.

L'odeur de son propre sang vient chatouiller ses narines, calmant ses nerfs mis à vif par l'Ancien qui lui fait face.

-Alexis a perdu son titre de prince à l'instant même où il a quitté Salazar. Il s'invente un rang pour oublier qu'il n'est plus rien et que même le Conseil veut sa tête. Il n'a rien d'un être des ténèbres et il le prouve une fois de plus en s'attachant à une mortelle. Sa chasseuse n'est qu'une pauvre créature apeurée. 

Eve laisse un silence flotter, avant d'ajouter, un sourire froid sur les lèvres. 

-Elle ne t'intéressera de toute façon pas. Pas assez... lupine.

Cadavrius veut jouer, maitrisant des cartes qui arrachent le cœur mort de la vampire mais elle sait également où chercher les mots qui frappent le plus fort. Elle sait qu'il côtoie des loups et surtout une de trop prêt. Elle sait que cette dernière grandit aux côtés du loup gris sur l'île que les vampires ne peuvent fouler sans perdre la vie.

Et que cela brise un peu plus Cadavrius à chaque seconde.

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