Chapitre 11

Il y a de trop nombreux visages à cette fête où Justine n'est pas invitée. Les hommes et les femmes tournoient dans des tenues époustouflantes. L'or côtoie le pourpre, l'argent s'amuse de l'azur. Les bijoux s'illuminent à chaque fois qu'ils croisent le reflet du soleil, trop nombreux aux gorges des femmes si riches qui ondulent dans une valse ancienne. Les échines se courbent, les sourires se font factices alors que tous se rencontrent et s'éloignent.

Les sourcils épais de Justine se froncent.

Où est-elle ?

Elle n'a jamais vu un tel lieu, jamais observé tant de richesses. La fête, en extérieur, semble avoir été créée par des grands pompes d'un monde qu'elle ne connait pas. Elle a l'impression d'être dans un souvenir, son regard voilé par une brume nébuleuse. Sa vision est pourtant claire et elle ressent contre sa peau le vent de fin d'été, encore chaud. Les odeurs lui montent au nez, rempli des parfums capiteux.

S'approchant du bar, la jeune femme demande un verre d'eau. Elle a besoin d'éclairer son esprit. De faire le point. C'est bien la première fois qu'elle se retrouve incapable de savoir quoi faire, ses yeux ne lâchant pas tous ces fantômes qui discutent avec ferveur.

Le souffle du vent court sur sa peau, menant à elle trop d'effluve inconnue.

Le barman se saisit d'un verre, le remplissant d'un champagne presque trop jaune. La sorcière s'étonne, questionne des yeux. Il ne la regarde pas, sourit à quelqu'un derrière elle. Justine n'a pas le temps de se retourner qu'une main traverse sa poitrine et attrape le verre comme si elle n'était faite que d'ombre.

Elle ouvre alors de grands yeux stupéfaits. Où est-elle par tous les dieux ? Son regard se porte jusqu'à la lune, cherchant une réponse qu'elle ne reçoit pas. La sorcière sent son cœur s'emballer dans sa poitrine alors qu'elle frémit. Elle doit être dans un de ses rêves, dans un des songes qu'elle fait depuis qu'elle est arrivée sur l'île de l'Aurore. La magie essaye de lui parler, de lui confier des secrets que Justine n'arrive pas à interpréter.

Les yeux de la sorcière détaillent les environs, essayant de glaner des informations sur le lieu où elle se trouve et surtout sur l'époque.

Elle a déjà vu bien des choses la nuit dernière, des visages qui l'ont suivi dans une forêt où elle courrait, essayant vainement de leurs échapper. Mais le rêve de cette nuit n'a rien à voir avec les autres.

Elle contrôle son corps mais pas ce qui l'entoure, comme si elle avait mis les pieds dans un souvenir. Ses yeux bleus glissent sur l'immense bâtisse blanche qui lui fait face, toute en colonne et en boiserie. La propriété a tout d'une maison coloniale du Sud des Etats-Unis, une demeure de plantation où on vécut des maitres et des esclaves. De nombreux hommes de couleurs servent des blancs qui ne leur prêtent la moindre attention. La belle ne fait aucun commentaire, se contentant de détailler les riches sudistes qui discutent. Vu les tenus qu'ils portent et la très faible présence d'homme durant ce diner, la guerre de sécession doit battre son plein. Un rire attire l'attention de Justine et son regard se focalise sur une femme à la beauté irréelle.

Elle semble être la reine de la soirée. Vêtue d'une robe bordeaux qui enserre sa taille de guêpe, l'inconnue sourit à tous alors qu'ils viennent la saluer. Le regard de Justine s'attarde sur le pourtour du décolleté agrémenté de dentelles travaillées, sur les rubans de sois sombres qui décorent son corset et sur les longues manches taillées à l'Européenne. L'opale argentée qui brille à son cou attire tous les regards. Justine se sent attirée par la créature, presque hypnotisée. Les iris de la jeune femme se posent sur elle, comme si elle la voyait et la sorcière ne peut s'empêcher de faire un pas en arrière.

L'inconnu la voit, va jusqu'à lui adresse un sourire avant de la quitter des yeux, ourlant ses lèvres d'un sourire. Elle offre son attention à un homme dont leurs mots semblent ne pas la toucher.

Justine la dévisage, de ses immenses yeux bleus à ses longs cheveux bruns qui cascadent dans son dos. Elle s'attarde sur les pommettes hautes et sur les lèvres pulpeuses, sur les tâches de son qui parcourent son nez en trompette et ses joues, lui donnant un air mutin et enfantin que ses iris font disparaitre. Il y a quelque chose de dangereux dans ses yeux. Elle semble en avoir trop vu pour une femme aussi jeune. Car la rêveuse en est certaine, elle ne doit pas avoir plus de vingt ans.

L'inconnu change pourtant brutalement. Son regard, à peine intéressé, s'illumine. Un nouveau venu vient de se joindre à la fête. Le jumeau de la première, sans aucun doute. Leurs traits se ressemblent sans pour autant être identiques.

L'homme est beau, bien plus beau que ceux que Justine a vu auparavant. Ses yeux bleus semblent deux morceaux d'azur arrachés au ciel. Sa mâchoire trop dure, ses bras trop puissants, son visage trop envoutant, attirent les mêmes yeux que sa jumelle. La sorcière ne sait pas qui ils sont mais ils semblent bien trop parfaits pour n'être que de simple humain.

— Elizabeth. Joyeux anniversaire ma chère sœur, déclare l'homme, tout sourire alors qu'il plante une bise sur la joue de sa sœur.

— Joyeux anniversaire à toi également William, susurre la jumelle, un sourire carnassier sur les lèvres.

Justine recule encore plus devant la force du regard qui s'abat sur elle. Elizabeth. Voilà donc comment se nomme cette créature qu'elle n'avait jamais vu autrefois mais qui a certainement son importance pour venir ainsi s'engouffre dans ses rêves. La sorcière déglutit, sentant qu'elle perd tout contrôle sur son subconscient. Les nuits ne sont plus reposantes depuis qu'elle est arrivée sur l'île de l'Aurore.

— Il faut que je te parle William. Loin de tous ceux qui ne sont venu que pour les beaux yeux de père et le rêve de se voir accorder ma main, glisse Elizabeth à l'oreille de son frère.

Ce dernier lui offre un sourire avant de la suivre. Justine ne se laisse pas une seconde pour réfléchir avant de leur emboiter le pas.

Elizabeth la discerne, c'est certain. Si la sorcière n'a aucune idée du lieu où elle se trouve, elle sait qu'il s'agit d'un souvenir où elle s'est invitée. L'autre ne devrait pas la voir, ne devrait pas avoir conscience de sa présence. Mais les faits sont devenus des mirages depuis qu'elle a rencontré Elijah et si Elizabeth peut lui offrir des réponses, Justine ne se fera pas prier. Elle ne supporte déjà plus d'être spectatrice, toute à son impatience. Elijah est incapable de lui expliquer les visages qu'elle découvre dans ses rêves. Qui sont tous ses gens ? Elizabeth semble en savoir bien plus que le loup qui la retient sur l'île de l'Aurore.

Les jumeaux remontent une petite côte, sans un regard pour le monde qui les entourent. Ils se dirigent jusqu'à un arbre isolé des bruits et des oreilles indésirables. Les iris bleues de la sorcière s'attardent sur le paysage qui s'étale en contrebas. L'immense demeure semble trôner comme une reine au milieu des richesses, exposant bien trop sa puissance sur les hommes qu'elle asservit.

Elizabeth s'assoit dans l'herbe humide, aussitôt suivit par son frère.

Elle glisse un doigt sur le torse de William, faisant naitre le désir dans le regard affamé du jumeau. Ce dernier court jusqu'à la gorge de sa sœur mais elle l'arrête, un sourire énigmatique accrochée à ses lèvres pleines. Elle relève l'opale entre ses seins, sa lueur orangée rebondissant sous les rayons du soleil, colorant la dentelle de reflet roux. Montée sur un socle de métal, la pierre semble être terriblement lourde. Les yeux du jumeau se focalisent sur le bijou et ses yeux se parent d'interrogation.

William s'éloigne légèrement, attrapant la pierre entre ses mains. Au contact de ses doigts, cette dernière semble s'illuminer, marquant dans l'opale des veinules rougeâtres.

— Qu'est-ce que c'est ? demande-t-il, les sourcils froncés.

Un sourire étire les lèvres de la jeune femme alors qu'elle lui confie le pendentif. Mordant sa lèvre inférieure, mimant une enfant qu'elle est loin d'être, elle lui murmure :

— Une pierre plus précieuse que toutes celles que tu as vu jusqu'ici. Mère me l'a confié. Elle m'a dit qu'elle avait des pouvoirs, qu'elle me permettrait de voir les choses cachées et de lire la vérité dans le regard de ceux qui m'entourent. Qu'elle contînt un secret qu'une héritière pourrait découvrir un jour. Mais surtout qu'elle attire toutes les convoitises car elle permet d'éloigner les démons. Je vais enfin pouvoir comprendre ce que ta hongroise de malheur fait ici.

La jeune femme s'est approchée de son frère alors qu'elle parle, faisant glisser ses doigts sur la chemise du brun, ses lèvres à seulement quelques centimètres de son visage. Elle joue, comme une mente religieuse cruelle. Ses lèvres, couvertes de carmins, s'entrouvrent, laissant échapper sa langue qui vient caresser le derme du jeune homme.

Justine écarquille les yeux, certaine d'assister à une scène qu'elle ne devrait pas voir.

— Je la tuerais William. Cette pierre est contre les gens de son espèce. Tu sais parfaitement qui elle est, je le vois à ta nuque détruite par ses morsures. Une vampire, sans âme et sans futur. Elle nous éloigne William et je refuse de la laisser faire.

Les mains d'Elizabeth détachent la cravate de son frère alors que ses longs doigts se glissent sous sa redingote. Ce dernier ne semble gêné par les gestes de sa sœur, que Justine sent habituel, mais par les mots qu'elle lui susurre à l'oreille.

Il y a tant de haine refoulée dans ces derniers que Justine ne peut s'empêcher de chercher à savoir qui est cette fameuse hongroise. Elle s'éloigne des jumeaux, espérant la retrouver dans la horde de mortel. Elizabeth a parlé d'une vampire et, si Justine en croit les mythes qu'elle a toujours entendu, elle doit sûrement se trouver à l'intérieur. A l'abri d'un soleil mortel pour les cadavres réanimés. Les histoires fantastiques se sont toujours avérées vraies pour le moment.

Justine redescend alors la pente. Elle voulait parler à Elizabeth mais cette dernière semble être occupée à s'assurer l'allégeance de son frère. Ses rires, suivis par ses halètements, accompagnent la sorcière jusqu'à ce qu'elle se sente happée, enlevée aux festivités.

Elle entend encore les rires et les chants mais elle ne voit rien d'autre qu'un regard qui se pose sur elle. Il la transperce de part en part et la sorcière hurle alors qu'elle sent des mains agripper son corps. Elle se débat, criant, essayant de faire venir à elle ses ombres qui ne répondent pas, comme toujours lorsqu'elle se retrouve prisonnière du monde des rêves.

Les décors changent, encore et encore, sans parvenir à se stabiliser. Justine voit des milliards de visages qui la regardent tous. Des centaines de personnes, des visages sans corps et des doigts qui se glissent contre son corps, sous le t-shirt qu'elle portait en allant se coucher.

L'image se stabilise, enfin, sur la clairière où elle s'était perdue dans son précédant rêve. Le paysage idyllique n'a plus rien à voir avec celui qui s'affiche devant ses yeux. Le sang a éclaboussé la cabane, inondé la terre et tâché l'herbe. L'habitation n'est plus que ruine encore fumante. Des cris déchirent le silence, suivit par les hurlements des loups. Il n'y a plus personne dans ce décor désolé. Justine se met alors à courir, sans comprendre pour quoi ni après quoi.

Quelque chose l'attire.

Quelque chose l'appelle.

Le danger pulse dans l'air et une odeur de sang vient caresser ses narines, lui faisant froncer le nez.

La sorcière connait trop bien ses lieux qu'elle n'a vu qu'en rêve. Elle se glisse entre les arbres épais, suivant les traces de sang qui tâchent l'écorce, le sol et les feuilles. Il se passe ici quelque chose d'horrible qu'elle sait pourtant connaitre. Elijah lui a déjà raconté et le tableau sur lequel elle tombe lui semble bien trop réel.

Isolda, qu'elle reconnait sans l'avoir jamais vu, est acculée aux flancs d'une montagne, ses grands yeux gris pleins de larmes. Ses cheveux, d'un blond si blanc qu'ils en paraissent de neige, sont couverts de son propre sang. La Déesse ne semble plus avoir aucun pouvoir, proscrite, apeurée.

Devant elle, cinq vampires la fixent, les crocs dévoilés, les traits déformés par leur nature de buveur de sang. Une enfant se détache du lot, magnifique. Ses traits de porcelaines à moitié cachés derrière une épaisse chevelure sombre, elle fixe sa mère, un sourire carnassier sur les lèvres. Son visage est plus clair que les autres, identique à celui du frère qui se tient le plus prêt d'elle, comme le protecteur qu'il semble être.

Isolda est en danger et Justine voit la magie s'entourer autour de main de la sorcière, pleines de promesses terribles. Le temps se fige alors que la mère détaille ses enfants un par un et que ses derniers ne bougent pas, attendant la colère de celle qui leur a donné la vie. La Déesse n'a aucune chance contre les créatures qu'elle a créée et le regard Justine s'enflamme d'éclats de panique. Ses mains se teintent à leurs tours d'orange, pouvoir bien inutile dans ce qui n'est qu'un souvenir. Elle est prisonnière de ses songes, de ce passé qu'elle ne peut pas contrôler. Mais Justine ne parvient à être une spectatrice placide de la trahison des vampires.

Un grognement déchire l'air, sonnant aux oreilles de la rêveuse comme un roulement de tonnerre. Il est rejoint par un autre, puis encore un autre, jusqu'à créer un brouhaha dont Justine ne parvient à trouver l'origine. Les yeux des immortels se fixent sur les animaux qui sortent des ombres et des regards jaunes leur répondent. Des loups. Des loups énormes, bien plus gros que tous ceux que Justine a pu voir avant.

Les vampires ne bougent pas, se contentant de répondre aux grondements pas des feulements cruels. Isolda fixe les créatures devant elle et la magie qui entoure ses mains change de couleur, se teintant de reflets verts.

Les loups se rassemblent sur eux même, tapant le sol meuble de leurs énormes pattes. Leurs yeux brillent d'une colère qui n'a rien d'animal alors qu'ils le sont pourtant encore tellement. Justine ne les regarde pas, son regard rivé sur Isolda. La Déesse ne bouge pas, le visage a moitié masqué par ses longues mèches blondes. Seul un œil gris dépasse, vide de toute émotion.

Les vampires montrent les crocs de plus belle, prévenant les loups. Les canidés répondent par des grondements qui font trembler l'air. Jamais Justine n'a vu des animaux au mufle autant déformé par la rage. Même lorsque petite, elle ennuyait les chiens de la directrice de l'orphelinat et qu'elle passait à quelques centimètres de crocs qui tentaient de se refermer sur son bras. Les loups veulent du sang.

L'air se glace.

Les canidés n'attendent qu'un mouvement, qu'un souffle pour bondir. Leurs muscles bandés tremblent déjà alors que les vampires ne bougent pas

Justine reste immobile, muette de stupeur au milieu du carnage qui menace.

Mais l'image se floute, à l'instant même où Isolda ouvre la bouche. Justine lutte, tentant de rester au côté de la Déesse, tentant de connaitre la vérité.

Elle se fait pourtant happer par la réalité, emportée loin du spectacle qui se joue sur des grondements funèbres. Elijah lui a déjà racontée cette histoire mais elle veut la voir de ses propres yeux, la connaitre pour être certaine de ce qu'il s'est passé. Pour découvrir la véritable version qui a entrainé le monde dans le chaos.

On lui interdit la moindre vérité.

Justine se réveille, en nage, la colère grondant au fond de ses prunelles, son cœur battant à tout rompre. Son regard se pose sur le réveil à sa droite. Il est encore si tôt, déjà si tard. La jeune femme lance un coup rageur dans son oreiller avant de se laisser retomber dans son lit. Ses lèvres laissent échapper un soupir. Elle aimerait tant comprendre.

Mais les images de ses souvenirs ne lui montrent que des brides et ne lui laissent jamais découvrir l'entière vérité. A chaque nouvelles nuits, d'autre questions viennent s'ajouter à celles qui lui mangent le cerveau.

Attrapant un calepin à côté de son lit, elle se met à noter le moindre détail de son rêve, ne s'attardant ni sur les incohérences ni sur les souvenirs qui ont disparu dès qu'elle a ouvert les yeux. Une odeur de nourriture vient chatouiller ses narines mais elle ne descend pas tout de suite, cherchant les images qu'elle a oublié. Son stylo gratte le papier, de son écriture trop serrée. Les pattes de mouches ont bientôt noirci une dizaine de page. Elle pose le point final, tentant un portrait trop peu ressemblant d'Elizabeth.

Relisant ses notes, Justine fronce les sourcils. Elle ne sait rien de ceux dont elle a tenté une description la plus réaliste possible. Qui est sont les jumeaux et qu'est-ce qu'ils viennent faire dans son rêve ? Qui est cette hongroise que la femme prévoyait de tuer et surtout, quel est cet étrange médaillon qui semblait pouvoir stopper les vampires ? La sorcière regarde le dessin qu'elle a fait du bijou. Elle l'a déjà vu quelques part. Mais impossible pour elle de se souvenir où.

Justine pose finalement son calepin avant d'ouvrir la fenêtre, laissant l'air encore frais venir caresser son visage. Les yeux fermés, elle profite un instant. Elijah lui posera surement de nombreuses questions dès qu'elle descendra. Des questions auxquelles elle n'a pas forcément envie de répondre. Mais il lui a bien prouvé en deux jours qu'elle a besoin de lui presque autant qu'il a besoin d'elle. Ils sont liés, peu importe qu'elle n'en ait pas envie. De toute manière, elle n'a pas le choix. Pour le plus grand bien, elle doit coopérer et faire taire son caractère qui lui ordonne pourtant envie de sauter à la gorge du loup. Pour les sorcières et un futur qu'elle n'ose imaginer. Elijah seul peut l'aider à maitriser ses pouvoirs.

Elle soupire, avant de se décider à descendre. Après tout, il a au moins pour lui le fait d'être agréable à regarder. 

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