Chapitre 10
Les rayons du soleil caressent la peau de Faith depuis quelques minutes, réchauffant son derme. Elle sent entre ses mains la magie vibrer, alimentée par la lumière de l'astre. Il faisait reculer les vampires et grandir la puissance de cette aura verte entre ses doigts. Pourtant, pour la première fois, la sorcière aurait aimé pouvoir contrôler une magie qui lui avait toujours été interdite. La nécromancie avait un goût sucré trop attirant pour celle qui ne parvenait à se débattre face aux vampires qui contrôlaient sa vie.
Avec, elle aurait pu les obliger à plier le genou, les obliger à la laisser s'enfuir.
Elle était pourtant née en Irlande et elle ne possédait ni la vie et sa belle couleur orange ni la mort et son éclat violet. Seulement cette protection purement irlandaise, cet éclat vert qui soignait les maux et endormait les ombres.
Rendue ivre par l'éclat du soleil, gonflée d'énergie, elle s'engouffre dans l'immense manoir de ses maitres. Eve n'est pas là aujourd'hui et Salazar dort ou fait tout autre chose, incapable de supporter la brûlure du soleil. Il est vieux et pour la première fois, ce détail aide la jeune femme. Sa puissance est affaiblie, comme celle de tous les vampires sous les rayons brûlants de l'astre. Si les lourdes tentures recouvrent toutes les fenêtres, il suffirait à la sorcière un seul souffle de vent pour faire pour de bon cuir l'immortel.
Faith ne peut faire sortir Shiloh, elle le sait. Il y a une autre créature dans les sous-sols qu'elle n'a jamais vu mais qu'elle craint et dont l'odeur emplie de mort la fait frémir.
Une créature qui surveille tous leurs gestes.
Elle a pourtant pris la décision d'aller le voir, qu'importe ce que cela peut lui créer comme problème.
Shiloh. Celui qui hante ses pensées, qui l'obsède depuis leur première rencontre. Il est là et Faith a beau s'accrocher aux barreaux, elle sait qu'ils sont impossibles à ouvrir. Elle n'en a pas la force.
Shiloh est là, seul dans sa cellule. La blondinette que Faith a ramenée a disparue, emportée ailleurs.
Les traits de Faith se fanent alors que l'imagine de son fiancé lui explose en plein visage. Comme l'ombre de ce qu'il avait été, Shiloh dort, amaigrit, malade, dans cette geôle insalubre qui pue la mort. Il tremble de tous ses membres et le cœur de la sorcière se brise un peu plus. Il est ici à cause d'elle, uniquement à cause d'elle.
— Shiloh... murmure-t-elle à voix basse, de peur de réveiller la créature qui se tapit dans l'ombre. Mon amour ?
L'humain se relève, difficilement, comme perdu dans les brumes de son esprit.
Le cœur de Faith s'emballe dès qu'elle croise ses iris, dès qu'elle se perd à la douceur de son regard.
— Faith ? murmure-t-il avant de s'agripper aux barres de métal qui les sépare.
Jamais ces dernières n'ont semblé si épaisses.
En se levant, Shiloh a laissé apparaître les immondices dans lesquels l'ont parqué les vampires. Faith sent la bile monter à ses lèvres. L'odeur des lieux est infecte, comme si des corps se décomposaient dans des cellules invisibles.
Elle aimerait tellement entrer dans cette cellule, le serrer pour de bon dans ses bras, caresser sa peau mate, s'attarder sur les mèches rebelles de ses cheveux sombres.
Elle ne le peut pas.
— Tu ne devrais pas être ici, glisse-t-il.
Il laisse, malgré ses mots, sa main traverser les barreaux pour venir caresser la joue de la sorcière.
Faith ne peut s'empêcher de fermer les yeux, goutant avec délectation à son contact.
Son cœur se serre, quelques secondes alors qu'elle s'oublie dans son regard. Il est là, bien là, toujours en vie.
Et pourtant, elle sent dans cette main qui s'est posée contre elle une douleur qui ne devrait pas être là et qui la transperce de part et d'autre. Son regard azuré lit derrière la chair du mortel et elle voit. Sa maigreur à faire peur, la maladie qui brille dans ses yeux et qui le consume. Il est mal en point et les vampires ne s'en rendront compte que lorsque son cadavre décorera la geôle.
Sa douleur transperce le corps de Faith.
— Va-t'en, c'est trop dangereux... murmure-t-il à nouveau, un peu plus fort.
Ses mots n'ont aucun impact sur la sorcière.
Elle ne bouge pas, les yeux fermés. Il se rapproche un peu plus et le contact de ses mains embrase le corps de la sorcière d'un feu qu'elle n'a plus éteint depuis longtemps.
La culpabilité tue le moment avant même qu'il ne naisse. Si Faith n'avait été aussi stupide, ils ne seraient pas là. Shiloh ne serait pas malade et ses yeux seraient pleins d'une vie pétillante. Elle porterait sûrement son enfant. Elle les voyait si souvent la nuit, sur les plages d'Irlande. Elle, une main sur son ventre rond, et Shiloh qui lui souriait.
Ce ne serait jamais possible. Elle avait tué ses rêves avant même qu'ils ne voient le jour. Elle les avait jetés dans cet enfer en quittant la protection du Coven des sorcières. Avec les autres, elle était puissante. Seule, elle était une proie de choix.
— Je t'en prie, va-t'en, répète-t-il.
Faith relève ses yeux verts jusqu'à ceux de Shiloh, son regard perdant de la douceur qui y est né. La sorcière n'a le droit de se laisser aller. Elle doit rester forte, rester maîtresse de ses émotions. Elle a tant envie de s'oublier aux côtés de son aimé, tant envie de ne plus rien ressentir d'autre que son cœur qui bat si vite. Au diable l'inquiétude, au diable la peur tant qu'elle peut avoir quelques secondes de plus avec Shiloh.
Elle doit se reprendre.
— C'est hors de question.
La voix de la sorcière est douce mais pourtant emprunte de cette sévérité qu'elle a été obligée d'acquérir. L'enfant en elle, autrefois si naïf et si plein d'une joie communicative était morte.
Remplacé par une femme qui se voudrait dangereuse.
— Je ne partirais pas d'ici, pas avant de t'avoir soigné.
Il sait ne pas pouvoir dire non.
Les mains de Faith se glissent sur les joues de Shiloh, de chaque côté de son visage et ses lèvres rejoignent leurs jumelles. Il lui a tant manqué. Qu'importe ce qui vivait dans cette prison, qu'importe ce qu'elle risquait en venant ici.
Un frison glacial s'attarde sur le derme de la jeune femme alors qu'elle ferme les yeux, le front collé à celui de son âme sœur. Elle sent le lien qui les unis, reste d'un rituel plus ancien qu'eux. Ils étaient destinés l'un à l'autre et ce n'était un quelconque romantisme stupide qui lui faisait dire ça. Son ancêtre avait aimé celui de Shiloh avant même que les deux amants ne voient le jour. Son ancêtre avait maudit leur lignée, pleurant des larmes de sang sur les agissements du Coven.
Faith inspire, avait d'ouvrir les yeux. Le vert de ses iris se fait plus prononcé. Sa couleur rejoint les flux de magie qui s'attardent autour de doigts de la sorcière.
Ses mains se couvrent de cette lueur, chaude, qui s'infiltre jusqu'au cœur de Shiloh. La magie coule dans les veines du mortel, tuant la plus petite particule de maladie.
Le regard de Faith s'illumine alors qu'elle sent les vaisseaux sanguins et les aortes, alors qu'elle sent pulser l'hémoglobine dans les veines. Pourquoi n'a-t-elle compris ça plus tôt ? C'est pourtant si simple. Sa magie rend Shiloh plus fort et elle pourrait si facilement se glisser jusqu'aux muscles pour les faire grossir, se glisser jusqu'à ses neurones pour créer de nouvelles connexions entre eux. La sorcière se sent tel un médecin, capable de modifier un corps par son bon vouloir.
Elle éloigne son front de celui de son âme sœur, plantant son regard dans le sien. Oui... c'est la seule solution.
— Shiloh... j'ai trouvé. J'ai trouvé comment te sortir d'ici...
Il faut que ça marche. Elle n'a pas le choix. La vie et la mort ne sont que deux magies étroitement liée, capable de s'attacher l'une à l'autre sans difficulté. Pourquoi n'a-t-elle pas compris ça plus tôt. Il lui faut mettre la main sur la petite chasseuse. Grâce à elle, ils pourront fuir.
Mettre le maximum de distance entre eux et les immortels.
Faith est une sorcière du bien, une sorcière de l'Irlande et de la magie de vie. Mais ses pouvoirs ne sont pas si lointains de ceux des tueuses. Elle sent les veines et les pulsations d'un cœur dès qu'elle touche un Homme. Il lui suffirait de les faire accélérer, de les faire grandir. Elle ne peut pas tuer d'elle-même. Mais elle peut offrir cette possibilité à une créature déjà bien puissante.
Elle doit chercher dans les ouvrages, découvrir comme ses ancêtres ont utilisé la magie lorsqu'elles étaient en danger. Les sorcières avaient à leurs côtés un chasseur, toujours. Mais Heimdall n'était pas là, n'avait pas toujours été là. Les ancêtres de Faith avaient dû se débrouiller seules parfois. La sorcière voulait savoir comment elle avait fait sans la famille de leur protecteur.
— Pas trop... ils sauront que tu es venu me voir sinon.
Le contact des mains puissantes de Shiloh fait fermer les yeux de la sorcière. Elle apprécie leur chaleur, apprécie leur force.
Ô qu'elle aimerait pouvoir les retrouver pour de bon, les sentir caresser son corps comme autrefois, alors qu'ils vivaient. Elle avait trahi le Coven en partant avec Shiloh. On lui avait laissé le choix et elle avait écouté son cœur plutôt que ses sœurs. Aujourd'hui... Elle en payait le prix fort. Son amant n'était plus qu'une ombre dans une geôle si sombre. Un ombre dans les yeux de qui elle voyait toujours les flammes de la lutte.
Elle arrête le flux de sa magie, laissant les lueurs vertes quitter ses mains.
Faith tente de souffler, son front contre celui de son aimé. Elle inspire puis expire, l'air vicié des sous-sols lui brûlant les narines. Il s'était passé ici bien des horreurs, ses sens de sorcières ne lui mentent pas. Elle ne voit pas les connaître.
Elle souffle une nouvelle fois.
Ses doigts se tendent vers Shiloh mais ne rencontrent que le métal glacé des barreaux. Les larmes montent à ses yeux. Quand daigneront-ils enfin le laisser sortir ? Faith avait l'impression d'être ici depuis des siècles sans que rien ne change.
— Je t'en prie, ne prend pas trop de risque, supplie-t-il en attrapant délicatement sa main. Promets-moi. Promets-moi que tu ne cours aucuns dangers. S'il t'arrive quoi que ce soit, je... je ne m'en remettrais pas, Faith. Je vis pour toi, uniquement pour toi.
— Je te mentirais en te disant que je n'en cours aucun et je refuse de le faire. Je ne peux te faire cette promesse Shiloh et tu le sais. Sans danger, jamais je ne te sortirais d'ici.
La sorcière éloigne son front de celui du brun pour mieux planter ses prunelles étincelantes dans celles de Shiloh. Elle déglutit, son regard devenant plus dur alors qu'elle lui offre un sourire doux et murmure :
— Mais je peux te jurer que je te sortirais d'ici. Avec son aide et ma magie, tout sera possible.
— Avec son aide ? De qui tu parles ? Abigaël ? demande Shiloh, soudainement inquiet.
Le regard de Faith se plonge un peu plus dans celui de l'humain. Elle aimerait tant lui faire lire ses pensées pour qu'il comprenne, qu'il fasse disparaître la peur qu'elle perçoit dans ses yeux.
Mais il en est bien incapable. Il n'a pas toutes les clefs. Il connaît ses pouvoirs mais ne sait pas de quoi ils sont réellement capables.
Abigaël sera d'une grande aide et la sorcière était prête à lui mentir pour la laisser toucher sa peau. Juste une impulsion, quelques minutes, quelques secondes. Pour faire d'elle une plus grande chasseuse qu'elle n'avait jamais été. Pour faire d'elle une Protectrice comme les sorcières l'avaient fait de celui qui veillait sur le Coven.
Et Shiloh serait libre pour toujours.
Ils fuiraient, ensemble, loin des monstres.
— Faith qu'est-ce que tu peux bien attendre d'une fille comme elle ? Elle vit des choses horribles ici, elle s'épuise... sans parler du fait qu'elle est vraiment étrange, murmure-t-il et la peur qui gronde dans ses yeux brise le cœur de la sorcière.
Elle baisse les siens, alors qu'il caresse sa joue. Abigaël n'est pas aussi faible que ce qu'elle laisse croire. Peu importe ce qu'il s'est passé dans les sous-sols. Faith refuse d'imaginer, refuse de comprendre les origines du sang qui tâche le sol de la cellule où se trouvait la chasseuse.
Mais elle a vu le regard de la jeune fille alors que cette dernière sortait de la geôle. Elle a lu dans ses iris une rage que rien ne saurait faire taire, elle a senti une fureur brulante que même l'eau la plus froide ne pourrait éteindre. Ils sous estimaient tous Abigaël.
Faith ne ferait pas cette erreur.
— Abigaël est une chasseuse. Une tueuse d'êtres surnaturels. De loups, de vampires, de tous ceux qui osent s'attaquer aux humains que les sorcières protègent. Mais elle est d'autant plus particulière qu'elle est la chasseuse d'un vampire, l'animal bien dressé de l'Infant immortel de Salazar.
Les yeux de Faith s'accrochent à ceux de sa moitié alors qu'elle baisse la tête.
— J'aurais dû te parler de tout ça il y a bien longtemps Shiloh. Les créatures, les légendes de ma famille. Tout ce qui fait mon monde. Mais j'avais juré qu'on ne serait plus jamais lié à ça en quittant l'Irlande. Je m'étais trompée...
Les remords font naître d'autres larmes aux coins de ses yeux. Un battement de cil et ces dernières cascadent le long de sa joue. Son erreur était impardonnable. Les marques de crocs sur la gorge de Shiloh lui sont des blessures mortelles. Elle aurait pu empêcher ça. Elle connaissait les herbes qui faisaient hurler de douleur les vampires. Mais elle n'avait rien fait, croyant que tout disparaîtrait en arrivant sur le Nouveau Continent.
La main de Shiloh vient caresser sa joue, effaçant les perles salines qui roulent sur son visage. Le cœur de la sorcière bat trop vite alors qu'elle s'accroche à son regard. Elle a peur mais, pour la première fois depuis longtemps, un autre sentiment grandit en elle.
L'espoir, qui doit la porter pour qu'elle n'oublie pas ce qu'elle doit faire.
— Je te fais confiance mon ange, et je te fais la même promesse. Mais maintenant je t'en prie, vas-t-en, murmure le prisonnier, tout son amour contenu dans ses mots.
La sorcière ouvre la bouche mais Shiloh ne lui laisse pas le temps de le contredire. L'une de ses mains lâche la sienne pour se poser sur sa joue, s'attardant sur sa nuque, attirant ses lèvres aux siennes. Faith se laisse faire, gravant ce baiser dans sa mémoire. Il pourrait être le dernier si elle échoue mais la sorcière refuse d'accepter cette hypothèse. Ils s'en sortiront.
Dans les livres, les gentils triomphent toujours.
— Je t'aime.
Elle a mal, mal de l'entendre, mal de voir tout l'amour qu'il lui porte encore alors qu'il devrait la haïr. Elle devrait lui en dire plus mais elle ne peut. Pas encore. Elle n'en a pas le temps.
Faith s'accroche aux lèvres qui l'embrassent comme à un salut qu'elle ne peut qu'espérer.
Son plan ne marchera peut-être pas et alors... Elle ne sait si Shiloh gardera la vie. Salazar est suffisamment cruel pour la laisser vivre sans son âme sœur, sans celui qu'elle ne pourra jamais oublier.
— —Je t'aime aussi. Et je te jure que lorsqu'on sortira d'ici, je te raconterais tout dans le moindre détail.
Un dernier baiser. Empli de la saveur aigre des adieux.
Puis la sorcière tourne les talons, laissant un soupçon de sa chaleur pleine de magie derrière elle. Pour une fois, son regard est rempli d'espoir. Pour la première fois depuis qu'ils sont ici, elle se prend à espérer et à revoir le monde qui s'offrirait à eux loin.
Ils y arriveront. Ils le doivent.
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