9. Jacquouille la Fripouille
Je me demande s'il y a un code du "Connard". Un truc du style "Devenez cons comme vos pieds en 10 leçons" ou "Monsieur connard c'est vous!". J'avoue que je raffole probablement un peu trop de ce genre de titre attrayant qui dévoile en quelques mots, tout le contenu du livre que l'on s'apprête à acheter, ce qui équivaut à ces bandes-annonces de film qui dure 3 minutes et qui montre absolument toutes les scènes géniales du film, du coup, au ciné, on se fait bien enculer quand même.
Au fond, je ne sais même pas ce que fait un connard moyen de bas étage mis à part être ignoble, mais ça, c'est mon deuxième prénom plutôt qu'autre chose. À ma décharge, dans les gens de la ville sont tous comme moi. Ils foncent tête baissée dans la foule, bousculent tout le monde sans s'excuser et râlent pour un rien dès que quelque chose les emmerdes.
Exemple phare de rat des villes : "Avance ta poubelle ambulante, connard!" ou encore "Et ton permis ? Tu l'as eu dans une pochette surprise ?", "C'est pas un A d'apprenti, mais le A d'abruti ma parole !". Vous avez déjà vu un fermier s'exciter sur son tracteur ? Je me demande à quoi ça ressemblerait d'ailleurs : "Diantre ! De la bonne pitance sur ma route ! Allez la cochonnaille avance !"
J'avoue que l'exemple me fait sourire, néanmoins, j'en reste encore sur le cul avec ce que vient de me balancer ma grand-mère à la figure. Je suis à peine arrivé que cette vieille croûte de pain, ce moignon, a déjà ses préférences et visiblement, ce n'est pas la chair de sa chair. Je suis vexé comme un gamin que l'on aurait défavorisé le jour de Noël voyant que celui d'à côté a eu plus de jouets.
Je suis jaloux.
- Tu sais quoi ? Je te laisse donc avec celui qui est le moins cassé de nous deux. Je voudrais surtout pas vous "déranger" dans votre petit commerce.
Sans m'attarder, je repars de la boutique de fleurs en me dirigeant le plus loin possible, mais au fond, c'est quoi "le plus loin possible" quand on ne connait rien dans le coin ? Gamin, je ne m'aventurais pas plus que ça pour le peu de fois où je suis venu ici et je n'ai quasiment aucun souvenir de cet endroit. Peut-être deux ou trois bribes par-ci par-là, mais c'est tout.
Alors, je marche. Je marche seul.
- Je marche seul, sans témoin sans personne, que mes pas qui résonnent, je marche seul !
Wow ! Wow ! T'emballes pas Gabriel. Ce n'est pas l'Olympia ici.
Au bout d'une heure, je me retrouve paumé au milieu d'un champ de blé. Je ne sais même pas ce que je fais ici, j'ai marché sans réfléchir, sans me demander où aller et maintenant, je suis au milieu des champs. Magnifique. De mieux en mieux cette première journée. Franchement, je ne vois pas ce qui pourrait être pire.
- C'est quoi cette infâme odeur ?
Je cherche, je me tourne et me retourne et réalise enfin. Horreur malheur. Une bouse. J'ai pataugé dedans comme une fillette dans une flaque d'eau. Génial !
- Je veux rentrer. Je veux définitivement rentrer.
Non sans mal j'arrive à sortir des champs pour me retrouver brusquement au bord d'un chemin sur lequel je manque de me faire percuter par une bicyclette tandis que la chute parait inévitable. Je ne remarque que bien après qu'une jeune fille, peut-être de 16 ou 17 ans, semble s'être étalée au sol, genoux en avant.
- Oh non...Ce n'est pas vrai...Hey abruti !
On me parle ?
- Oui, toi là ! D'où tu sors comme ça ?
- Des champs. Je pensais que c'était assez évident. Faut regarder la route quand on pédale comme une malade.
- Il n'y avait personne !
- Oui bah maintenant, il y a moi et j'ai failli me faire renverser par une cycliste qui...
Je l'examine d'encore plus près sans même prendre la peine de l'aider tandis qu'elle me fusille du regard.
- D'ailleurs, ce n'est pas une violation ça ? Tu roules sans casque, sans protections et ton vélo semble plus vieux que la 4L de mon grand-père.
- Mon vélo est très bien ! Bon, aide-moi à me relever, m'ordonne-t-elle en me tendant ses bras.
- Tu as cru que mon prénom c'était Jean-Marc pour être ainsi généreux ?
Holala ! Je m'épate tout seul par moment. Il y a des jours où je pourrais presque m'épouser.
- T'es bizarre toi, t'es du coin ? Je ne t'ai jamais vu avant. Quoi que personne ne se perd ainsi dans les champs.
- Alors premièrement, je ne me suis pas "perdu" et deuxièmement, non, je ne suis clairement pas du patelin !
- Ah bah ça explique tout ! dit-elle soulagée en se relevant d'elle-même. Tu fais quoi ici ?
- Je viens...méditer.
Mensonge. Je me suis perdu parce que j'ai marché comme un idiot sans savoir où aller donc à chaque fois que j'ai vu un petit chemin tourner, je l'ai emprunté sans même me poser la question où ça pouvait mener.
Je la regarde d'un œil ramasser son vélo et son sac dans le fossé.
- Je paierais pour la réparation de ton engin de la mort, bougonné-je
- Quoi ? Le vélo ? Oh la roue est un peu tordue, mais je vais m'en occuper. J'ai l'habitude. Par contre, tiens porte mon sac. Rends-toi utile le visiteur.
Visiteur ? De toute évidence, je dois avoir le rôle de Jean Reno en comte de Montmirail parce que ça ne peut être autrement.
- Messire ! Messire ! Un sarrasin dans une chariote du diable ! C'est tout ferré y'a point de bœuf pour tirer !
Ma demoiselle en détresse éclate alors de rire sous cette pathétique imitation de Jacquouille.
- T'es vraiment pas normal toi. Au fait, moi c'est Cléa.
- Cléa ? C'est intrigant comme prénom.
- Ma soeur aînée s'appelle Cléo et ...
Oh ! Ne m'en dites pas plus ! Je crois savoir de qui il s'agit. Donc voilà la cadette de cette sorcière.
- Elle doit à peu près avoir ton âge, je crois.
- Tu m'en diras tant...
Je ne tiens pas plus que ça à la revoir. Attendez, maintenant que j'y pense, sa soeur vient de chuter indirectement par ma faute, est-ce qu'à la place du pichet d'eau je vais avoir le droit carrément à la bonbonne ou pas ? Je devrais peut-être songer à me balader en maillot de bain. On n'est jamais à l'abri de rien ici.
- Et toi ?
- Quoi, moi ?
- C'est quoi ton nom ?
- Jacquouille la Fripouille.
- Sérieusement !
- Tu n'as qu'à retenir celui-là.
Elle sourit et je trouve que contrairement à son aînée, Cléa est beaucoup plus facile à aborder et moins flippante aussi. On discute le long du trajet tandis qu'en un rien de temps, nous revoilà au village. Je l'aime bien cette petite.
- Bon, tu m'excuseras, mais je dois y aller ! J'espère te revoir dans le coin Jacquouille !
Pas trop vite non plus, il ne faudrait pas abuser des bonnes choses.
Elle disparaît alors au détour d'une rue et il ne me reste plus qu'à retourner au fleuriste. Honnêtement, je n'ai pas hâte. Je me demande ce que Jacqueline va encore me dire. Elle ne s'est pas inquiétée que je disparaisse une heure tout seul. J'aurai pu être enlevé, que ça ne lui serait même pas venu à l'esprit de me chercher. En même temps, à quoi puis-je bien m'attendre ?
- C'est moi, fis-je d'une voix presque basse.
- Tu as fini de faire du boudin ?
- Je ne suis pas parti bouder. J'ai visité les alentours et j'ai rencontré Cléa.
- Oh !
Le "Oh" de Basile m'inquiète un peu. Qu'est-ce qu'il sous-entend ? Est-ce qu'elle cache son jeu comme sa soeur ? Est-ce qu'elle fait partie d'un plan plus grands qu'elle ? Elle doit servir de distraction pendant que son aînée m'enlève et me séquestre c'est ça ?
- C'est quoi ce "Oh", Basile ?
- Rien. Cléa est petite, je ne pensais pas que c'était ton genre de recruter chez Playmobil.
Mais quel connard ! On peut dire de moi, mais je crois qu'il est pas mal dans son genre non plus.
- Hey René la Taupe...
- Quoi ?
- Elle est peut-être "petite" mais elle est plus mâture que certaines personnes que je ne citerais pas.
- Tu veux sérieusement me faire un cours sur la maturité Gabriel ?
- Les garçons, pas de dispute !
- Pourquoi tu veux que je me batte ? Je ne frappe pas un handicapé et encore moins un adversaire qui n'est pas à ma hauteur.
Il pose bruyamment le sécateur qu'il tient dans sa main pour s'approcher de moi tandis que je m'écarte de quelques pas sur le côté. De toute façon, il ne peut pas me voir.
- Écoute Gabriel, on a été gentils Jacqueline et moi, on essaye vraiment de te comprendre, mais si tu ne fais aucun effort de ton côté, ça ne marchera pas. Tu peux être ignoble et te donner un rôle si ça te chante, mais ça ne prend pas avec nous, avec moi du moins. Je ne sais pas ce que tu essayes de prouver et tu peux jouer l'homme fort de la maison si ça te plait, je m'en fou, je me battrais pas, parce que j'ai plus l'âge pour ça. Je ne te jugerais pas non plus, parce que je ne te connais pas, mais sache simplement qu'il y a des limites à ne pas franchir et tu te tiens juste sur certaines d'entre elles.
Tu as dépassé les bornes des limites, Maurice !
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