8. Etre ce que l'on attends nous

Je suis resté dans mon coin sans dire un mot, enveloppé dans la serviette que m'a confiée ma grand-mère. Je suis resté assis, seul, la regardant rire avec Basile. Je ne sais pas trop de quoi ils parlent tous les deux ou du moins, je n'y prête pas spécialement attention, bien trop pris à les observer. J'en viens à me demander comment ils se sont rencontrés, dans quelles circonstances. Je présume que c'est une histoire qui me sera contée plus tard sans aucun doute. Il y a quelque chose qui semble les unir, plus qu'un simple lien, une sorte d'intimité profonde que je n'ose même pas interrompre de peur de casser ce qu'ils sont en train de partager.

- J'y pense, mais je n'ai pas fait les courses pour le dîner de ce soir, annonce soudainement ma grand-mère

- Tu veux que j'y aille pour toi ? proposé-je. Fais-moi une liste de ce dont tu as besoin et j'y vais.

- Tu es sûr ? Ça ne te dérange pas ?

- Non, ne t'inquiète pas et puis ça va me faire prendre l'air.

Elle me dresse alors une courte liste tandis que j'attrape mon sac que je remets en bandoulière.

- Tâche de ne pas te faire agresser par l'épicière également, me souffle Basile en riant de son côté

Je m'arrête devant la porte pour lui tirer la langue en sachant qu'il ne peut de toute façon, pas me voir. Pas contre, ma grand-mère elle, elle m'a vu.

- Roh ! Gabriel ! Cesse donc ces enfantillages !

- Quoi ? Qu'est-ce qu'il a fait ?

Rien que tu ne peux voir René la Taupe.

- Bon bah j'y vais, à tout de suite.

- N'hésite pas à crier à l'aide si on te jette des tomates ou des œufs à la figure, continue Basile inarrêtable.

C'est ça, rigole mon ami, mais tu connais le proverbe non ? "Qui rira bien, qui rira le dernier". Tu peux te foutre de ma gueule autant que tu veux, mais je ne te louperais pas quand ton tour viendra. Je saurais te rappeler ce moment. Et puis peut-on vraiment me reprocher mon comportement avec cette serveuse complètement folle qui semble avoir une faim sexuelle digne d'une ogresse. Elle n'aurait fait qu'une bouchée de moi. J'aurai été son petit apéricube, et encore. Des filles complètement tarées qui sautant sur le premier kiki à l'air, y'en a plus qu'on ne le croit.

Je longe alors la rue en regardant un peu autour de moi et je me demande comment on peut venir vivre dans ce trou paumé. Je veux dire, il n'y a rien d'attirant. Pas un centre commercial, pas un parc, pas un cinéma, pas un bowling, pas une boîte de nuit. Rien. Juste deux ou trois commerces qui se battent en duel pour survivre. D'ailleurs, je mettrais ma main au feu qu'il s'agit là de commerces tenus de famille en famille. Sérieusement, qui aimerait faire sa vie ici ? On vient ici pour se perdre. Se faire oublier ou juste, comme moi, passer. Je ne compte pas m'attarder, du moins pas suffisamment pour que l'on se souvienne de moi.

J'entre alors dans l'épicerie tandis qu'un mec se tient derrière un comptoir, presque caché derrière des cagots de pommes.

- Bonjour.

Je ne réponds pas. Je me faufile dans les petits rayons à la recherche de ce que j'ai sur ma liste. J'achète et je me tire, c'est le plan.

- Vous cherchez un produit en particulier ? Je peux peut-être vous aider ?

La dernière personne qui a voulu "m'aider" aurait très bien pu mettre du GHB dans mon café, alors je préfère me méfier. Ma maman m'a toujours dit "Gaby chéri, tu connais la règle ? On ne parle pas aux inconnus" et "Si un Monsieur te propose un bonbon, tu le mords et tu cours aussi vite que tu peux!".

- Ça ira, je pense que je sais encore lire des étiquettes, je devrais pouvoir m'en sortir.

- Oh ! Vous êtes le gars du café vous, non ?

Eh bah putain, je sais qu'on dit que "les nouvelles vont vite", mais je ne pensais pas que c'était à ce point-là. Je me recule de mon rayon pour dévisager mon interlocuteur qui semble amusé.

- Ouais, tout le monde est au courant. Le petit fils de Jacqueline, hein ?

- Je vois que tout le monde a aussi mon CV, c'est cool.

- Ne te braque pas, on est une petite communauté ici, alors forcément, tout se sait.

- Cool, tant mieux pour vous. Je sais que les campagnards ont une vie si plate qu'il faut absolument qu'ils s'intéressent à la première nouvelle croustillante du coin, mais un conseil l'ami, lâchez-moi la grappe, ok ? Ce n'est pas les vendanges dans le coin et j'ai d'autres chats à fouetter.

Parles de vendanges avec un fermier, elle est bonne. Parfois je me trouve ultra drôle quand même.

- On m'a aussi dit que t'avais la langue bien pendue. Tu tiens ça de ta grand-mère, toi.

- Aucune idée. Je m'en fou. Je ne veux pas le savoir.

Je ne suis pas un mec qui croit aux trucs "de famille". Je pars du principe que chaque individu est différent, qu'il évolue dans un contexte différent et qu'il s'imprègne de choses différentes aussi. Je veux bien avoir des traits physiques communs, je ne peux pas me battre contre la génétique et tout ces trucs scientifiques à la noix, mais le caractère, ça n'a rien d'héréditaire. Faut arrêter avec ça maintenant.

- Tu vas rester longtemps dans les parages ?

- Le temps qu'il faut.

- Si je peux te donner un conseil, tu devrais être plus courtois avec les gens qui t'entourent au lieu de leur sauter à la gorge. Tu verras, tout se passera bien mieux pour toi.

- Heureusement que je n'ai pas demandé de conseils dites donc ! Vous savez ce que l'on dit ? Les avis c'est comme les trous du cul, tout le monde en a un.

Tu crois vraiment que je vais me mettre à plat ventre pour plaire à quatre péquenauds et trois fermiers qui se sont perdus en pleine cambrousse ? Je m'en fou . Je suis, qui je suis, et je n'ai pas à sourire si je n'ai pas envie de sourire. Je n'ai pas à faire semblant d'être quelqu'un que je ne suis pas juste parce qu'on a envie que je sois comme ça et pas autrement. J'emmerde les gens. J'emmerde ceux à qui ça ne plait pas. Je fais ce que je veux.

Je pose alors mes 3 poivrons, mes 4 tomates et mes blancs de poulet sur le comptoir.

- Ça me fera combien ?

- Je vois...Bon, très bien. Tu ne diras pas que je ne t'ai pas prévenu au moment où ça te tombera dessus.

Je me demande s'il est possible, qu'un jour, le monde me foute la paix. Je veux dire, il y a tellement à faire ailleurs ! Les gens devraient se préoccuper de leurs pauvres vies plutôt que de la mienne. Je sais que c'est toujours plus plaisant de jalouser la vie de son voisin, mais au bout d'un moment, il faut lâcher le morceau et se contenter de ce que l'on a. De ce que l'on est. On devrait tout simplement être heureux d'être qui l'on est, d'être en vie et à peu près en bonne santé.

Repartant avec mes courses sous le bras, je retourne dans la boutique quand j'aperçois un client d'une trentaine d'années discuter avec Basile alors que j'apporte mon achat du jour à ma grand-mère dans l'arrière-boutique.

- Tiens, voilà.

- Tout s'est bien passé ?

- Oui, pourquoi ? Tu avais peur que je ne sache pas faire la différence entre poivrons verts et rouges ?

- Je ne te parle pas des courses, je te parle de ...rapport social.

- Ah ! Bah, y'a rien eu d'anormal si c'est ta question.

- Tant mieux !

- Au fait, c'est qui ce gars qui discute avec Basile ?

- Hmm ? Quel gars ?

Je pointe du doigt le semblant de client.

- Ah ! Tu parles de Manu !

- Tu le connais ?

- Je connais tout le monde ici. Et puis pourquoi ça t'intéresse ?

- Je demandais comme ça, simple curiosité.

On ne peut plus rien demander, de nos jours je vous jure.

- Ne me dit pas...Jaloux ?

- Quoi ? Mais ce qu'il ne faut pas entendre ! Je serais jaloux de quoi au juste?

Je me sers un verre d'eau tout en gardant un œil sur la conversation qui semble joyeusement animée. Ils doivent être intimes ces deux-là, ils se tripotent de partout.

- Pour ta curiosité personnelle, Manu est l'ex petit-copain de Basile.

Et soudain le drame. Le contenu de mon verre se retrouve sur ma chemise. A croire que c'est une journée à thème : Tee-shirt mouillé ! Youhou !

Ma grand-mère éclate de rire tandis que je me retourne pour la fusiller du regard.

- Ce n'est pas drôle.

- Ah si, si ! Je vais te donner un conseil Gabriel...

Ah non ! Pas encore ! C'est bon, j'ai eu ma dose là !

- Ne t'aventure pas dans ce que tu ne connais pas sous prétexte que ça te "tente". Je te connais. Tu ferais ça pour passer le temps.

Étrangement, je ne sais pas si cette simple phrase fait de moi le plus gros des enculés ou si c'est juste pour me rappeler que ma vie amoureuse est un échec et que oui, du coup, j'ai préféré enchaîner les coups d'un soir. Valeur sûre. Pas de sentiments, pas d'emmerdes. Juste du plaisir de temps en temps.

- Dis-moi Jacqueline, qui protèges-tu au juste ? Ton sang ou ton squatteur ?

- Gabriel...

- Non, mais je voudrais bien savoir, tu vois, parce que là j'ai vraiment l'impression d'être celui qui dérange votre petite routine. Tu m'en mets plein la tronche gratuitement et tu t'attends à ce que je ne dise rien peut-être ?

- Ça forge le caractère ! Et puis tu ne vas quand même pas faire ta pleureuse parce que j'ai une affinité certaine avec Basile et que oui, je le reconnais, je le traite comme mon propre petit-fils.

- Réponds d'abord à ma première question.

- Tu veux savoir ? Eh bien disons que je protège celui qui a le coeur le moins abîmé.

Et ce n'est pas moi, c'est ça ? C'est ce que ça veut dire, n'est-ce pas ? Tout le monde s'attends à ce que je sois le petit con du coin, eh bien vous savez quoi ? Vous avez gagné ! Je vais l'être et vous allez très vite déchanter. Croyez-moi.

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