40. Moi je suis prêt, et toi ?

Qu'est-ce que c'est six mois dans une vie ? Sans doute rien. Pas grand chose. Six mois c'est deux saisons. Six mois c'est l'équivalent de 180 jours. Six mois c'est beaucoup trop d'heures.

Mais c'est aussi ce qui vous paraît être une éternité.

- Gabriel, tu n'aurais pas vu mes escarpins ?

- Tu les as laissés à l'entrée hier.

- Ah oui, c'est vrai. Mais où ai-je la tête depuis quelque temps ? Merci mon chéri !

Je ne sais pas pour toi maman, mais moi ma tête je l'ai sur les épaules. Elle n'a jamais eu de meilleure place qu'ici même. Par contre, je n'en dirais pas autant pour mon cœur. Encore faudrait-il que j'en ai encore un. Je viens de passer six mois chez moi, au cœur même de ma ville natale, à revoir par moment des visages que j'aurai voulu oublier. À entendre les klaxons des voitures troqués avec ceux des tracteurs. Le bruit du tram échangé avec le clocher de l'église. Je me suis soudain rendu compte que tout ici était bien trop bruyant alors que je suis parti quoi ? Un mois et demi ? Mon dieu. C'est passé bien trop vite. Il s'est passé beaucoup trop de choses.

- Ton sac est fait Gabriel ?

- Oui, oui. Depuis hier.

- Je vais aller le mettre dans la voiture. Ton train part à quelle heure déjà ?

- Vers neuf heures, je crois.

- Donc tu arriverais là-bas en fin d'après-midi à peu près. Est-ce que tu as vu avec quelqu'un pour être récupéré à la gare directement ?

- Maman, relax, je suis un grand garçon, je sais encore me débrouiller.

Même si j'ai plutôt merdé depuis que je t'ai quitté, je le reconnais. Je n'ai pas forcément donné le meilleur de moi-même ni était au top de ma forme, sauf une fois. Une unique fois.

- Quand je pense que je ne peux pas t'accompagner à cause du boulot, ça me tue !

- Maman...ça va je te jure ! Et puis ce n'est pas non plus comme si j'allais en terre inconnue non plus.

Un peu quand même. La civilisation campagnarde est étrange. Tu pleures quand tu arrives et tu pleures quand tu pars.

J'ai pleuré tellement de nuits que je ne sais si j'aurai pu remplir l'océan avec mes larmes. J'en ai bavé pour en arriver jusqu'où j'en suis aujourd'hui. Vraiment. J'en ai chié. J'ai souffert à ne plus quoi savoir faire de ma douleur et à ne souhaiter qu'une chose : Rester dans ce putain de fauteuil. Mais une autre partie de moi s'est accrochée. Elle s'est véritablement battue. Je ne sais pas si c'est dû aux appels ou aux messages que je recevais, mais je me sentais encouragé. Suffisamment pour donner l'envie chaque jour de continuer.

- Et tu fais attention !

- Oui, promis. Bon on y va ?

J'ai hâte, comme j'appréhende, c'est bizarre. J'ai hâte de retourner là-bas tandis que je ne sais pas si je serais capable de faire face à tout le monde. À tous ces gens que j'ai lâchement abandonnés. La vérité est que j'avais bien trop peur de leur dire. J'avais bien trop peur en répondant aux appels que Basile devine au son de ma voix que ça n'allait pas. Je ne voulais pas l'inquiéter, mais je ne voulais pas non plus l'écarter autant. De toute évidence, je n'ai pas fait le choix le plus judicieux, mais au moment où je l'ai fait, c'est ce qui me semblait être le plus approprié. Ne pas répondre. Ignorer. Faire comme s'ils n'existaient pas. Laisser ma boîte vocale se faire saturer et laisser mon téléphone vibrer au moins quatre fois par jour si ce n'est pas plus.

J'ai véritablement abandonné ces gens et donc oui, tout naturellement, j'ai peur d'y retourner maintenant, mais ce n'est pas comme si j'avais le choix. La semaine dernière, le médecin de ma grand-mère nous a téléphoné pour nous dire que la santé de Jacqueline déclinait de jour en jour. Six mois. Voilà ce qu'elle a gagné et qu'au final...Nous n'avons jamais passé ensemble.

Une fois sur le quai de la gare, j'ai l'impression de revivre cette scène pour la seconde fois. Il y a sept mois à peu près, ma mère me lâchait au même endroit en pensant tout bonnement que son fils allait devenir l'étudiant modèle qu'elle espérait tant qu'il soit. Au final, les études...Je me suis assis dessus royalement. Nous n'avons même pas encore abordé la question et la rentrée scolaire a déjà eu lieu depuis deux mois. Je suis en retard. Mais ce n'est pas grave, je me rattraperais ou je trouverais quelque chose pour me rattraper.

- Regarde maman ! Le monsieur, il a une canne comme Docteur House !

Quelque part, ça me flatte que l'on me prenne pour Docteur House, mais j'ai un dixième de son charisme.

- Tu m'appelles hein ! Et tu me tiens au courant pour ta grand-mère.

- Bien sûr. Ne t'en fais pas. Bon, tu me fais un câlin ?

- Prend soin de toi Gaby ! Je ne veux pas encore recevoir d'appel pour me dire que tu es à l'hôpital.

- Promis, je serais sage comme une image.

J'essayerais en tout cas, mais je ne promets rien. Je ne peux pas promettre. Je ne sais pas ce qui m'attend.

Je me sens comme Frodon Saquet partant pour une nouvelle aventure alors qu'en réalité, je ne souhaite qu'une chose : mener une petite vie tranquille. J'avais vraiment tout planifié et puis finalement tout s'est retrouvé foutu en l'air par ma seule connerie : je n'aurai jamais dû m'attarder dans ce village.

Je n'aurai jamais dû poser mon dévolu sur ce garçon aux fleurs. Je n'aurai jamais dû le voir comme un tournesol au milieu des blés.

Le trajet en train ne m'avait certainement pas manqué. Des heures assis, à ne rien pouvoir faire, autre que taper quelques mots sur mon ordinateur. Parfois des phrases. Parfois ça a du sens d'ailleurs et parfois non. Je ne serais donc jamais écrivain. Tant pis. Des heures assis, à regarder par la fenêtre pendant de longues minutes en me demandant comment ça allait se passer. Je ne me suis jamais autant fait de scénarios de ma vie, je crois. J'ai imaginé le pire et rarement le meilleur. Je ne vois pas comment le meilleur pourrait en découler. Je les ai abandonnés.

Stupide hobbit jouflu !

Quand enfin on arrive à la gare, je reste comme un moment collé à mon dossier, incapable de me lever. La peur est là. La peur me maintient et me retient. Je ne sais pas comment réagir.

Aller Gabriel. Tu peux le faire. Au pire une baffe perdue...Ce n'est pas ta première.

À peine suis-je sorti du train et commencé-je à avancer sur le quai qu'en un quart de seconde mêmes pas, une silhouette scande mon nom et me saute dessus, manquant de peu de me faire tomber par terre.

- Gabriel !!! Te voilà enfin !

- Coucou toi, je suis content de te voir.

- J'espère ! Tu m'as manqué. Alors ? Comment tu vas ? T'es guéri, c'est bon ?

Cléa était la solution la plus sure tandis que l'on se dirige tous les deux vers la gare routière progressivement, se trouvant sur le trottoir d'en face.

- Guéris, hein ?

Il lui suffit de voir que je n'ai plus deux jambes, mais trois dorénavant.

- Je suis désolé, je ne savais pas que...Enfin...

- Non, non. Tu sais, ça ne me gêne pas. Au contraire ! Je suis fier d'en être là. Ce n'était vraiment pas gagné !

- J'ai hâte que tu me racontes tout ça. Tu le feras, hein ?

- Bien sûr. On a des heures d'attente devant nous.

- À ce propos...

Au moment même où elle laisse sa phrase en suspend, comme gênée, deux autres silhouettes arrivent à notre hauteur, surgissant tout droit de l'entrée principale de la gare routière.

- Alors comme ça on met des vents aux gens, hein ? Tout ça pour quoi ? Même pas avoir une canne customisée ? Je suis déçue.

Cléo me dévisage avec un air grave avant de me prendre dans ses bras et me serrer fort contre elle. C'est peut-être la première fois que Cléo me prend dans ses bras d'ailleurs. Quand on s'est rencontré la première fois, j'étais loin d'imaginer qu'on réussirait à en arriver là elle et moi. On était vraiment mal partis.

- Cléa vient avec moi, on va chercher de quoi grignoter pour le trajet.

-D'accord !

Je me sens subitement abandonné à mon tour quand je vois les deux soeurs partir en me faisant de grands signes de la main comme pour m'encourager tandis que Basile se trouve juste là...à cinq mètres même pas.

Un silence soudain s'installe entre nous. Je ne sais pas quoi lui dire. Non, c'est faux. Je sais quoi lui dire, mais je ne sais pas si je serais capable de l'exprimer et juste dire "Pardon", ne me semble pas suffisant.

- Basile, je ...

- Tu as fait bon voyage ? Tu n'es pas fatigué ? Avec Cléo on t'a libéré une chambre rien que pour toi à la maison pour que tu puisses avoir tout le confort que tu souhaites.

Ah. J'aurai dû m'en douter. Il agit comme au début. Cette distance qu'il impose comme une ligne qu'il trace entre nous.

- C'est gentil, merci.

Je ne m'entêterais pas. Je le mérite amplement. Je l'ai laissé derrière. Je ne lui ai jamais dit que je l'aimais...Enfin, pas comme j'aurai voulu lui dire. J'ai laissé Basile tout seul, une nouvelle fois et pour ça je m'en veux. Mais c'était une décision prise à deux. Il savait, lui aussi, que je risquais de ne pas revenir. C'était une décision à double tranchant : ma guérison contre sa douleur. Alors évidemment, je ne peux pas lui en vouloir de rester distant avec moi. Je ne peux pas lui en vouloir ni même lui en tenir rigueur d'éprouver ce qu'il éprouve actuellement.

- Basile, je...

- Gabriel ? Pas maintenant. Je n'ai pas envie d'avoir ce genre de conversation maintenant avec toi, d'accord ?

Oui. Je comprends. Je ne devrais pas.

Comment ça, ON ne devrait pas ? Si on devait ! Merde à la fin si on s'est donné tout ce mal c'est pour sa gueule et son cul alors on l'emmerde et d'ailleurs, on va se faire une joie de l'enculer aussi, et ce, le plus tôt possible ! T'as cru que t'allais peut-être pouvoir te débarrasser de nous mon kiki, mais crois-moi, l'histoire est loin d'être finie. Tu vas nous avoir sur le dos à vie ! À vie, tu m'entends ?!

Laisse-le tranquille Gaby. On l'a mérité.

Je ne suis pas d'accord, on a rien mérité de cette merde, ok ? On a pas demandé à finir au fin fond d'une rivière pour sauver un portugais déjà mort. On a pas demandé à finir dans un fauteuil. On n'a pas demandé à avoir ces cours de rééducation qui ressemblaient étrangement à un programme d'entraînement spartiate déguisé. On a pas demandé à ressentir de l'amour pour ce mec. On a rien demandé de tout ce qui nous est tombé sur la gueule ! Ça c'est juste passé comme ça et on n'a absolument rien contrôlé parce qu'on ne le pouvait absolument pas ! C'était comme inévitable, alors maintenant, on va le prendre entre quatre yeux et... "Le prendre entre quatre yeux" risque d'être compliqué du coup, mais t'as compris l'idée le mou du genou. Récupère-moi ce type !

Juste parce que tu aimes t'envoyer en l'air, mais ce n'est pas le sexe la solution. C'est juste l'aboutissement. La marque que l'on s'aime et que l'on se fait suffisamment confiance pour se fondre dans les bras de l'autre. Ne faire qu'un l'espace d'un instant.

Oui bah merde. Je veux baiser. Voilà. Je veux du cul, du cul et encore du cul parce que les sites X ne me suffisent clairement plus.

Gaby !

- Basile, tu veux fuir avec moi ? Là, de suite, maintenant. Monter dans n'importe quel bus et se retrouver à l'endroit le plus improbable et imprévisible ? Je te le demande sérieusement, parce que moi je suis prêt.

Je suis prêt à partir. Loin. Loin d'ici. Loin de tout ça. Je suis prêt à nous accorder cette chance que l'on mérite tellement. Je suis prêt à avoir ce temps que l'on nous a volé.

- Moi je suis prêt à t'aimer pleinement et entièrement, et toi ?

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