39. Séparation
J'ai profité de ma fin d'après-midi, alors que les heures de visites se terminent et que les amis, amants et familles des divers patients quittent progressivement les couloirs de l'hôpital. Il en est de même pour Basile qui est reparti avec Cléo et avec ma mère, promettant de revenir demain. Je ne sais pas encore ce qu'il a en tête quand il me parle de fuir d'ici et je ne sais pas si je devrais être rassuré, mais je ne cacherais pas ma joie. C'est la première fois qu'il prend l'initiative.
- En voilà un grand sourire qui fait plaisir à voir.
- Michael !
Je ne l'ai même pas entendu arriver dans la petite cour arrière près des jardins de l'hôpital.
- A quoi tu penses ? Non parce qu'honnêtement, je veux le même sourire.
- A rien de spécial, juste...
Comment lui dire ?
- Un ami m'a proposé un plan foireux et je ne sais pas, ça me rend heureux.
- Le garçon qui était avec toi tout à l'heure ?
- Oui. Celui-là même.
- Vu le sourire que tu as, puis-je m'avancer en disant que c'est plus qu'un ami ?
Nous n'avons jamais décidé de ce que nous étions avec Basile. Nous n'avons jamais véritablement pris le temps non plus de parler de cette fois sous la douche ou de ces baisers qui ont suivi juste après. Rien de tout ça.
- C'est vrai. C'est plus qu'un ami.
- Je suis content pour toi. Malgré ta condition, tu as l'air d'avoir des gens qui tiennent à toi et qui ne pensent qu'à ton bien. C'est cool.
- Pourquoi ? Ce n'est pas ton cas ?
- Si, si ! Bien sûr que si ! se rattrape-t-il.
Je me retourne vers lui de sorte à pouvoir lui faire face. Contrairement à Basile, je ne suis pas aveugle et les mots ne peuvent qu'être trahis par les traits du visage si ce dernier dit autre chose.
- Pourquoi tu me mens Michael ? Qu'est-ce qui se passe ?
- Bah...disons-le clairement...Avoir un handicapé dans la famille, ce n'est pas cool. Je veux dire...T'es une charge en plus. Les gens te regardent bizarrement, ils te dévisagent. Tes proches te prennent soudainement pour un assisté de première qui n'est plus capable de rien.
- Ta famille et tes proches te traitent comme ça ?
- Tout le monde Gabriel. Le monde est comme ça. Il ne faut pas se bercer d'illusions.
Je ne suis pas d'accord. Certes, les gens sont maladroits et ils ne savent pas trop comment s'y prendre avec nous, mais notre "handicape" ne nous empêche en rien d'être comme eux. On a un corps, un coeur, une bouche, deux oreilles, deux yeux. On ressent les choses de la même façon, alors pourquoi devrions-nous être traités différemment ? Être vue comme une sorte de boulet, de poids.
- Je m'en fiche, repris-je.
En fait, je préfère ne pas y penser.
- Mon copain est aveugle et à mes yeux, c'est un super-héros. Il fait des choses par lui-même que je ne pensais pas capables ou possibles pour quelqu'un qui a perdu la vue. C'est vrai que quand il n'est pas familier avec le lieu ou l'entourage, il faut l'aider, mais sinon, il est capable de plein de choses. Alors si lui peut le faire, si lui arrive à vivre sur cette terre en étant comme ça...Moi aussi je peux le faire. Il n'y voit rien donc je le guide. Je ne peux pas avancer, donc il me pousse. Ça marche comme ça.
- C'est un peu...comment dire...Ne le prends pas mal, hein...mais tu ne te trouves pas trop idéaliste ? Croire que ça va marcher longtemps comme ça ?
- Est-ce mal d'être idéaliste ?
Tu sais Michael, ma vie est brève et elle a même failli est relativement raccourcie, mais s'il y a bien une chose que j'ai retenue en vivant en ce bas monde : C'est qu'il faut croire. Croire en quelque chose ou faute...En quelqu'un. En soi. Croire nous permet d'avancer. Croire nous permet de nous rattacher. Si je n'avais pas cru en Basile, si je ne m'étais pas attaché à Basile, je me demande alors ce que ma vie aurait donné. Je ne me serais pas battu pour vivre. Je me serais laissé partir. Je me serais abandonné moi-même. Basile m'a permis de réaliser et de comprendre beaucoup de choses.
Basile m'a fait comprendre qu'en amour, les différences n'existent pas. Elles ne s'effacent pas pour autant, elles s'atténuent tout simplement. On aime les moindres petits défauts de l'autre.
- Donc, j'ai ton sac, tes affaires, il te faut autre chose ? me demande Cléo en me dévisageant
- Non. Je pense que c'est bon là. Où est Basile ?
- Il attend dans la voiture. Bon, on y va ?
Quelque part, j'appréhende. Je serais fou de ne pas le faire d'ailleurs. Quitter l'hôpital comme ça alors que jusqu'à maintenant, cette chambre bien que sinistre, m'a servie de refuge en quelque sorte. Les cauchemars ont cessé depuis quelques jours, mais je n'en reste pas moins soucieux de ce qu'il adviendra de moi quand je serai dehors.
J'ai peur du monde. Je ne peux que penser et repenser aux paroles de Michael. J'ai peur que ce qu'il m'a dit soit vrai. Ça sera vrai. Je le sais. Je ne suis qu'un demi-idiot. Je sais comment les gens sont bourrés de préjugés. Je sais que quelqu'un comme...comme moi dorénavant va avoir du mal, mais...
- Hé, ça va ?
- Hein ?
Avant même que je ne m'en rende compte, les larmes ont envahi mon visage. Je ne les ai pas sentir venir. Je ne comprends pas. Je ne suis pas triste, non. Ce n'est pas ça. Ce n'est pas ce que je ressens.
J'ai juste peur.
- Hé Gabriel...
- Ce n'est rien. Je t'assure. C'est juste.
- Tu as peur, n'est-ce pas ?
Je relève les yeux vers Cléo, tandis qu'elle pose mon sac et s'accroupit pour se mettre à ma hauteur, posant ses mains sur mes genoux.
- Tu sais, j'ai un oncle en fauteuil roulant aussi. Je l'ai connu sans pourtant et puis un beau jour, il est tombé malade et pouf ! Ça lui ai tombé dessus. Il le cache bien souvent derrière des petites blagues, mais on sent bien qu'il n'est pas tout à fait l'aise avec sa situation et pourtant ça va faire plus de dix ans. Mais tu sais, ce qu'il ne comprend pas, c'est qu'il n'est pas seul. Mon père est là, ma soeur, moi...Toute ma famille on est là pour lui. Il pense sans doute que ça nous embête, mais ce n'est pas le cas. Je sais que Basile te l'a sûrement dit parce que c'est important, mais il faut que tu nous parles Gabriel. On ne pourra jamais comprendre ce que tu ressens ou savoir ce que tu penses à moins que tu nous en fasses part. Donc, si là de suite, tu me dis que tu n'es pas prêt, je te comprendrais et je t'aiderais à te réinstaller. J'irais chercher Basile et je lui dirais. La seule question maintenant qui se pose est...Est-ce que tu es prêt Gabriel ?
- Non.
- C'est bien ce que je pensais. Mais voilà, ce n'est pas une honte de le dire. C'est même courageux de ta part.
Elle pousse le fauteuil vers le lit tandis qu'elle m'aide à m'asseoir dessus avant de poser le sac noir sur une chaise à côté.
- Je vais chercher Basile, je reviens.
Au moment même où Cléo sort de la chambre, ma mère arrive. On rentre ici comme dans un moulin !
- J'aurai pu avoir les fesses à l'air que tu n'aurais même pas frappé à la porte, hein maman ?
- Rappelle-moi qui a mis 10h à te faire sortir de son vagin ? Tes petites fesses je les ai essuyés tellement de fois que ça ne me fait ni chaud ni froid de les voir même maintenant. Donc ? Tu restes ?
- Tu le savais ?
- Basile m'en avait parlé à la maison. Gabriel, j'aimerais te proposer de revenir à la maison avec moi. Je veux que tu prennes du temps pour toi. Je veux que tu te reposes. Ne le prends pas mal, mais j'en ai déjà discuté avec Basile.
Je vois. Je le savais. Ça me pendait au nez. Maman ne m'aurait certainement pas laissé retourner dans la nature comme si de rien n'était.
- Cléo et Basile resteront ici pour Jacqueline, continue-t-elle
- Ah.
Non. Je veux que Basile parte avec moi.
- Je vais lui expliquer.
Basile arrive en compagnie de Cléo sur le seuil de la porte tandis que cette dernière repart aussitôt arrivée.
- Je pense qu'effectivement, il est temps que vous discutiez les garçons. Je reviens dans une vingtaine de minutes, d'accord ?
- Oui, oui.
À peine la porte s'est-elle refermée, que je balance mon oreiller sur Basile qui se le mange en pleine poire.
- Donc tout le délire de "fuis avec moi" c'était du pipo ? Ma mère t'as déjà convaincu, hein ?
- Je ne t'ai pas menti et elle n'a pas eu besoin de me "convaincre", je sais ce qui est bon pour toi.
- Que je m'en aille ? C'est ça ?
- Écoute, près de chez toi, il y a un meilleur hôpital, des médecins bien plus qualifiés.
- Oui, mais il n'y a pas toi.
- Gabriel, écoute-moi. Je veux que tu m'écoutes. Ce que je vais te dire est important.
Je pensais que toi et moi on s'était mis d'accord. Tu m'as déjà fait le coup une fois Basile. Tu ne vas certainement pas me le refaire maintenant alors que j'ai besoin de toi plus que jamais.
- Quand je t'ai dit il y a quelque temps que ton avenir n'était dans ce hameau, je le pensais. Je suis persuadé que tu peux avoir une vie meilleure ailleurs. Tant mieux si j'en fais partie ! Sinon...Tant pis. Mais je t'ai aussi dit que tu ne seras pas forcément d'accord avec les choix que je ferais même si pour moi, tu passes en priorité. J'ai fait un choix dans lequel je t'ai mis en avant plus que mes propres sentiments pour toi et l'idée de savoir que tu vas partir, ça ne me plait pas, autant le dire. Mais on n'a pas le choix. Tu n'es pas destiné à faire ta vie dans un fauteuil et je suis persuadé qu'avec de meilleurs traitements et avec ta force naturelle, très vite, tu iras mieux. Tu surmonteras ça.
- Tout seul...C'est ça ? Tu ne seras pas là.
- Je ne peux pas partir même si ce n'est pas l'envie qui me manque de te suivre. Mais comprends-moi, ça ne me fait vraiment pas du bien de devoir discuter de ça avec toi. Je ne sais même pas pour combien de temps tu partiras. Des jours ? Des semaines ? Qu'importe. Je t'attendrais. Sache-le. Je t'attendrais.
Des mois Basile.
Je suis en réalité parti pour des mois que j'ai vus passer, défiler et s'éterniser. Des mois entiers de travail, de labeurs, d'exercices. Des mois où j'ai ignoré appels et messages venant de là-bas. Venant de Cléo ou bien de toi.
Dis-moi Basile m'attends-tu toujours ? Pensais-tu sérieusement qu'on aurait pu tenir le coup ?
Dis-moi Basile, m'aimes-tu toujours ?
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