34. Je t'aime
Tu vois, cela aurait pu être la fin. La fin de notre histoire et honnêtement, il n'y aurait pas eu de fin plus brute et plus énervante que celle-ci. Il n'y a pas de mot final, pas de remerciements, rien. Juste un bon gros tas de promesses non tenues et tu sais quoi ? J'ai horreur de ça. J'ai horreur de ces gens qui ne tiennent pas parole. Je n'ai pas envie d'être vu comme ça. Je n'ai pas envie que l'on garde ce souvenir là de moi, alors je refuse que cela soit notre fin.
Moi je vois ça plutôt comme la fin d'un chapitre. Tu sais, ces bons gros chapitres où les pages se tournent et se tournent sans qu'on en voie le bout. Ces bons gros chapitres qui nous tournent et nous retournent le cœur et où l'on craint chaque mot qui s'annonce. Je ne veux pas de ça. Que l'on se souvienne de notre histoire comme étant quelque chose de triste...Ce n'est pas vrai, cela ne nous représenterait même pas parce que même si ce fut court, même si ce fut bref, ce fut intense. Ce fut intensément joyeux. Voilà ce que je retiens. Voilà ce que je veux que les gens pensant à nous retiennent.
Alors pour moi, ce n'est pas la fin de l'histoire, mais celle d'un chapitre douloureux comme il y en a tant d'autres écrits à l'intérieur même du livre de la vie de chaque être humain. Ce ne fut rien de moins que ça, un chapitre douloureux.
Il n'y a rien de glamour ou de dramatique lors d'un réveil d'un comateux. Juste une joie immense sur le visage des gens tandis que vous vous demandez ce que vous foutez là. Vous vous demandez pourquoi vous avez cet horrible gout de plastique jusqu'au fond de la gorge. Vous vous demandez pourquoi il y a cette terrible odeur de désinfectant qui plane comme s'il s'agissait d'un quelconque alcool à 90° cramant vos narines. Vous vous demandez pourquoi tout le monde vous regarder comme si vous étiez la dernière curiosité du coin.
Ah. C'est vrai. Je m'en souviens.
- Suivez mon doigt...Bien...Bien...Très bien.
Quand j'étais petit et que je faisais cette blague à mes potes au collège, à la fin je leur disais toujours "Tu sais ce qu'est mon doigt que tu suis du regard ? Non ? Une télécommande à tête de cons". Bizarrement, ça n'a jamais eu l'effet comique escompté. C'est à partir de là que j'ai compris que mes rêves de one man show allaient devoir être avortés.
Les questions du médecin rentrent dans une oreille et sortent de l'autre, je suis bien incapable de suivre son rythme tant j'ai l'impression que ma tête a servi de salle de concert pour un marathon Metallica. C'est horrible. Je me sens nauséeux, migraineux et défoncé. Je le suis sans doute d'ailleurs. Je soupçonne d'avoir plus de morphine dans le sang que de globule rouge.
- Je vais revenir en début de matinée demain pour un bilan plus complet. Vous devriez vous reposer Gabriel.
Je sors d'une sieste d'une semaine et demie trou d'cul, tu crois vraiment que j'ai envie d'y retourner maintenant ? Non. Je veux profiter des gens qui sont derrière toi, qui pleurent et hurlent de bonheur comme s'ils venaient de croiser Jésus en personne. J'ai peut-être ressusciter...ça me fait un point commun avec le blondinet hippie.
- Merci docteur ! Vraiment mille merci !
"Mais je n'ai fait que mon devoir, madame", non ? Je ne vais pas avoir le droit d'entendre cette phrase mythique ?
- Je vous en prie.
Oh ce modeste !
- Alors comment tu te sens ? Tu as mal quelque part ? Est-ce que tu veux un oreiller en plus ? Ton hérisson en peluche ? Je peux aller le chercher si tu veux. Un verre d'eau ?
- Maman...
- Si tu as faim, je peux même aller faire un tour dehors et ramener un truc que tu aimes si ça te dis, car je...
- Maman ! Je vais bien. Tout va bien. Regarde...Je suis là.
- Oh Gabriel !
Elle se jette sur moi et j'ai soudain l'impression en passant mes bras autour de sa taille que ma mère a perdu un peu de poids par rapport à cette fois où je l'ai quitté sur le quai de la gare.
- Tu m'as fait peur sale petit con !
Forcément, après le câlin, vient le claque.
- Je suis désolé...Je suis vraiment désolé.
Crois-moi, je suis le premier qui regrette, car au final, je n'ai rien pu faire. Je n'ai rien pu changer. Je n'ai même pas pu sauver une vie et je...
- Est-ce que je peux parler à Basile ? Je ne le vois pas.
- Il est parti voir ta grand-mère. Je vais le chercher. On va échanger.
- Merci.
Avant qu'elle ne passe la porte, je lui souffle alors :
- Je t'aime maman. Je t'aime, je t'aime, je t'aime. Je ne te l'ai pas dit assez souvent.
- Je me le tatouerais sur les fesses si tu veux !
Quoi ? Non! J'ai du mal à imaginer....Ah vision d'horreur !
Pardonne-moi maman. Pardonne ton unique fils du mensonge honteux qu'il vient de dire devant toi sans même sourciller, mais tu sais, ça ne va pas. J'ai mal. Vraiment mal. J'ai mal au cœur plus qu'à la tête et je me demande si quelque chose ne clocherait pas chez moi. J'ai mal comme si on me l'écrasait, me le comprimait. C'est étouffant.
Quelques minutes plus tard, la porte s'ouvre à nouveau suivi d'un grand fracas. A peine ai-je le regard au sol, que je vois Basile, étalé de tout son long, face contre terre et pieds en l'air.
- Aïe...
- Est-ce que ça va ?
Il se retourne sur le dos en roulant et semble totalement à bout de souffle comme s'il venait de courir le 100m.
- J'ai couru, tu sais ? J'ai vraiment, vraiment couru de toutes mes forces. Mais j'ai bousculé tout le monde, je me suis mangé une plante en plastique et un grand-père m'a donné un coup de canne aux fesses. Mais j'ai couru. J'ai couru aussi vite que je le pouvais.
- Je sais...
Il se redresse et en une fraction de seconde, bondi sur le lit, me prenant dans ses bras et manquant de m'arracher ma perfusion.
- Tu m'as manqué ! Bienvenue parmi nous.
- Je suis désolé Basile...De ne pas t'avoir écouté. De ne pas avoir...
- Chut. Ne parlons pas de ça maintenant, ok ? Je n'ai pas envie de parler de ça. Le médecin nous a dit que tu as besoin d'un repos absolu et je suis du même avis, mais avant j'ai quelque chose à te dire et je veux que tu m'écoutes jusqu'au bout, sans m'interrompre.
- La dernière fois que tu m'as demandé ça, ça n'a rien présagé rien de bon.
Je ne partirais pas Basile, tu le sais ça ? Est-ce que tu t'en rends compte maintenant ? Je ne m'en irais pas loin de toi. Pas comme ça. Pas d'un claquement de doigts.
- J'ai beaucoup réfléchi à tout ça. J'ai eu quelques jours pour et j'ai quelque chose à te dire Gabriel. Quelque chose que j'ai sur le cœur et qui me fait mal. Mais c'est un mal qui me fait du bien. Je n'ai jamais été un garçon très honnête, tu vois ? Je me suis caché derrière une façade, derrière un masque en essayant de me protéger. Je ne suis qu'un lâche. Un faible. Je me suis fermé à beaucoup de choses parce que j'ai voulu penser à moi sans prendre les autres en considération. Et puis, tu es arrivé et t'as tout chamboulé. Genre vraiment. En plus de laisser traîner tes caleçons de mon côté de l'armoire dans l'espoir que je les mette, je...
- Alors ça, c'est faux ! Moi ? Laisser traîner mes affaires dans un but aussi vil et perfide ? Jamais de la vie !
Si, je l'ai fait.
- Laisse-moi parler, je n'ai pas fini.
- Pardon...
- Et entre nous, on sait très bien que tu l'as fait exprès. Donc, voilà, je voulais te dire que...que...que...
Je le vois se contracter de partout comme s'il essayait tant bien que mal de retenir un prout ou quelque chose d'aussi dangereux.
- Si tu veux me dire que tu m'aimes, je le sais déjà. Je n'ai pas besoin de l'entendre. Tu sais Basile, je n'ai pas envie que tu te sentes forcer à faire quoi que ce soit et je n'ai pas envie de perdre mon temps avec ça non plus. Je sais ce que tu ressens et tu sais ce que je ressens aussi. On n'est pas obligés de se lancer dans de grandes déclarations et des discours épiques. Tout ce que je souhaite, c'est que dorénavant...
Que dorénavant on reste tous les deux. Tu crois que c'est égoïste ? Que c'est trop demandé ? Tu sais, honnêtement et je ne vais pas te mentir, j'ai peur. Peur de ce qui pourrait arriver. Peur de ce que je ressens là. De ce mal qui me ronge malgré tout et qui m'attire. Qui s'accroche à moi alors que je suis avec toi. Je n'ai pas envie de repartir de là où je viens, là-bas dans une obscurité sans nom. Je veux rester. Rester là, contre toi, sentir tes mains sur mon visage. Voir ton sourire s'étirer lentement. Sentir tes lèvres sur les miennes et je veux te sentir tout entier corps et âme. Est-ce égoïste que de ne demander que ça ?
- Basile ?
- Hmm ? Quoi ?
- Je t'aime.
Je le vois se redresser et me dévisager les sourcils froncés.
- Tu as dit qu'on était pas obligés de le dire ! Tu triches !
- Moi je peux le dire. Regarde : Je t'aime. Je t'aime à la folie et passionnément.
- Gabriel !
- Je t'aime !
Je t'aime, alors je t'en prie, retiens-moi. Ne me laisse pas repartir là-bas.
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