32. L'Exorciste
Je ne sais pas ce qui me désole le plus. Entendre ma mère dire à Basile que j'ai mis 7 ans à être propre et à m'essuyer les fesses tout seul comme un grand ou qu'à 14 ans, il m'arrivait encore de faire pipi au lit. J'ai mis des jours entiers à peaufiner mon image de beau brun ténébreux au charme ravageur et ma mère vient clairement de détruire toute mon oeuvre, toute mon entreprise de séduction en l'espace d'une petite heure même pas. Comment voulez-vous qu'un comateux ait envie de revenir avec ce genre de personnes ? J'ai beaucoup trop honte maintenant pour faire quoi que ce soit.
- Et tu savais quelle a été sa plus grosse bêtise en étant petit ? Il devait avoir un an ou deux...
- Non ?
Stop ! Stop ! Stop ! Personne ne veut savoir quelles genre de conneries farfelues fait un bébé !
- Un jour, je l'ai retrouvé penché au dessus de la litière de Pepette, notre chatte, de la litière plein les mains et un caca dans la bouche.
C'est bon. C'est fini. Je veux que l'on m'enterre ici et maintenant.
Eux ça les fait rire, mais pas moi ! Comment osez-vous rire à mes dépens tous les deux ? Vous allez voir quand je vais me réveiller. Je n'aurai rien oublié de tout ça et je vous botterais le derrière. Bon, pas toi maman, j'ai beaucoup trop peur du retour de flamme.
- Sacré Gabriel.
- Comment il est ? Je veux dire...présentement.
- Tu veux que je te le décrive ?
- S'il vous plaît.
Quelle tronche peut bien avoir un gars dans le coma depuis presque une semaine entière, on se demande tiens !
- Il a l'air paisible. Endormi.
Forcément, je le suis.
- On dirait même que ses petits cheveux bruns ont poussé. Il a des mèches qui lui recouvrent le front. Ses lèvres sont étirées comme s'il souriait et pourtant, elles sont recouvertes d'une fine pellicule blanche.
Désolé de ne pas avoir eu le temps de me mettre du baume à lèvres. Disons qu'en ce moment, "prendre soin de moi" me parer un peu compliqué et c'est déjà extrêmement gênant quand les infirmières viennent faire ma toilette.
- Je veux garder en tête, cette image. L'image d'un Gabriel détendu parce que ça me laisse à croire qu'où il puisse être présentement, il nous entends et rit avec nous.
Alors oui, je vous entends, mais non, je ne ris pas. Je ne vais pas rire à des blagues de pipi caca me concernant quand même. J'ai honte, rien de plus, rien de moins. Tu as de la chance que je t'aime beaucoup maman quand même.
- Quand j'ai lu les messages de mon fils, me disant qu'il était heureux, ça m'a vraiment mis du baume au cœur, car en grandissant, Gabriel s'est comme qui dirait renfermé sur lui-même.
- Gabriel ? Renfermé ? rit Basile comme s'il en est étonné. Je dois avoir à faire à un clone alors.
- Non, je pense que c'est juste toi qui l'a rendu comme ça. Attention, ce n'est pas un reproche, bien au contraire, je te suis reconnaissante Basile. Pour être là, pour t'accrocher, pour l'aimer. Je veux te remercier d'être le magnifique et beau jeune homme que tu es. Tu as un grand coeur.
- Disons que j'ai suffisamment de place pour tout le monde.
- Je sais aussi que tu as été d'une grande aide pour Jacqueline.
- C'est plutôt l'inverse, non ? Jacqueline m'a accueilli quand je n'avais plus personne et m'a fait une place chez elle, me traitant comme si nous étions de la même famille.
- Mais tu es de la famille. Tu en fais partie. D'ailleurs, en parlant de cette vieille croûte, je devrais aller la voir. Je vous laisse en tête à tête.
- Madame attendez !
- Oh tu peux m'appeler Francine si tu veux.
- Merci. Merci de m'avoir parlé d'un Gabriel que je ne connais pas. Merci de m'avoir dit que...que je fais partie de la famille, pour moi, ça compte beaucoup. Je...
- Je sais. Je connais ton histoire Basile. Et tu sais quoi ? Je te souhaite tout le bonheur que tu mérites dans celle-ci.
Maman, là de suite, je te ferais bien un bisou. Merci. Merci de dire tout ça à Basile. Je ne peux pas te le dire, ni même te le mimer, mais je le pense sincèrement.
J'entends alors les pas s'en allant et la porte de la chambre s'ouvrir pour se refermer juste après, laissant place à l'interminable silence interrompu à intervalles réguliers par les machines m'entourant.
- Maintenant, je sais de qui tu tiens ton côté exceptionnel et ton grand cœur Gabriel.
J'ai perdu mon père jeune et en grandissant, les souvenirs que j'ai de cet homme s'effacent progressivement, néanmoins, j'ai toujours eu ma mère à mes côtés et oui, clairement, je suis un "fils à maman". J'aime ma mère et c'est mon modèle. Je voudrais que toutes les mamans du monde soient comme la mienne pour que chaque enfant puisse connaitre l'amour, la bienveillance, la tendresse, la douceur.
- C'est fou...toute cette histoire est folle. Dis-moi Gabriel, quand tout ça sera passé, loin derrière nous, toi et moi on devrait s'accorder du temps. Juste tous les deux. Je veux t'enlever à ce monde et te garder rien que pour moi. Je veux te dire tout ce que je n'ai pas pu te dire. Je veux te faire sentir à ma façon tout ce que je ne pourrais jamais exprimer avec de simples mots. Je veux...
Moi aussi ! Moi aussi, je veux tout ça ! Je veux, je veux, je veux !
- Gabriel ?
Quoi ?
- Je deviens fou. Parfois, j'ai l'impression d'entendre ta voix dans ma tête.
Ou alors, j'ai développé le pouvoir de télépathie. Non, car si c'était vraiment le cas, cela ferait longtemps que je t'aurai fait comprendre que "je suis là" et que je t'aurais dit de ne plus pleurer pour moi. Je vais bien. Enfin "bien", tout est relatif, mais je ne suis pas mort. Je ne mourrais pas non plus. Je m'accroche à la vie comme une croûte à son bout de comté. Je m'accroche à l'idée que la première chose que je verrais en ouvrant les yeux...ça sera toi.
Soudain, la porte de la chambre s'ouvre à nouveau et j'entends un sifflement dans l'air. Quelqu'un qui sifflote un air.
- Oh Basile, tu es là !
Mon infirmière ! Tu tombes bien, tu es la personne que je voulais voir. Pique-moi avec ce que tu as dans la poche de ta veste ! N'importe quoi tant que ça me réveille ! Allez, je t'en supplie ! Sors-moi de là ! Tire moi de cet enfer qui me semble interminable.
- Tu ne peux pas partir comme ça Gabriel, m'annonces une voix en me coupant tout son extérieur.
Apparemment devant moi comme un diable sortant de sa boîte, Manuel. OK. Donc, ça...ce n'est pas du tout inquiétant.
- Tu n'es pas censé être mort, toi ?
- Alors déjà, tu pourrais te montrer un peu plus courtois et me témoigner plus de respect. Je viens de mourir, merde.
- Les choses de la vie. Je savais que j'aurais dû te filer des brassards.
J'aurai dû avancer plus vite. J'aurai dû faire quelque chose pour lui cette nuit-là. J'aurai pu...
- Ne fais pas cette tête. Ce n'est pas de te faute. C'est plutôt de la mienne si...Mais bon, je ne suis pas là pour ça.
- Si tu es là, je présume que ce n'est pas bon signe, n'est-ce pas ?
- Disons que "Télé-Réalité" est coupée le temps que l'on ait une petite discussion en ce moment toi et moi.
- Quelle genre de discussion ?
Je n'aime pas ce genre de tournure de phrase. J'ai vu assez de séries américaines pour savoir que pendant qu'on est là à se faire face comme deux fantômes errants, il se passe une couille à l'extérieur.
- Dites donc la Famille Adams, si tu me disais ce qu'il y a vraiment ? Et ne me prends pas pour un lapin de six semaines, je n'aime pas ça. J'allais parfaitement bien jusqu'à présent.
- "Aller bien", j'espère que tu plaisantes ? Gabriel tu ne t'en rends peut-être pas compte, mais ton corps a subi un réel traumatisme, sans compter de ta tête qui a joué au flipper. Tu es peut-être un miraculé, mais tu es loin, très loin d'être sorti d'affaire.
- Mais je t'emmerde. Même mort, tu vas me faire chier ? Laisse-moi repartir Manuel.
- Cela ne relève pas de moi.
- De qui alors ? Et pitié ne me dit pas de "celui tout en haut" car je te frappe.
- Tu pourrais essayer, mais non. Cela ne dépend que de toi.
Est-ce qu'il fait exprès de me prendre pour un con ou c'est juste une impression ?
- Justement, je VEUX repartir.
- Es-tu seulement prêt à affronter les conséquences de cet accident ? Tu n'imagines même pas ce qui t'attend.
- Crois-moi, je ne suis pas sourd. J'ai entendu : Perte de mémoire, problèmes moteurs. Mais tu crois sérieusement que c'est ce qui va m'arrêter ? Tu ne me connais pas.
Tu ne sais rien de ce que je ressens actuellement. Je suis tout bonnement et tout simplement mort de trouille. Je ne sais pas ce qui se passera quand j'ouvrirai les yeux. Je ne sais pas si je me rappellerais de ce qui s'est passé. Tout ce que je sais, c'est que cet accident a radicalement tout changé, et ce, pas forcément dans le bon sens. Mais qui suis-je pour me plaindre, hein ? Je suis vivant, non ? Je devrais déjà commencer par me contenter de ça.
- Maintenant, fais pas chier et remets-moi mon Netflix sonore.
- Actuellement, tu es en arrêt cardiaque. Les médecins tentent de te faire revenir.
- Ah. C'est pour ça que je te vois ? Tu es mort et je suis en train de crever ? Magnifique ! De mieux en mieux !
Je vais m'accrocher. Je l'ai déjà dit et s'il faut le proclamer sur tous les toits, je le ferais. Je n'abandonnerais pas et je ne mourais pas. Pas maintenant. Je vais vivre. Je vais même vivre une très longue vie, la meilleure de toutes, je vais m'éclater, me faire plein de bons souvenirs et ensuite j'irais me reposer en ayant l'impression d'être satisfait de tout ce que j'ai fait.
- Franchement, je regrette un peu de voir ta tête en dernier. Ça me gâche mon repos.
- Tu crois que je suis heureux ? J'étais bien là où j'étais. Mais j'ai entendu les cris de Basile donc je suis descendu voir.
- Pervers. T'es branché sur Radio Basile et tu me prives de ça.
- Pour ton propre bien, crois-moi. Personne ne veut se sentir mourir. Toi et moi, on en a déjà fait l'expérience.
- Et tu es parti, laissant Basile tout seul. Sale lâche.
- Il n'est pas seul, non. Basile est avec toi.
C'est que maintenant qu'il le reconnaît, hein ?
- Oh ! On dirait que la tempête est passée. Finalement, tu t'accroches, hein ? Plus difficile à tuer qu'un cafard celui-là.
- Qu'est-ce que tu crois ?
J'ai trop de choses à faire et à dire avant de passer l'arme à gauche.
- Réponds juste à ma question avant que l'on ne se quitte.
- Laquelle ?
- Es-tu prêt Gabriel ? Vraiment prêt à tout ce qu'il va se passer et tous les changements qu'il va y avoir dorénavant dans ta vie ?
- Je suis prêt.
Je n'ai pas eu besoin de réfléchir à la question. Je sais déjà la réponse. Je l'ai toujours su. C'est d'une évidence même.
- Dans ce cas...
- T'es sérieux là Manu ? T'es venu me casser les couilles pour cinq minutes ?
- Qui t'as dit que ça faisait que cinq minutes ?
Comment ça ? Qu'est-ce qu'il sous-entend ?
- Hé du con ! Reviens ! Je n'en ai pas fini avec toi ! J'irais cracher sur ta tombe, tu m'entends ?!
Je déteste les esprits relou dans son genre. Vraiment.
- Va te faire exorciser tête d'oignon !
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