30. Entends-moi, entends ma voix

Des voix. Il me semble entendre des voix. Des voix tout autour de moi. Je les entends, mais je n'arrive pas à percevoir un mot, à me focaliser sur une seule d'entre elles. Pourquoi ai-je autant de mal ?

Mal. C'est ça. J'ai mal. Ici, là. Un peu partout. Pourquoi ai-je si mal ? Qu'est-ce qu'il m'est arrivé ? Pourquoi j'ai cette douleur qui me parcourt le corps entier ? Parfois une sensation de picotement, parfois un pincement et souvent, un déchirement. J'ai l'impression que l'on écarte tous mes membres de part et d'autre pour voir à quel point suis-je élastique. Ça me fait vraiment mal. Ai-je un jour déjà ressenti ça ? Je n'en sais rien. Je ne sais pas. Je ne m'en souviens pas.

Je ne m'en souviens pas. Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à me souvenir ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Où suis-je ? Non...Pourquoi fait-il si noir ? Je ne vois rien. Pas une touche de lumière, pas une once de couleur. Rien. Il fait noir, si noir. Pourquoi ? Que quelqu'un me dise ce qu'il m'arrive ! Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à bouger ? Pourquoi le seul fait de respirer semble être comme si je laissais entrer en mois un millier d'aiguilles ? Que m'est-il arrivé ?!

- Du nouveau ?

- Toujours rien. Les constantes semblent stables, mais aucune amélioration en vue.

- Bien, continuez l'observation, c'est crucial. Le moindre changement de son état pourrait être fatal.

Fatal ? Hé ! Dites-moi où je suis ! Pourquoi personne ne me répond ? Non, pire..Pourquoi personne ne m'entend ? Hé oh ! Je suis là ! Je suis juste là !

- Docteur ? L'autre jeune homme qui était avec lui ?

- Malheureusement...Il n'a pas survécu. Celui-ci semble désespérément être accroché à la vie pour une raison que j'ignore donc surtout ne le lâchez pas. C'est un âge bien trop jeune pour quitter ce monde.

Autre jeune homme ? Autre jeune homme ?! Qui ? De qui est-ce qu'ils parlent ? Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à me rappeler ?! Putain !

- Tout va bien aller pour toi Gabriel, ne t'en fait pas ! En 20 ans de métier, je n'ai encore jamais perdu un patient qui était sous ma responsabilité.

Gabriel ? C'est moi ? C'est mon nom ? C'est mon nom, c'est ça ? Ça veut dire que...allez merde souviens-toi, souviens-toi, souviens-toi ! Fais un effort !

Pourquoi j'ai ce trou noir énorme qui m'empêche de me souvenir de quoi que ce soit et même de mon propre nom ? Pourtant, je sais qui je suis. Je suis moi...Je suis...Je suis...Gabriel. C'est ça ! Oui c'est ça ! Gabriel ! J'ai 23 ans, je suis étudiant en Histoire Politique et...Oh...Oh non, non, non. Oh non, non, non, non. Pas ça. Tout, mais pas ça ! Dites-moi que c'est une erreur. Oui, un mauvais rêve. Un affreux mauvais rêve duquel que me réveillerais en me pinçant suffisant fort. Me pincer. Pourquoi je n'arrive pas à bouger ? Non, non !

- Oh ! Je te reconnais toi, tu es le jeune homme qui a passé deux nuits complètes ici la semaine dernière.

- Vous m'avez entendu arriver.

Je connais cette voix. Oui, oui je la reconnais. Je sais à qui elle appartient.

- Eh bien, disons plutôt qu'il t'a entendu. À chaque fois que tu viens, il y a un léger bond sur son électrocardiogramme. Une petite pulsion toute légère.

- Ah bon ? Ça vous dérange si...

- Non, non, viens. Je vais t'aider à t'installer. Mon pauvre, tu es venu tout seul ?

- Une amie m'a déposé, mais je ne suis pas très à l'aise encore avec...tout ça.

- Alors dans ce cas, on va faire en sorte que tu sois à l'aise. Rappelle-moi ton prénom déjà mon grand ?

- Basile. Je m'appelle Basile.

Basile. Oh Basile. Dis-moi que tu n'es pas là. Dis-moi que tu n'es pas seul à affronter tout ça. Tu sais, je ne le voulais pas. Rien de tout ça.

- Si tu as besoin de quelque chose, la télécommande est là, d'accord ? Je te la mets dans ta poche.

- Merci...Vous êtes gentille, il a de la chance de vous avoir.

- Ce n'est pas faux ! Mais je dirais qu'il semble encore plus chanceux de t'avoir toi. Visiblement, tu lui fais du bien. Alors, je vais vous laisser un peu d'intimité à tous les deux.

À peine les pas se sont-ils effacés, que la porte se soit refermée, que je sens légèrement la main de Basile serrant la mienne comme s'il s'y accrochait fermement. Je perçois, au-delà des bruits énervants des machines, les pleures silencieux et à chaque seconde, à chaque fois, mon coeur lui se comprime un peu plus.

- Je t'interdis de me claquer entre les doigts Gabriel, tu m'entends ? Je t'interdis !

Tu sais, moi non plus je n'ai pas envie de ça. Je ne veux pas de ça. Je n'ai jamais voulu de tout ça d'ailleurs. C'est con, mais j'aurai dû t'écouter.

Hé Basile, dis-moi, est-ce bien vrai que Manuel n'est plus là ? Je ne l'aimais pas beaucoup, même pas du tout à vrai dire, mais j'ai mal. Je ne sais même pas pourquoi. Je ne sais même pas si c'est la douleur qui parle pour moi ou les sentiments. Je me sens comme une éponge comme si tous tes sentiments étaient en train de m'atteindre.

De me submergé.

C'est beaucoup trop pour moi.

- Il faut que tu reviennes. Il faut que tu te réveilles. Il faut que...que...

Oh Basile. Ton chagrin et ta peine semblent si grands pendant que moi je suis là, à seulement pouvoir t'entendre. Je t'entends même renifler et ce n'est pas sexy du tout. Quand tu te mouches d'ailleurs on dirait une trompe d'éléphant. Je présume que ça a un petit côté mignon.

- Réveille-toi Gabriel. Jacqueline a besoin de toi...non, j'ai besoin de toi. J'ai vraiment besoin de toi plus que jamais. J'ai besoin d'entendre ton rire. J'ai besoin d'entendre ta voix. J'ai besoin que tu me prennes dans tes bras. Tu sais, Manu n'est plus là...J'ai entendu dire que malgré tout, tu avais essayé de le sauver et je t'en veux. J'en veux à Manu de t'avoir emporté. J'en veux à ce foutu barrage en bois de merde. J'en veux à ces gens qui ont laissé deux gamins s'occuper de ça alors qu'ils avaient toute la vie devant eux. Je m'en veux à moi par-dessus tout de ne pas avoir été en mesure de te retenir. Je m'en veux, je m'en veux, je m'en veux. Je ne supporterais pas de perdre encore quelque chose. Quelqu'un alors crois-moi Gabriel, si tu t'en vas...Si tu pars loin de moi...Je partirais avec toi. Je te suivrais dans la tombe.

Si j'étais conscient et maître de mes mouvements, je t'aurais certainement mis une baffe ici et maintenant. Tu vois, je ne peux pas prétendre savoir ce que tu ressens, ni même comprendre. J'ai eu mon lot de mésaventures, j'ai perdu mon père étant plus petit, mais toi, Basile...Toi tu es différent. Tu t'es relevé à chaque fois. Tu as perdu ta première famille. Puis ta seconde famille et enfin...Tu es à deux doigts de perdre la troisième. Je ne peux pas savoir ce que ça fait. Mais t'entendre parler de mort, ça me révulse. Ça me dégoûte. Je ne me suis pas retrouvé ici pour que tu prennes ma place.

Je ne veux pas de ça. D'un monde sans toi. Je ne veux pas imaginer un monde sans nous ou sans la moindre chance qu'il puisse y avoir un "nous".

- L'infirmière m'a dit, que tu t'étais accroché à la vie, mais que ton cerveau a subi de gros dommages. Tu es resté longtemps sous l'eau, privé d'oxygène et que cela pouvait avoir des conséquences...J'y connais rien en médecine, je sais à peine mettre un pansement tout seul, mais tu sais, j'entends. J'entends les machines autour de toi et ça m'angoisse. J'ai peur que tu partes Gaby. Vraiment peur que tu t'en ailles. Je ne sais pas où tu es, ni même si tu m'entends. Je ne sais pas si tu es là près de moi ou dans un endroit que je n'atteindrais pas. Je n'en sais rien.

Un long moment passe comme un silence interminable et je soupçonne Basile d'essayer tant bien que mal de lutter. De lutter avec lui-même. De ne pas se laisser submerger par ce flot d'émotion qui semble l'engloutir tout entier. Le noyer.

Non. Je ne veux pas de ça. Je ne veux pas que Basile se noie à l'intérieur de lui-même. Je ne veux pas...Allez bouge putain ! Bouge, bouge, bouge ! Ne serait-ce qu'un orteil, un petit doigt, quelque chose ! Allez ! Foutu corps de lâche de merde !

Aaaah ! J'ai la rage ! Je ne peux rien faire. Je ne peux rien dire. Je ne peux...Comme je me hais et me déteste. C'est horrible.

- Je t'en supplie, ne pars pas.

Je n'ai pas envie de partir. Je n'ai pas envie de quitter tes côtés. Je n'ai pas envie de te laisser derrière moi. Je n'ai pas envie de tout un tas de choses ! Mais je n'y arrive pas et ça me rend fou. Ça me rends fou de ne pas réussir à te faire comprendre que je suis là. Ça me rends fou de ne pas faire entendre ma voix. Ça me rends fou de ne pas bouger.

Je me sens juste...Mort. Il n'y a aucune lumière au bout du tunnel. Aucun ange qui attend. Rien. Personne. Juste moi et ce noir m'entourant. M'enveloppant de ses bras. Il y a cette obscurité qui rode autour de moi comme si elle attend. Qu'est-ce qu'elle attend ? Que j'abandonne ? Que je baisse les bras ? Que je décide que le combat soit terminé, c'est ça?

Eh bien tu ne m'auras pas ! Tu m'entends ?! Tu. Ne. M'auras. Pas ! Je refuse de partir comme ça. Je refuse de laisser Basile, Jacqueline, ma mère, Cléo et Cléa.

Je ne lâcherais pas. S'il faut que je reste à jamais dans cet état alors soit, je me prépare à le faire. Mais toi, qui que tu sois, mort ou pas, sache-le, tu ne m'auras pas.

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