29. A ceux qui partent trop tôt

- BASILE -

Il y a bien longtemps, j'ai mis mon cœur sous scellé et j'ai jeté la clé pouvant le délivrer loin de moi. Le plus loin possible. Là où je ne pourrais pas la retrouver, ni même l'atteindre. J'ai mis mon cœur sous un couvercle en verre, le protégeant de toutes nuisances et attaques extérieures. Trop longtemps je l'ai malmené. Trop longtemps je l'ai sacrifié. Trop longtemps je l'ai confié à quelqu'un qui me l'a rendu déchiré. Abîmé. Esquinté.

Explosé.

Alors par peur, je l'ai renfermé au plus profond de moi en me disant que personne ne viendrait le chercher là-bas. Personne ne viendrait le trouver et le sortir de là.

Personne ne voudrait d'un cœur handicapé par la vie. Un cœur me ressemblant un peu.

Et puis, il est arrivé. Ce type est arrivé avec son comportement insolant et ses propositions indécentes. Contrairement à moi, il ne se protégeait pas, non, lui il n'en avait pas besoin. Il criait haut et fort ce qu'il pensait, sans se cacher. Sans filtre. Sans se protéger des moindres retombées que ça pourrait avoir. Il s'en fichait. Il agissait sur le moment. On aurait dit un animal sauvage lâché dans un milieu hostile. On aurait dit un chaton abandonné. C'est ça. Peureux, joueur, ayant du mordant, parfois dangereux, mais finalement ayant un côté indéniablement attirant. C'était ça son point fort, il attirait les gens tout autour de lui, mettant des couleurs dans un monde longtemps resté sombre pour moi. Obscur. Noir.

Avec lui, j'ai commencé à apercevoir des touches lumineuses. À percevoir un monde que je pensais avoir oublié. Et ça m'a fait peur. Immédiatement j'ai réalisé que si je le laissais s'approcher trop près de moi, j'y risquerais quelque chose. Mon âme ? Non, non.

Mon cœur.

Il avait la possibilité d'atteindre l'inatteignable et ça m'a fait peur. À chacun de ses pas en avant, j'en faisais deux en arrière. À chacun de ses mots, j'ai fait la sourde aux oreilles refusant de lui prêter la moindre attention. Je l'entendais, mais je ne l'écoutais pas et je m'y refusais, car je savais qu'à partir du moment où j'allais le faire, ça en serait fini de moi.

Soudain alors, dans mon univers froid et sans étoiles, le soleil s'est mis à briller et les étoiles se sont alignées pour moi.

Dans les sentiments que je me suis mis à éprouver pour lui, il y a un brin de magie : C'était beau, brusque et incompréhensible.

Pourquoi lui ? Je ne le connais même pas.

Pourquoi lui ? Je ne sais rien de sa vie.

Pourquoi lui ? Il n'est pas destiné à rester ici.

Pourtant, j'en meurs d'envie. Je me suis pris d'un égoïsme sans nom à vouloir l'enchaîner à moi. Je me suis pris d'une envie soudaine à vouloir le garder auprès de moi. Mais je ne le peux. Que ferais-je d'un soleil brûlant et ardent ? Ne me brûlerais-je pas les ailes s'il restait à mes côtés ? J'ai peur. Oui, j'ai peur de tout ce qu'il est capable de faire. De tout ce qu'il peut me faire ressentir.

Il y a bien longtemps, j'ai mis mon cœur sous scellé et j'ai jeté la clé pouvant le délivrer loin de moi. Le plus loin possible. Là où je ne pourrais pas la retrouver, ni même l'atteindre. J'ai mis mon cœur sous un couvercle en verre, le protégeant de toutes nuisances et attaques extérieures. Trop longtemps je l'ai malmené. Trop longtemps je l'ai sacrifié. Et puis, il est arrivé. On s'est embrassé.

Et j'ai appris à aimer. À aimer comme si on m'offrait là, une seconde vie. Comme si je renaissais. Je me suis senti si vivant que je ne savais pas quoi faire de toute cette soudaine énergie. Alors, je le lui ai rendu. Je le lui ai rendu au moment où nous n'avons fait qu'un. Au moment où j'ai senti son corps contre le mien, ses doigts contre ma peau, ses lèvres contre les miennes, son cœur battant et vibrant au rythme du mien.

Ah. Oui. Mon coeur bat. Il bat si fort que parfois, il me fait mal. Il bat si vite que parfois, j'ai l'impression qu'il me quitte pour rejoindre le sien.

Quand est-ce que j'ai commencé à ressentir tout ça ? Quand est-ce que j'ai commencé à entendre le doux son de mes palpitations ?

Alors s'il vous plaît, si Dieu existe, ne me l'enlevez pas. J'ai besoin de lui, et ce, plus que jamais. J'ai besoin de cet être aussi imparfait soit-il à mes côtés. J'ai besoin d'entendre sa voix, de percevoir son rire et de sentir une nouvelle fois sa main dans la mienne. J'ai besoin de croire que demain, il sera là.

Mais tout ce que j'entends présentement sont les pleurs étouffés de Cléo, les pas pressants du personnel soignant dans le couloir, les bips incessants et angoissants des machines à proximité et cette odeur de mort planant.

- Je suis tellement...tellement désolé Basile...Je suis...

Autour de moi, le monde est tellement bruyant et pourtant, à l'intérieur de mon cœur c'est le calme plat. Comme si soudain, le monde lui-même s'était arrêté. La vie a pris fin.

- Je...ne....Je suis....

Je ne veux pas l'entendre. Je ne veux pas entendre ce genre de phrase encore une fois. Je n'en peux plus. Je veux qu'on me sorte de là. Je veux qu'on me dise que ce n'est qu'un mauvais pas. Un affreux cauchemar. Je veux que quelqu'un vienne et me prenne dans ses bras.

Mais personne ne viendra, n'est-ce pas ?

Je crois que cette nuit-là, une part de moi s'est éteinte.

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